La nouvelle grande région Auvergne Rhône-Alpes va-t-elle basculer à droite ? Oui si l’on en croit le rapport de forces issu des élections départementales de mars 2015.
Pour autant, de récents sondages prédisent une victoire de Laurent Wauquiez avec une avance relativement faible.
Au lendemain du premier tour des élections départementales de mars dernier, une rapide projection des résultats appliquée au futur territoire régional préfigurerait une victoire sans appel de la droite aux prochaines élections régionales.
Pour rappel, la droite et ses alliés avaient obtenu près de 38 % des suffrages dans les cantons des deux régions et devançaient de 17 points environ le Parti Socialiste et ses alliés traditionnels (20,9% des suffrages exprimés). Le Front National quant à lui obtenait dans les cantons des deux régions 24,6 % de quoi espérer une présence au second tour pour les régionales à venir.
Ce constat n’est qu’une projection et comporte plusieurs limites :
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les modes de scrutin sont différents : binominal à deux tours pour les départementales, scrutin de listes pour les régionales ;
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les élections régionales de 2015 assurent la présence de toutes les listes sur l’ensemble du territoire alors que pour les départementales toutes les formations politiques n’étaient pas présentes sur l’ensemble des cantons ;
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une limite particulière et unique : les électeurs des communes de la Métropole de Lyon (hors du département du Rhône depuis le 1er janvier) n’ont pas voté lors des départementales de 2015.
Dans une simple équation droite/gauche, la victoire de la droite semble donc acquise.
Retour à droite, la fin d’une « anomalie » ?
La future grande région est composée de deux territoires actuellement dirigés par les socialistes René Souchon (Auvergne) et Jean-Jack Queyranne (Rhône-Alpes). Dans un contexte national particulièrement défavorable au gouvernement, un retour à droite serait-il alors un simple effet de balancier ? Pas vraiment quand on songe aux ancrages forts de la droite sur des terres comme le Cantal ou la Haute-Loire en Auvergne ou encore aux longues années de présidence du centre en Rhône-Alpes.
Si les deux régions, Rhône-Alpes et Auvergne, ont connu l’alternance, elles se positionnent généralement à droite (surtout Rhône-Alpes) lors des élections régionales. Depuis 1974 et les premières élections régionales, elles ont été dirigées majoritairement par la droite et le centre :
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Auvergne : 21 ans de présidence de droite et du centre (1974-1977 et 1986-2004), 20 ans de présidence de gauche (1977-1986 et depuis 2004)
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Rhône-Alpes : 30 ans de présidence du centre (de 1974 à 2004) et 11 ans de présidence de gauche (depuis 2004).
Dans la foulée des législatives anticipées de 1997 qui voient la victoire de la gauche, l’Auvergne reste à droite. Rhône-Alpes également, dans un contexte bien particulier toutefois qui voit la droite et le centre obtenir le même nombre d’élus que la gauche plurielle. L’élection à la présidence de Charles Millon ne sera obtenue qu’avec le soutien des voix des élus du Front National.
Toutefois, difficile d’écarter l’influence nationale sur le scrutin régional. En 1986, tandis que François Mitterrand est président de la République, l’Auvergne bascule à droite, dans le sillage des élections européennes de 1984 largement remportées elles aussi par la droite -tout comme les cantonales de 1985.
Les deux régions basculeront plus tard toutes les deux à gauche en 2004, dans un climat défavorable à un gouvernement, de droite cette fois.
Emmanuel Saint-Bonnet, politologue et animateur du site Atlaspol, n’est pas si certain d’une influence forte du contexte national :
« Avant, pour les régionales, on votait par département et on ne savait pas qui allait sortir du chapeau et devenir président de région. On votait davantage pour sanctionner le gouvernement en place. Depuis 2004, il y a une plus grande personnalisation du vote. Le vote sanction peut être moindre pour ce scrutin. »
Combien l’Auvergne pèse-t-elle ?
La fusion de ces deux régions favorisera-t-elle donc un retour à droite ? Largement à droite lors des scrutins régionaux entre 1986 et 2004, les deux régions ont peu à peu glissé à gauche lors des deux derniers scrutins régionaux.
NB : Sur ces cartes nous présentons le bloc arrivé en tête en nombre de voix au premier tour des régionales depuis 1986 par département. Nous avons compilé les scores des formations de la gauche parlementaire et de la droite et du centre. De 1986 à 2004, le scrutin ne se déroulait que sur un seul tour.
« La droite reste largement majoritaire en Rhône-Alpes et si l’Auvergne présente un réservoir de voix pour la gauche non négligeable, elle risque de peser faiblement dans le scrutin », explique Emmanuel Saint-Bonnet.
Selon les derniers chiffres de l’INSEE, Rhône-Alpes compte en effet un peu plus de 4 millions d’électeurs alors que l’Auvergne seulement un million.
Vue de Rhône-Alpes, la mariée auvergnate est-elle plutôt à droite ? Pas vraiment, l’Auvergne apparaît plutôt comme une région électoralement contrastée.
