L’exposition, intitulé « Rêver d’un autre monde », propose de faire un pas de côté. Ici, il n’est pas question d’actualité brulante mais du regard porté par des artistes contemporains (essentiellement des photographes) sur ces migrants. Mais avec un point de vue qui se veut volontairement au « raz de l’humain ».
Onze artistes parlent du départ, de la traversée, de la frontière ou des difficultés de rester en Europe.
Ce n’est pas une première pour le CHRD qui ne se cantonne pas à la période de la Seconde guerre mondiale. Le musée lyonnais avait monté l’exposition Tchétchènes hors-sol sur la diaspora tchétchène ou les photos de Bruno Amsellem sur les voyages pendulaires de familles roms entre la France et la Roumanie.
« Le CHRD est un outil de compréhension du monde », précise la directrice du CHRD, Isabelle Doré-Rivé.
Une barque chargée de ballots
Pour cette exposition temporaire, le visiteur est accueilli par une barque chargée de ballots et de sacs comme ceux que l’on trouve Place du Pont à Lyon.
Cette oeuvre de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo « Road to exile » évoque évidemment la traversée qui mène de l’Afrique à l’Europe.
On comprend alors vite, qu’on n’a pas affaire à une exposition « de synthèse » sur les migrants. Une autre piste muséographique est explorée :
« L’expérience esthétique comme moyen d’accès à la connaissance de problématiques douloureuses ».
Ici, pas de témoignages exposés de manière frontale mais notamment les photos de Mathieu Pernot qui captent les traces de migrants afghans laissées à proximité d’un square parisien d’où ils viennent d’être expulsés.
Ou encore une expérience grenobloise novatrice. Entre mai et juin 2013, à l’initiative de géographes et d’artistes (le collectif L’Excès), douze demandeurs d’asile ont raconté différemment leur parcours .
La géographe Sarah Mekdjian revient sur l’origine du projet :
« On se voyait mal leur poser une nouvelle fois des questions qui reproduisent la violence des entretiens avec les administrations pour obtenir le statut de réfugiés. Jamais on n’a posé de questions : on a opté pour d’autres moyens. On a simplement demandé s’ils voulaient dessiner ».
Chaque demandeur d’asile a donc dessiné son parcours sur de grands draps blancs. Une des artistes qui accompagnait le projet a brodé quelques dessins, en référence à la Tapisserie de Bayeux, comme pour mieux souligner le caractère héroïque de ces récits.
Autre encrage local de cette expo (dont la plupart des oeuvre sont issus du Musée de l’immigration de Paris) : les photos de Bertrand Gaudillère sur Guilherme.
Souvenez-vous. En 2010, ce père de deux enfants angolais échappait à quatre tentatives d’expulsion suite à la mobilisation exceptionnelle autour de l’école Gilbert Dru, à la Guillotière (Lyon 7ème).
Le photographe fait le récit en noir et blanc de Guilherme (aujourd’hui régularisé) et de son comité de soutien. « Des chiffres, un visage » montre une des figures des 28 000 reconduites à la frontière décidés cette année-là en France.
« Toute personne a le droit de circuler librement »
Au coeur de l’exposition se trouve la vidéo de Patrick Zachmann. Mi-reportage, mi-oeuvre autographique, Mare Mater raconte les jeunes migrants qui tentent ou ont tenté de traverser la Méditerranée. En partant des récits de sa mère, issue d’une famille juive d’Algérie, Patrick Zachmann a sillonné pendant trois ans les rives de la Méditerranée à la recherche de ces personnes, comme Noureddine, qui a émigré en Allemagne avant de revenir en Algérie.
Positionné en appui du dispositif vidéo, l’article de la Déclaration universelle des droits de l’Homme s’étale sur le mur :
« Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat.
Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »
Cet article qui affirme le droit à la libre circulation est entouré des cartes de Philippe Rekacewicz (l’ancien cartographe du Monde Diplomatique). A rebours de l’ouverture des frontières, ces cartes dessinées montrent les effets de l’Europe forteresse, à travers le nombre de morts noyés, sans cesse en augmentation.
En appui de l’article de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, un panneau rappelle les nombreuses théories et analyses scientifiques qui affirment que les migrants apportent « une contribution nette aux économies des pays d’accueil ».
La directrice du CHRD commente :
« Aujourd’hui, on ne se pose plus la question de la légitimité de ces politiques de fermeture des frontières. Ici, dans cette exposition, nous voulons au contraire interroger ces politiques en décortiquant les idées reçues. (…) Nous affirmons un humanisme ».
Aux visiteurs les mains pleines
La scénographie se veut la plus simple possible. Il y a surtout cette couleur conductrice, le bleu horizon.
L’originalité est d’avoir imaginé des cartels détachables pour chaque oeuvre.
Le visiteur peut donc repartir avec un texte qui résume l’essentiel du propos.
Et s’il veut pousser plus loin, libre à lui de mettre un casque et d’écouter les explications de l’artiste.
Ou comment, là encore, rendre d’accès facile une question complexe.
Une des oeuvre présentée colle parfaitement avec cet état d’esprit, « Images d’Alger 2002 » de Karim Kal.
Cet artiste franco-algérien a photographié l’horizon vu depuis le quartier d’Alger de Bab El Oued.
Il expose sa démarche :
« J’ai trouvé une forte ouverture en Algérie en rupture avec la perception de l’Algérie en guerre civile.
Le calme de Bab El Oued tranche avec l’hystérie médiatique. Sachant que le même quartier avait connu des inondations qui avait fait 1 000 morts l’année précédente ».
Le visiteur peut repartir avec une des 3 000 affiches empilées sur une palette. « Une dissémination virale archaïque », glisse Karim Kal.
Aucun doute. Cette expo « Rêver d’un autre monde » se prolonge au-delà de la seule visite.
> Plus d’infos sur le site du CHRD
> Le teaser de l’expo
> Jusqu’au 29 mai
Chargement des commentaires…