Rue89Lyon a animé la seule avant-première du film, au Comoedia, le 5 janvier dernier, qui s’est suivie d’une rencontre avec Vincent Lindon. Au cours du débat, un spectateur, Jean-Pierre Veyrenche, a pris la parole. Avec 23 ans d’expérience dans le milieu de la solidarité internationale, cet ingénieur a su résumer les enseignements de cette affaire et de ce film. Nous lui redonnons la parole sous forme de tribune.
Ce film nous donne à réfléchir sur les travers d’une mission dite « humanitaire », sans pour autant instruire à charge ou à décharge. Merci Joachim Lafosse et Vincent Lindon.
Car les choses ne sont pas si simples dans les interventions humanitaires sur le terrain. « Les Chevaliers blancs » montre tout ce qu’il ne fallait pas faire en matière d’action humanitaire. Un contre-exemple parfait.
Les 4 choses à ne pas faire
1. S’imposer sans tenir compte des besoins réels des populations
On retrouve parfois un sentiment de supériorité qui fait que nous imposons nos savoirs sans nous poser de questions sur les besoins réels des populations. C’est ce qui s’est produit avec cette opération d’adoption massive menée en 2007 au Tchad par l’Arche de Zoé.
Il faut d’ailleurs préciser que cette opération d’adoption contrevenait à la convention internationale sur l’adoption de 1993. Pourtant sous couvert du soit-disant « droit d’ingérence », cette organisation a tenté son coup qui a mal fini. Ce qui a porté un préjudice terrible sur les associations et les familles qui œuvrent dans le monde pour la cause de l’adoption mais aussi pour les enfants qui attendent une famille d’accueil.
Il faut commencer déjà par poser la question de ce dont les gens ont besoin, comment apporter un mieux et comment avoir un impact positif sans trop bouleverser les choses localement.
Ce questionnement se fait souvent dans des contextes difficiles. Dans la plupart des cas, les ONG interviennent dans des pays où les États ne font pas ce qu’il faut pour leurs populations. Et beaucoup de pays Africains sont ainsi devenus des « ONG lands ». C’était le cas du Tchad en 2007 quand est intervenue l’Arche de Zoé.
2. Faire appel à des rabatteurs peu scrupuleux
Le rapport aux autorités locales est parfois ambigu, avec des enjeux importants, tant sur le plan économique que stratégique. Ce contexte profite à certaines personnes corrompues pour faire des affaires.
Des rabatteurs peu scrupuleux sont souvent à l’affut dans ces cas-là. Ces personnes tirent profit de ces actions humanitaires sur le terrain en vendant des services ou du matériel en pratiquant des tarifs exorbitants. On le voit dans le film avec le pilote d’avion de brousse joué par Reda Kateb.
Ce logisticien qui a une entreprise sur place, trouve ainsi un avion, des véhicules, des locaux, du personnel contre des liasses de billets.
La Françafrique est encore bien ancrée dans certains pays avec des réseaux douteux et des Etats permissifs.
Sans parler de la relation avec les militaires français. Dans la première scène du film, on voit que ce sont des avions français qui ont acheminé le matériel. Ce qui pose la question de l’implication du gouvernement français dans cette affaire de l’Arche de Zoé.
3. Embrigader des volontaires au nom d’une cause
En mission humanitaire, les motivations de chacun sont souvent disparates. On retrouve plusieurs ingrédients :
- le besoin d’exotisme et d’aventure,
- l’engagement pour sauver « son prochain »,
- une motivation sans borne avec la conviction d’être utile et de faire du bon travail pour des bénéficiaires vulnérables.
Le tout donne parfois un mélange détonant. Et la cohésion d’une l’équipe est difficile à trouver. Ce qui permet toutes les manipulations.
On voit dans le film que la plupart des membres de cette mission humanitaire se sont fait « embarquer » à titre gracieux. Jacques Arnault, le patron du groupe (joué par Vincent Lindon) joue sur la cause et les enfants pour embrigader tout le monde.