Elle présente des bastions de droite comme le Cantal et la Haute-Loire. Lors des scrutins régionaux, la gauche et ses alliés n’ont ainsi jamais été majoritaires depuis 1986 au premier tour, dans ces deux départements. Maire du Puy-en-Velay (Haute-Loire), Laurent Wauquiez tête de liste Les Républicains-UDI-Modem, devrait faire le plein de voix dans son département.
« On peut assister à une surprise dans le Cantal, historiquement à droite mais qui, depuis une dizaine d’années, glisse tout doucement à gauche, comme d’autres départements du Massif Central. Aux dernières départementales, la Lozère a ainsi basculé à gauche », analyse Emmanuel Saint-Bonnet.
A côté de ces deux départements ancrés à droite, l’Auvergne présente des territoires où la gauche et l’extrême gauche sont particulièrement implantées. Ainsi la carte des résultats par commune du premier tour des élections régionales de 2010 montrent que la liste socialiste est en tête dans de nombreuses communes du Puy-de-Dôme et de l’Allier. Le Front de Gauche est lui arrivé en tête à l’est du Puy-de-Dôme sur la circonscription du député communiste André Chassaigne, ainsi que dans plusieurs communes de l’Allier.
La carte de l’évolution de l’écart entre les voix de gauche et de droite entre les deux tours en 2010 (carte « Entre deux tours » ci-dessus), montrent que les plus fortes progression se retrouvent justement dans ces deux départements. Le report des voix d’extrême gauche semble donc s’opérer positivement. Même si elle demeure battue, la gauche progresse également en Haute-Loire en 2010.
« En Auvergne l’électorat de gauche est plus classique, encore ouvrier, plus discipliné, ce qui explique qu’il se mobilise plus au second tour. Alors qu’en Rhône-Alpes il est un peu plus coupé de ses racines sociologiques. Le Puy-de-Dôme (malgré de lourdes défaites aux dernières municipales), ou pour partie l’Allier, constituent un réservoir de voix non négligeables. Mais l’Auvergne reste trop peu peuplée pour peser», estime Emmanuel Saint-Bonnet.
Pour le politologue, malgré son faible poids dans le corps électoral, l’Auvergne pourrait affecter le score du Front National. Sur ces terres, ses scores aux régionales y sont faibles.
« Cela pourrait faire perdre 1 ou 2 points au score global du FN dans la région », estime-t-il.
La droite « largement majoritaire » en Rhône-Alpes
Vu d’Auvergne, que voit-on arriver ? Une région toute rose en 2010, y compris dans des départements traditionnellement à droite comme le Rhône ou la Haute-Savoie. Mais qui vient de voter largement à droite lors des dernières départementales, trois conseils départementaux basculant ainsi à droite (Isère, Ain, Drôme).
L’évolution des écarts de voix entre gauche et droite entre les deux tours en 2010 montrent d’ailleurs que c’est en Rhône-Alpes que la gauche a le moins progressé. Alors même que le Front National se maintenait au second tour, contrairement à l’Auvergne où il n’était pas parvenu à se qualifier.
Les résultats du scrutin de 2010 montrent que la gauche reste toutefois fortement présente en Ardèche (où elle a sauvé le conseil départemental) ainsi que dans la Drôme où l’Isère. Ces deux départements sont également ceux où Europe Ecologie-Les Verts est en tête au premier tour du scrutin.
« En Rhône-Alpes, la gauche sera peut-être devant, dans la Métropole de Lyon, en Ardèche, dans la couronne Grenobloise. Mais en dehors, je ne vois pas où la gauche peut être en tête », estime Emmanuel Saint-Bonnet.
La surprise qui vient du centre ?
Si les différents sondages qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui montrent tous un avantage en faveur de Laurent Wauquiez, la résistance de la liste menée par le président socialiste sortant Jean-Jack Queyranne surprend.
« Ces sondages me laissent à penser qu’il est possible que nous assistions à une sectorisation du vote. Ainsi Laurent Wauqiez ferait le plein de voix en Auvergne, chez lui, mais la progression de la droite serait moindre en Rhône-Alpes qui est le plus gros réservoir de voix. C’est la seule surprise à laquelle nous pourrions assister », affirme le politologue.
Autre raison d’espérer pour le président sortant : le profil de son principal adversaire. Ce qu’il ne manque d’ailleurs pas de marteler dès qu’il en a l’occasion et qui pourrait échauder des électeurs centristes.
Les socialistes du Rhône, malgré des rapports très délicats avec l’actuel président de Région, ont d’ailleurs réalisé un tract pour tenter de contrer la « dédiabolisation » que tente d’opérer Laurent Wauqiez et rappeler son positionnement très droitier dans un passé pas si lointain.
« Il ne faut pas négliger l’électorat centriste qui est au-dessus de la moyenne en Auvergne et en Rhône-Alpes. Queyranne peut en récupérer une partie car la figure de Wauquiez très droitière ne passe pas chez tous les centristes. Et il lui faut prendre le maximum de voix dès le premier tour puisqu’il est le candidat, FN mis à part, qui disposera certainement du moins de réserve entre les deux tours.»
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