Après Fatiha et Olivier, Sabrina, 30 ans, locataire d’un logement du parc privé, en procédure d’expulsion depuis deux ans.
Elle vit avec son mari et leurs 4 enfants. Le loyer est de 724 euros. Elle perçoit une aide au logement de 310 euros, à déduire. Le mari de Sabrina est intérimaire et son salaire avoisine les 1 700 euros net. Avec les allocations familiales, la famille vit avec 2 318 euros par mois.
Une fin de mission intérim suivie d’une période de deux mois d’interruptions de revenus ont fait basculer ce ménage dans les difficultés financières. Deux ans plus tard, la famille est toujours expulsable mais la situation s’est à peu près stabilisée. Le loyer est payé chaque mois et des solutions pour solder la dette sont en bonne voie. Sabrina décrit le parcours du combattant pour faire valoir ses droits.
« Si nous avions été que tous les deux, les choix auraient été différents »
Le premier impayé est venu début 2013 d’une baisse de ressources de mon mari parce qu’il trouvait plus difficilement du travail. La régie était alors conciliante. A plusieurs reprises, j’ai payé une partie du loyer seulement, à peu près la moitié.
Mais le problème s’est aggravé en septembre de la même année. Pendant deux mois mon mari n’a pas trouvé de travail. Il était en fin de droits Assedic. Du coup, pendant ces deux mois, nous avons eu zéro ressource avec des dépenses qui étaient identiques. Il a alors fallu faire des choix.
On a choisi de ne pas payer le loyer parce qu’on avait des enfants dont une fille en bas âge.
Même pour ces dépenses, il fallait faire un choix : les couches et lait qui coûtent très cher…
J’ai privilégié de remplir le frigo, de nourrir mes enfants et de les habiller. Et de payer les factures puisqu’avec des enfants en bas âge, on ne pouvait pas se permettre de se faire couper le gaz ou l’électricité.
Peut-être que si nous avions été que tous les deux, les choix auraient été différents. Mais là, il n’y avait même pas de choix à faire puisque c’est notre fonction première en tant que parents de satisfaire les besoins de nos enfants : les nourrir, les vêtir et de faire en sorte qu’ils n’aient pas froid.
C’est comme ça que j’ai fait mon choix, en me disant que la régie serait conciliante. Et puis je me suis dit que c’était un passage et qu’on arriverait à rattraper.
Mais ce n’est pas comme ça que ça s’est passé.
« Au départ, une dette de 2 000 euros »
La dette est montée à 2 000 euros à régler en deux fois. On a pu payer le premier mois mais après ce n’était pas possible, donc c’est à ce moment là que la procédure a débuté.
J’ai été convoquée au tribunal où mon avocate nous a représentés mais il y a eu un problème.
L’avocate n’avait pas eu les informations de la part de la régie – le décompte locatif – donc ne pouvait pas nous défendre. Alors l’audience a été reportée. Je n’ai pas encore pu joindre mon avocate mais elle voulait demander un plan d’apurement jusqu’à ce qu’on obtienne les aides nécessaires.
« On se heurte à des murs, à des procédures, à des dispositifs qui nous sont étrangers »
J’étais en contact avec une association spécialisée dans les problèmes de logement et puis je suis allée à une permanence au tribunal. Toutes ces personnes m’ont informée de mes droits et m’ont donné des conseils. Ça m’a beaucoup aidée. J’en suis sortie boostée. J’ai sollicité l’aide d’une autre avocate et j’ai pris rendez-vous avec une assistante sociale de la CAF pour demander une aide exceptionnelle.
Avant ça, j’avais déposé un dossier FSL, avec une assistante sociale du département qui en réalité n’a jamais déposé le dossier. Je l’ai contactée, elle m’a dit que le problème venait de la régie. Avec l’association, on a contacté la régie et on s’est aperçu qu’ils avaient bien fait le nécessaire et transmis la fiche de liaison demandée par le Département du Rhône. Pendant ce temps, les problèmes ont continué : ma dette a atteint 4 700 euros entre les frais de procédure qui se sont ajoutés (environ 1000 euros) et la CAF qui a arrêté de verser l’APL.
Du coup le FSL n’est plus possible parce que je ne suis plus dans les conditions (la dette ne doit pas excéder 3 000 euros pour solliciter le FSL). Alors, j’ai sollicité une aide de la CAF et là on attend une aide du FASTT (fonds d’aide pour les intérimaires) pour faire baisser le montant et demander le FSL ensuite.
Je suis indignée : j’ai fait en sorte de prendre les choses en main, assez tôt pour que la dette ne grossisse pas et au final je me retrouve deux ans plus tard avec une dette qui a augmenté et je ne suis plus dans les critères pour le FSL. Je dois trouver d’autres aides et je suis toujours dans le doute sur le fait qu’elles vont nous être accordées ou non.
« Quand je rencontre un obstacle, j’attends quelques jours et je retente ma chance »
Les APL ont été suspendues pour non respect du plan d’apurement. Donc j’ai appelé et envoyé les preuves pour montrer que je payais plus que le loyer même s’il n’y avait pas un plan d’apurement officiel. Elles ont été rétablies. Depuis le problème, je règle tout le temps le loyer et j’essaye de rajouter un petit peu.