La journaliste (joué par Valérie Donzelli) y perd même son objectivité au fil du temps et souhaite elle aussi adopter et ramener un enfant.
4. Certaines pratiques proches du colonialisme
L’attitude de certains volontaires humanitaires est parfois déplacée avec un retour à des pratiques proches du colonialisme. Le petit chef qui donne les ordres grâce à son statut et souvent sa couleur de peau. Le bakchich et l’argent facile.
Dans le film, les visites dans les villages pour aller chercher des « orphelins » montrent une approche très arrogante et une absence de préparation de la mission. Pour arriver à ses fins, l’organisation humanitaire est prête à payer le chef du village visité. Cette manière de parler avec les villageois est inacceptable.
Sur le terrain, cette approche est fortement préjudiciable et peut entrainer la surenchère avec d’autres ONG. Un programme humanitaire bien réfléchi doit impliquer tous les acteurs lors des différentes étapes du projet : de la phase d’évaluation initiale à la phase de clôture du programme.
En aucun cas de l’argent ne doit être versé aux chefs ou aux autorités.
Défendre des valeurs sur le terrain. Oui, mais lesquelles ?
Le film montre les dilemmes inextricables dans lesquels nous sommes très souvent plongés dans le milieu de la solidarité internationale. C’est un savant mélange, politique, médiatique et économique.
Comment ne pas se rappeler lors du génocide au Rwanda en 1994, de ce flux de centaines de milliers de déplacés, réfugiés qui, pour la plupart innocents et victimes de ce massacre, fuyaient les violences en cherchant un semblant de sécurité dans un pays voisin, alors que d’autres, génocidaires impliqués, fuyaient les représailles et la justice internationale et se retrouvaient dans le même camp de déplacés.
Dans ces camps où se côtoyaient les victimes et les bourreaux, il n’y avait pas de distinction pour les ONG lors des distributions d’eau et de nourriture. Lorsque l’on intervient sur un programme d’urgence humanitaire, il faut apporter les fondamentaux pour tous, comme la santé, l’eau, la nourriture, un abri et la sécurité.
La justice, le tribunal pénal international fera son travail traquera et jugera plus tard ceux qui ont perpétrés des crimes.
Chacun son rôle.
Ce qui doit ou devrait nous guider en tant que membre d’ONG est la charte, ce document est souvent associé au mandat de l’ONG. Cette charte est un outil de cohésion interne. Elle permet de se mettre d’accord sur les objectifs les droits et les devoirs de chacun au sein de l’organisation.
Les principes les plus fréquemment retrouvés sont ceux de la neutralité, de l’indépendance de tout groupe politique, économique, ethnique et confessionnel, de ne pas faire preuve de discrimination auprès des populations secourues, dans le respect de l’identité culturelle et de la dignité de chacun.
Arrêter l’amateurisme
Malgré tout, le film apporte un message positif. Le métier de travailleur humanitaire, la vocation diront certains, ne s’improvise pas. La bonne volonté et le grand cœur sont nécessaires mais pas suffisantes. Il n’y a aucune place pour l’amateurisme dans ces métiers, sinon c’est le dérapage et la faute.
Comme le montre le film, cela peut avoir des conséquences graves, voire dramatiques pour des populations entières.
Une intervention humanitaire ne s’improvise pas, mais se prépare longuement avec des méthodes et des techniques appropriées. Les écoles 3A à Lyon et Paris ainsi que l’Institut Bioforce à Lyon préparent chaque année des dizaines de personnes qui souhaitent s’engager en étant bien formés et informés sur ces actions humanitaires. Tant mieux.
Tout cela ne doit pas nous empêcher d’agir pour des causes, ici ou ailleurs, qui nous semblent justes et belles. Mais il faut le faire en gardant un esprit critique.
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