Cet organisme n’est donc plus une agence publique bénéficiant de subventions, ni un label. Flou dans sa position et ses objectifs, il a en plus démarré sa com’ en faisant tiquer les patrons.
Si c’était à refaire, le patron d’Erai Monde s’y prendrait autrement. Eddy Diot l’admet volontiers, sa dernière newsletter proposant de se « faire plaisir pendant les fêtes de Noël avec du caviar russe et de la vodka à 40° ! » a été diversement appréciée dans le réseau économique.
Des oeufs d’esturgeon en boîte, en bocal, en cubes apéritifs, à saupoudrer ou pour assaisonner, accompagnés d’une vodka dans une bouteille Kalashnikov : voilà un mélange détonnant pour célébrer la naissance de la nouvelle entité.
Rassurez-vous, la bouteille en forme de AK-47 pour servir le breuvage avait été proposée avant les attentats du 13 novembre.
« On a été surpris par les réactions. C’est très culture russe de faire une opération de promotion comme celle-là au moment des fêtes ».
En bon commercial, celui qui est également repreneur de la plateforme Erai Russia va donc profiter de la prochaine newsletter pour « rattraper l’affaire ».
Il va s’agir de s’expliquer auprès de ceux qui ont été choqués cette nouvelle activité de trading proposée par Erai Monde. Ce sera également l’occasion de faire du tri dans les fichiers entre ceux qui peuvent être intéressés par l’achat de produits étrangers et ceux qui souhaitent s’en tenir aux informations générales concernant la structure, comme c’était le cas avec feu Erai (Entreprise Rhône-Alpes international).
Car aussi anecdotique que puisse paraître cette histoire de caviar et de vodka, elle symbolise bien ce qui a changé depuis le printemps.
La Région donne le coup de grâce à Erai
En juin dernier, le tribunal de grande instance de Lyon a liquidé ce qui était le bras armé de la Région pour l’aide à l’export des PME rhônalpines depuis 1987. Il s’agissait d’aider les entreprises souhaitant se développer à l’international à cibler les marchés et les débouchés susceptibles d’être porteurs, faciliter les démarches, les contacts, l’implantation grâce à une bonne connaissance du pays visé.
Le refus d’une majorité de conseillers régionaux (droite, écolos, FN) de voter en mars une subvention de 4,7 millions d’euros a donné le coup de grâce à l’association portée sur les fonds baptismaux par Alain Mérieux.
Il ne s’agit toutefois là que de l’ultime péripétie d’un mauvais feuilleton débuté avec le calamiteux investissement du pavillon Shanghai à l’occasion de l’Exposition universelle de 2010. Laissant à Erai une ardoise dépassant les quatre millions d’euros, cette opération va provoquer une fuite en avant de la structure entre vie à crédit et multiplication des antennes à l’étranger pour rechercher (désespérément) de nouvelles ressources.
Jusqu’à ce qu’une majorité hétéroclite d’élus baisse le pouce, contre l’avis de l’exécutif, sur fond de campagne régionale.
Si la responsabilité du président de l’association – Daniel Gouffé – est patente, celle de la collectivité – bailleur de fonds à 60% – est évidente. La Région, guère aidée par les milieux économiques représentés au conseil d’administration, a tenté de mettre le holà bien tardivement au sein de l’un de ses satellites.
Dans un récent entretien accordé à Acteurs de l’Economie, Jean-Jack Queyranne assume:
« Je prends ma part de responsabilités dans le triste feuilleton Erai. Mais ces responsabilités-là devaient-elles engager à condamner, sans la réformer, une institution reconnue par ses partenaires internationaux (Québec, Shanghai) ? »
Mais seulement après avoir pointé la responsabilité des autres élus :
« Les Verts ont pris Erai en grippe, en premier lieu parce qu’ils n’aiment pas le commerce international. Une partie de la droite, incitée par Laurent Wauquiez, a elle aussi décidé et pour des raisons purement politiques de mettre à mal la structure.Dès qu’une entreprise est en difficulté dans la région, le conseil régional se mobilise. Or, là, pour des motifs idéologiques ou stratégiques, ses contempteurs ont tué Erai et doivent endosser la responsabilité d’avoir fait perdre leur emploi à 140 personnes. »
« On est monde. Erai Monde »
Sept filiales d’Erai ont été reprises à la barre du tribunal. Les agences installées en Turquie et au Vietnam par leur chef de bureau, celles de Russie et d’Allemagne par des « opérateurs pays » à l’image d’Eddy Diot conseiller économique au consulat honoraire de Russie, et les implantations à Dubaï, en Chine et au Maroc par le groupe Salvéo. Soit une centaine d’emplois sur plus de deux cents.
