1/ Les casseroles qui brinquebalent en fin de course
Nous l’avions qualifiée d’assez peu « sale ». Si les deux candidats jugés les plus importants par la scène médiatique (Jean-Jack Queyranne et Laurent Wauquiez) se sont donnés des coups réguliers et attendus, la campagne de ces élections régionales 2015 est restée dans toute sa première partie (de septembre à novembre) relativement calme.
Mais ces derniers jours, tout s’est accéléré.
Un candidat de la liste de Laurent Wauquiez, qui s’avère être Jérôme Moroge, le maire Les Républicains de la commune de Pierre-Bénite, s’est fait remarquer avec un mail invitant les associations de sa ville à l’aider à se faire élire et, pour cela, à joindre son cabinet en cas de besoin -notamment pour faire des procurations.
Le candidat, qui occupe la 14ème position sur la liste métropolitaine de Laurent Wauquiez affiche ouvertement l’utilisation des moyens municipaux pour sa campagne, chose qu’il a tenté de rectifier dans un nouveau mail envoyé une heure après.
D’autres mails encourageant à supporter Laurent Wauquiez auraient été envoyés en masse à des adhérents ou des salariés d’organismes publics ou menant une mission de service public. L’équipe du candidat socialiste a indiqué « se réserver le droit » de donner une suite via un avocat, s’inquiétant d’un « détournement de données publiques ».
Ce jeudi, c’est un candidat de la liste de Jean-jack Queyranne qui a déclaré « se retirer de la campagne ». Il s’agit d’Amar Thioune, le président régional de SOS Racisme, tout juste mis en examen pour « viol » et « violences conjugales ». Ce dernier s’est étonné du « timing de cette mise en examen » à quelques jours du premier tour des élections, alors que la plainte date de plus de deux mois.
Techniquement, son retrait de la campagne ne signifie pas grand chose : les listes ont été déposées en préfecture, le matériel électoral est imprimé et parti par voie postale.
Lors d’un débat diffusé sur l’antenne régionale de France 3, Laurent Wauquiez a sauté à la gorge de Jean-Jack Queyranne qui tentait de mettre à mal le candidat de la droite sur son supposé refus de ses indemnités de ministre.
Il lui a demandé des explications sur le cas d’Amar Thioune. C’est Christophe Boudot, le candidat FN, qui a rappelé à Laurent Wauquiez qu’existait encore « la présomption d’innocence ».
2/ Des événéments tragiques et une (fausse) pause
La campagne a été marquée par un coup d’arrêt auquel évidemment personne ne s’attendait, à la suite des attentats de Paris, du 13 novembre dernier. Tous ont appuyé sur « pause ». Ou presque. La trêve pour cause de deuil national et en faveur de l’unité, toujours nationale, n’a en réalité pas été si nette, du fait notamment des mandats des deux principaux candidats.
Le socialiste Jean-Jack Queyranne a poursuivi ses activités et prises de parole d’actuel président de Rhône-Alpes.
Laurent Wauquiez a quant à lui également pu profiter de son mandat de député (Les Républicains) pour ne pas tout à fait stopper sa campagne : il s’est illustré en transformant l’assemblée nationale en une véritable arène, mettant un gros coup de pied à l’idée même d’ « unité nationale » -il a été recadré ensuite par plusieurs membres de son propre parti.
Des avantages classique chez les élus-candidats, qui ont eu le don d’agacer singulièrement un autre candidat en course, Jean-Charles Kohlhaas (actuellement conseiller régional écologiste, qui mène une liste EELV-Front de gauche-Nouvelle Donne). Il a saisi le CSA pour protester contre la prime au plus gros mandat et au plus visible.
Par ailleurs, un appel a été lancé auprès de conseil constitutionnel en vue de faire annuler ces élections, maintenues malgré l’état d’urgence et un climat de tensions particulier.
Par ailleurs, les dates des 6 et 13 décembre étaient déjà jugées par beaucoup comme peu judicieuses, situées à la veille de Noël et non marquées par une habitude de vote chez les électeurs.