Et il s’est passé exactement la même chose cette année, elles ont été suspendues à nouveau. J’ai rappelé la CAF et on m’a expliqué que ça ne marchait pas comme ça, que l’année d’avant il y avait eu un couac, qu’on devait attendre le jugement pour voir pour voir si un plan d’apurement était mis en place et si je le respectais.
Là, j’étais complètement dépitée, du coup j’ai laissé passer quelques semaines et j’ai rappelé la CAF. Je suis tombée sur quelqu’un d’autre et la réponse a été différente. On m’a dit « pas de problème, apportez-nous les reçus », je les ai apportés, une semaine après j’avais les 1 000 euros dus par la CAF. Du coup, maintenant je fais toujours comme ça, quand je rencontre un obstacle, j’attends quelques jours et je retente ma chance auprès d’un autre interlocuteur.
Mais c’est complètement dingue : une même structure et des discours différents. Comme si ça n’avait pas de conséquences ! Souvent les gens qui nous mettent des bâtons dans les roues ne se rendent pas compte qu’un détail pour eux peut avoir des conséquences énormes pour nous. Il y a des familles, des personnes, des situations derrière qui sont gravement impactées. J’ai pleuré pendant des jours et je me suis ressaisie, je me suis dit je vais rappeler on va voir.
Il y a des moments où le moral n’est pas trop là mais j’arrive toujours à remonter. C’est beaucoup d’investissement, de phases d’espoir dans la résolution du problème et de désespoir quand on se heurte à des murs, à des procédures, des dispositifs qui nous sont étrangers au départ et qu’on apprend petit à petit à connaître.
« J’ai des difficultés, mais je fais tout pour régler seule ma dette »
La posture institutionnelle est culpabilisante, il y a toujours un jugement, un comportement infantilisant. Je n’ai pas besoin d’être assistée, j’ai besoin d’être aidée. Tous les professionnels que j’ai rencontrés m’ont répété cette phrase « vous savez madame, il faut payer votre loyer », comme si je ne le savais pas, comme si l’entrée d’argent tous les mois servaient à payer mes loisirs.
J’ai des difficultés, mais je fais tout pour régler seule ma dette, je suis une femme de 30 ans, j’ai quatre enfants, je n’ai pas besoin qu’on me traite comme si j’avais quatre ans. Et ça ils ont du mal à comprendre. Par contre quand inversement, j’ai posé des questions sur les délais d’instruction du dossier FSL, vu que le premier dossier n’aboutissait pas, là on m’a dit« vous n’avez rien à dire par rapport à ça madame, c’est comme ça c’est la régie qui décide du délai ».
On est dans une posture délicate et du coup on est confronté à des attitudes très désobligeantes qui nous écrasent. Moi, j’ai l’impression qu’il y a malheureusement beaucoup d’assistantes sociales qui portent systématiquement un jugement, comme si elles avaient une manière de parler commune sans distance, toujours à vous juger. C’est violent, ça nous ramène plein de choses à la figure.
« J’ai grandi avec cette histoire »
Quand les problèmes ont commencé, je mettais énormément de pression à mon mari s’il restait sans travail plus de deux jours entre deux missions. Je lui en mettais plein sur le dos alors qu’il est vraiment gentil et travaillait même la nuit.
J’étais tout le temps au téléphone ou en train de courir pour m’occuper des démarches administratives, et j’étais moins patiente avec mes enfants. Avec la grande, j’étais hyper exigeante au niveau scolaire : je me disais que la situation d’expulsion, le manque d’argent étaient de ma faute parce que j’avais arrêté mes études donc je ne voulais pas qu’il lui arrive la même chose.
Il y a eu pas mal d’effets négatifs au début mais finalement j’ai beaucoup appris sur moi-même. J’ai pu garder la tête hors de l’eau, prendre du recul et résoudre les impacts négatifs de cette situation sur ma famille parce que sinon j’allais tout perdre. J’ai quelque chose d’inestimable : j’ai une famille. Je n’ai que des problèmes d’argent.
A partir du moment où j’ai arrêtée d’être submergée par les émotions, je me suis rendue compte que je devais préserver ma famille. Avec les enfants, on a de l’or entre les mains, moi j’ai de très bonnes relations avec mon conjoint. C’est dommage de gâcher tout ça à cause de problèmes d’argent. Je ne suis pas en train de dire que ça n’a pas son importance, mais c’est dommage de gâcher ça. Je me suis rendue compte que ça a renforcé nos liens.
Depuis quelques mois, je me suis imposée des choses, sortir une fois par mois avec mon mari sans mes enfants, ce que je ne faisais jamais. Donc je fais garder les enfants par ma sœur, même si ce n’est que pour faire une balade. C’est important de se retrouver, on en a besoin. Prévoir des soirées entre filles, avec mes sœurs. C’est important de déconnecter, quand on revient on est mieux.
J’essaye de maintenir des loisirs, des moments en famille, pas de grosses dépenses, mais d’avoir une vie normale pour préserver mes enfants et mon couple de ces problèmes, faire un cinéma une fois par mois, pour ne pas les exclure les enfants de la société.
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