Chacun des indépendants se rend toutefois vite compte que l’affaire va être compliquée sans la base lyonnaise sur laquelle s’appuyait Erai. Les contacts se multiplient dans le réseau des ex de l’association disséminés dans le monde et désireux de faire du business ensemble, maintenant qu’il n’y a plus d’attache institutionnelle. Eddy Diot résume la démarche:
« Nous ne sommes pas Entreprise Rhône-Alpes international. On ne fait pas exactement la même chose. Erai défendait Rhône-Alpes. Nous, on s’occupe des entreprises dans toute la France. On n’est pas financés par la Région et on fonctionne dans les deux sens: le bureau du Canada peut vendre aux Canadiens une prestation pour la Russie qui lui-même peut vendre aux entreprises locales une prestation pour la France, etc. La seule chose que l’on conserve d’Erai c’est une forme d’esprit. On s’est dit : nous ne sommes pas Entreprise Rhône-Alpes international, alors qu’est-ce qu’on est ? Comme on vient par l’extérieur via les plateformes pays, on est monde. Erai Monde. »
La naissance de la nouvelle entité en septembre, avec cette appellation, va faire grincer des dents chez Salvéo, repreneur de trois des agences. Début novembre, Johann Sponar, directeur général du groupe remarque ironiquement dans le Journal des entreprises :
« Avec son partenaire du Vietnam, le repreneur de l’ancien bureau Erai fait sa promotion sous le nom Erai Asia. Sauf que moi, j’ai racheté Erai dans un tout petit pays d’Asie, la Chine… »
Plus globalement, la naissance d’Erai Monde risque de brouiller le message pour la Région si la majorité qui va sortir des urnes le 13 décembre prochain décide de se doter à nouveau d’un bras armé en matière d’export. Laurent Wauquiez, qui a évoqué cette hypothèse lors de la présentation de son programme le 24 novembre, semble lui-même ignorer l’existence de cette entité.
Erai Monde dans les yeux de son patron
Mais au fait, Erai Monde, qu’est-ce que c’est au juste ? Son patron, Eddy Diot, la définit ainsi:
« On est un prescripteur pour les entreprises, entre le client et l’opérateur. Si vous êtes mon client, je vais vous dire que je peux vous emmener vers beaucoup de destinations. On a aujourd’hui 41 pays contre 21 pour Entreprise Rhône-Alpes international. Je vais vous garantir que la prescription que je vous donne sur tel pays, que j’encadre et que je contrôle, est probablement la meilleure. A la différence des entreprises concurrentes (Salvéo, ndlr) qui proposent 40 ou 50 pays avec leurs propres bureaux – plus ou moins bons selon les spécialités – nous on a qualifié les meilleurs dans chaque pays. C’est une sorte de fédération de spécialistes pays, une banque de données de ce qui se fait de bien ici où là. A la différence des généralistes implantés partout. »
La nouvelle entité fait donc commerce de ce métier d’intermédiaire:
« Nous vivons sur la remise que nous font ces opérateurs. Si vous travailliez directement avec eux, vous ne paieriez pas plus cher. Sauf que l’on estime que nous sommes qualifiés pour contrôler le travail qui y est fait et pour commercialiser cela. Les uns apportant des affaires aux autres. Il y a une charte qui est signée entre les différents opérateurs. »
Ne pas répéter les erreurs d’Erai
Erai Monde compte aujourd’hui une douzaine de salariés et fédère plus de cinq cents personnes. Là encore, il s’agit pour Eddy Diot d’un choix délibéré:
« Les commerciaux venant d’Erai sont des indépendants. De manière à ce que tout le monde soit patron et soit responsable. C’est une structure qui permet de ne jamais se casser la figure. Si l’un d’entre nous tombe, il n’emmène pas les autres. On a essayé de ne pas répéter certains défauts de l’ex Entreprise Rhône-Alpes international. Nous, on ne veut pas d’argent public de la façon dont il était donné avant. On ne veut pas aller voir la Région à la fin de l’année en disant: voilà, on a perdu trois millions, est-ce que vous pouvez combler le déficit ? »
Il serait toutefois logique de penser qu’en l’absence de subvention publique, l’aide à la recherche de débouchés internationaux que fournissait Erai reviennent aujourd’hui plus cher aux entreprises qui cherchent à exporter. Pas du tout assure Eddy Diot:
« Les prestations coûtent exactement le même prix. Avant, le système était tellement gras que la Région Rhône-Alpes payait la graisse (…) Quand, au bout du monde, Erai facturait 600 euros la journée un Vietnamien à une entreprise, on a du mal à comprendre comment ils arrivaient à perdre de l’argent. Mais dans notre système, il n’y a plus aucun gros salaire à 140 000 euros… »
« Des hommes d’affaires, pas une administration »
A ses yeux, ne pas dépendre de l’argent public présente également un avantage:
« Contrairement à Erai, nous fonctionnons dans les deux sens. C’est-à-dire aider les entreprise françaises à exporter et les entreprises étrangères à vendre en France. On n’a pas de conduite à avoir par rapport à ça puisque nous ne sommes pas subventionnés par une Région. Au-delà de cette opération caviar-vodka un peu pour rigoler, je représente déjà une quarantaine de sociétés russes ici. Nous sommes une entreprise de business qui gère ses clients. »
Le commercial en profite pour remettre une dernière couche sur feu l’association :
« J’ai l’impression que les ex Erai n’avaient aucun contact concret avec les produits qu’ils étaient censés commercialiser. Ils n’avaient que des fiches techniques. Moi je suis un homme de terrain. Le client que je prospecte en Russie pour une entreprise française de bière, eh bien je la lui fait goûter. Je ne reste pas sur la théorie. On a l’impression qu’Entreprise Rhône-Alpes international était une sorte d’administration. Nous, on est des hommes d’affaires. On met les mains dans le cambouis si c’est nécessaire. »
C’est à se demander pourquoi Eddy Diot a choisi ce nom et se revendique de « l’esprit d’Erai ». Un « esprit » qui ne tente manifestement plus grand monde.
Jean-Jack Queyranne vient lui-même d’expliquer à Acteurs de l’Economie :
« Il ne faut pas recréer Erai. Nous nous appuierons sur les missions des pôles de compétitivité, doublerons le nombre de VIE (volontariat international en entreprise, NDRL) et augmenterons la durée de ces contrats, consoliderons les présences fortes, là où politiquement et stratégiquement il est indispensable d’entretenir des relations poussées (Shanghai et Québec notamment) (…) il faudra mettre en place un contrôle plus sérieux et sévère de la part de la Région. »
En septembre dernier, Laurent Wauquiez ne disait pas autre chose au magazine économique :
« Il faudra reconstruire un outil performant d’accompagnement des entreprises à l’export. Et pour cela, je m’emploierai à mettre tout le monde ensemble (…) je ferai du chantier de l’international l’un de mes premiers défis. »
Sans plus de précision quant aux structures dont il se doterait. Avec le risque de voir le nom d’Erai Monde parasiter toute démarche parapublique.
« Amener les collectivités sur du concret »
Malgré son discours, Erai Monde ne se départit pas totalement des Régions :
« On étudie des approches un peu plus modernes et des propositions très concrètes que l’on pourrait leur faire, avec une garantie de résultat. Vous avez par exemple une entreprise russe qui a conçu une sorte de cerveau pour donner des ordres à des robots. C’est pédagogique et ça pourrait s’adresser à l’Education nationale », prétend Eddy Diot.
« Quand les Russes me demandent si je peux vendre ça en France, je leur explique que ça va être difficile. Je vois mal le gouvernement équiper les écoles françaises avec des produits russes. Par contre, une société française pourrait constituer une mallette pédagogique incluant le cerveau russe.
Pour arriver à ce résultat, Eddy Diot imagine demander à la Région non pas de l’argent mais de la communication.
« La Région réunirait les sociétés de robotique qu’elle connaît au cours d’une petite soirée sympathique afin qu’on leur présente les projets susceptibles de les intéresser ».
Eddy Diot déroule le plan final, qui prévoit donc d’exclure toute demande d’aide publique :
« Ensuite, nous participons à la relation technique qu’il peut y avoir entre les entreprises pour que le produit soit élaboré et que la finalité de distribution européenne de ces produits pensés en Russie se fasse à partir de Lyon avec des entreprises régionales. Nous, à la fin, on se fera payer par les entreprises, pas par la collectivité ».
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