3/ L’absence du maire de Lyon et des soutiens de dernière minute chez Jean-Jack Queyranne
On a beaucoup parlé au démarrage de cette campagne d’une absence -celle de Gérard Collomb, maire de Lyon qui aurait logiquement dû soutenir et mener campagne pour son collègue socialiste. Jusqu’à la fin, et jusqu’au meeting final tenu à Villeurbanne, le maire PS de Lyon a, plus que boudé, carrément snobé voire gêné le candidat de son parti.
Jean-Jack Queyranne (JJQ) a fait mine d’ignorer, tentant plutôt de contrecarrer les offensives très nombreuses (notamment sur Internet) du seul homme à abattre pour lui, Laurent Wauquiez.
Ce n’est qu’en fin de campagne que JJQ a pu afficher des soutiens chez ceux avec lesquels il a travaillé en tant que président de Région. Notamment dans le milieu de la culture. Quelques uns viennent de signer un courrier dans lequel ils affichent leur penchant.
Toute la culture ? Pas exactement. N’apparaissent pas les directeurs des grosses machines. Il s’agit « essentiellement d’associatifs, d’entrepreneurs culturels et de structures intermédiaires ». Notamment parce que la méthode de JJQ pour les rallier à sa cause a été largement moins offensive que celle de Gérard Collomb qui, lui, avait mis une pression énorme pendant sa campagne municipale à tous les acteurs culturels, afin qu’ils figurent dans son comité de soutien.
On note malgré tout dans le comité de soutien de JJQ la présence de Christian Schiaretti, à la tête du TNP. Les autres sont censés représenter la politique mise en place par la Région, « qui bénéficie au deux tiers à des non-institutionnels ».
Le président de Rhône-Alpes s’est donc escrimé à faire barrage aux critiques provenant de Laurent Wauquiez, concernant principalement sa gouvernance et la gestion de la région, en rappelant notamment son classement parmi les trois régions les mieux gérées de France, selon un classement paru dans Capital, « qui n’est pas un magazine de gauchiste » selon ses propres termes.
3/ Nationaliser la campagne et matraquer sur la sé-cu-ri-té pour Laurent Wauquiez
Il a démarré sa campagne sur la sécurité dans les TER et la termine en élargissant le principe, avec la possibilité, depuis le 13 novembre dernier et l’état d’urgence déclaré, de mettre le paquet sur ces questions. Un thème pourrait résonner auprès des électeurs remués et interrogatifs devant une menace terroriste, mais qu’il n’est plus le seul à porter. JJQ considère aussi que la sécurité entre dans ses prérogatives, sans compter le FN qui n’arrive jamais dernier en la matière.
Dans les trains, à l’entrée des lycées, Laurent Wauquiez imagine caméras et/ou portiques. Sans plus de précisions sur les conditions de la mise en place de ces systèmes (officiers de police pour réaliser des fouilles, techniciens pour gérer les portiques).
Laurent Wauquiez a plus globalement tenté de nationaliser le débat, en essayant de mettre en avant un des reproches traditionnellement faits à la gauche, celui de la hausse continuelle des impôts. Il accuse le président actuel de les avoir augmentés. Sauf à savoir que la Région, si elle en reçoit en quantité, n’a pas la main directe sur les taxes. Les impôts collectés proviennent de la carte grise et de la taxe sur les produits pétroliers.
Sur la totalité des 11 ans de mandat De Jean-Jack Queyranne, l’augmentation a été d’environ 230 euros pour les citoyens.
Si tous les sondages l’ont donné vainqueur ou encore en tête à l’issue du premier tour, l’écart avec Jean-Jack Queyranne s’est réduit au fil des semaines, jusqu’à les placer au coude-à-coude.
4/ Le FN grossissant
« J’avais prévu que Laurent Wauquiez soit mon faire-valoir pendant cette campagne, il a repris mes mots, comme le « bouclier », tout ça, c’est dans mon programme. »
Le conseiller métropolitain lyonnais n’y est pas allé de main morte sur le plateau de France 3, à l’occasion du débat qui opposait quatre des candidats, en tentant d’humilier Laurent Wauquiez -qui s’est à moitié étranglé en l’entendant.
Pour Christophe Boudot, comme pour d’autres avant lui au FN (et notamment Jean-Marie Le Pen), le message envoyé aux électeurs éventuellement séduits par des idées conservatrices est « votez pour l’original plutôt que pour la copie ».
En dehors de sa posture, Christophe Boudot a mené une campagne relativement discrète avec un coq en peluche visible sur Twitter, mais aussi un petit coup politique. Tandis que le FN tente de se crédibiliser sur le plan économique, thème dans lequel le parti de Marine Le Pen rame tout à fait, Christophe Boudot a obtenu un rendez-vous avec Jean-Dominique Senard, le patron du « numéro 1 mondial du pneumatique », Michelin.
Rien de moins, il s’agit d’une entreprise-phare française et l’un des plus gros employeurs d’Auvergne. Le chef d’entreprise a réduit quelque peu l’enthousiasme du candidat en quête de légitimité auprès du patronat, en déclarant qu’il avait bien voulu le recevoir au même titre que tous les autres candidats.
Au final, Christophe Boudot déroule le même programme « en moins » que l’ensemble des candidats FN dans les régions de France : ici, ce serait suppression de la carte M’RA ou de certaines de ses prérogatives (dont la contraception pour les jeunes), moins ou plus du tout de subventions aux associations considérées comme orientées telles que planning familial, associations culturelles, LGBT, etc.
Ses pronostics de scrutin sont donc indexés à la popularité de son parti, en hausse depuis quelques semaines selon les derniers sondages.
5/ Des « petits candidats » anesthésiés
Cette campagne 2015 aura donc été marquée par une actualité exceptionnelle. Les attentats du 13 novembre ont mis un coup d’arrêt quasi définitif à l’éventuel élan des « petites listes », celles des petits partis, dont certains auront sans doute du mal à faire plus de 5% des voix.
C’est à dire celle de Chantal Gomez pour Lutte ouvrière, celle d’Alain Fédèle pour UPR (union populaire républicaine), celle de Gerbert Rambaud pour Debout la France.
Dans ce sens, le parti communiste, par exemple, pourrait disparaître tout à fait du conseil régional, s’il n’atteint pas les 5%, il ne pourra même pas prétendre à la fusion avec le candidat de la gauche qui devrait se maintenir au second tour.
La liste centriste d’Eric Lafond (baptisée 100% citoyen) est elle aussi restée relativement invisible. Le candidat a voulu se présenter comme à son habitude, à chacune des élections locales (on le connaît désormais assez bien à Lyon, où il a mené plusieurs campagnes municipales notamment). C’est-à-dire pragmatique. Après les attentats, il a voulu garder la tête froide, en ne conservant que des propositions qui entrent dans les compétences habituelles de la collectivité, sans sécurité.
6/ Jean-Charles Kohlhaas ou la question de l’entre-deux-tours
Jean-Charles Kohlhaas fait actuellement parti de l’exécutif de Jean-Jack Queyranne. Elu EELV et président de la commission Transports, il a choisi de partir sur une liste autonome, aux côtés du Parti de gauche et de Nouvelle donne.
La gauche partant donc divisée, il cristallise la question de l’entre-deux-tours. On s’attend à ce que l’union sacrée soit néanmoins amendée face à Laurent Wauquiez, le conseiller régional écolo martelant depuis le début de sa campagne que le candidat de la droite est l’homme à abattre.
Il devra compter ses voix (on l’imagine autour des 6%, tout juste de quoi pouvoir fusionner), d’une part pour peser dans les négociations avec son actuel président de région, d’autre part pour imaginer constituer un barrage face à la droite dure que représente Laurent Wauquiez.
Mais selon un sondage OpinionWay (le dernier sorti, pour Valeurs actuelles), le report de voix des listes de la gauche reste une affaire complexe pour Jean-Jack Queyranne. En effet, 37% des électeurs de Cécile Cuckierman (PC) et 21% de ceux de Jean-Charles Kohlhaas (EELV), qui ont exprimé leur intention de vote pour le premier tour, n’en ont pas donné pour le second tour.
Dans un sondage portant sur un échantillon conséquent, publié ce 3 décembre, Le Monde voit également Laurent Wauquiez vainqueur au second tour, à 1 point seulement de Jean-Jack Queyranne. De quoi garder le suspense entier, d’ici dimanche soir.
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> Article mis à jour à 16h avec le communiqué de Jean-Jack Queyranne sur les « données publiques ».
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