La quarantaine, ne parlant pas français. Fatima élève seule ses deux filles. Et s’épuise en faisant des ménages pour subvenir à leurs besoins. Lorsqu’un accident la force à conserver la chambre, elle commence à consigner ses pensées en arabe ; à révéler tout ce qu’elle a porté en silence durant des années.
Au cinéma, aucune parole n’est censée demeurer cryptique, grâce au secours de cet interprète universel qu’est le sous-titrage. Quelle supériorité sur la vraie vie, où l’absence de langue commune peut faire croire mutuellement à deux savants qu’ils sont analphabètes !
En demeurant au plus près de cette « vraie vie », Fatima nous permet d’entendre des voix inaudibles — parce qu’elles n’osent pas parler ou parce que nous n’en maîtrisons pas l’idiome.
Exaltant les vertus cathartiques de l’écriture, sa fonction édificatrice dans l’estime de soi, Philippe Faucon n’omet pas d’évoquer la puissance du langage au quotidien. Il montre ainsi par quels biais sournois le microcosme quartier/famille tente d’empêcher les filles de Fatima de s’émanciper.
Il faut qu’on parle
En exerçant une violence psychologique insidieuse à travers des insinuations visant à déconsidérer l’honneur de l’aînée, Nesrine ; à humilier et exclure Fatima de la communauté, au motif jaunâtre qu’elle, a réussi — puisqu’elle a favorisé la réussite de ses filles.
Nabil Ayouch avait déjà exposé dans Much Loved l’emprise ravageuse du qu’en-dira-t-on dans les cultures du Sud : lorsque son ombre menace les apparences, il n’y a plus de lien familial qui tienne — on abandonne la brebis désignée comme galeuse par la foule.
Faucon démontre que l’éducation a donné à Nesrine, outre la force morale d’affronter les ragots, des arguments à opposer à son père lorsque s’engage entre eux une discussion sur la différence de traitement entre une fille et un garçon. Au fil de leur joute dialectique, la jeune femme renvoie calmement son père à ses archaïsmes, à ses a priori, à ses contradictions d’homme prétendument ouvert d’esprit. CQFD.
Posé, composé, resserré et cependant d’une incroyable densité, Fatima devrait être projeté à tous les réalisateurs estimant indispensable de se calquer sur certaines formes ou certains formats pour donner une coloration « sociale ».
Vous ne trouverez pas ici de plan-séquence interminable, de caméra à l’épaule épileptique ou d’image crasseuse. Le superflu a été écarté ; seule reste une quintessence de film, portée par des interprètes (professionnels ou non) tous intenses.
A lire aussi : qui est Fatima ?
Pour le rôle principal, qui donne son nom au film, le réalisateur a déniché une non-professionnelle sidérante : Soria Zeroual, femme de ménage à Givors (commune de la banlieue lyonnaise). L’actrice débutante revient sur cette aventure hors norme sur Rue89 :
« Mon frère connaissait quelqu’un qui connaissait le directeur de casting de Philippe Faucon… Il cherchait une femme qui parle le français, mais pas parfaitement.
Au départ, j’ai passé un casting avec mes voisines. Je pensais que c’était pour un rôle de figurante. On m’a interrogée sur ma vie, mon mari, mes trois fils. Je suis rentrée chez moi et deux jours plus tard, j’ai été convoquée pour rencontrer Philippe. Une semaine plus tard, j’ai appris que j’avais le premier rôle. »
Fatima Elayoubi, dont le livre autobiographique est à l’origine du film :
« Je voulais que cette femme, dans le film, soit lumineuse, fière et digne, malgré l’adversité… Elle respecte la France et croit en un avenir possible. »
Fatima, de Philippe Faucon (Fr, 1h19) avec Soria Zerroual, Zita Hanrot, Kenza-Noah Aïche…
Par Vincent Raymond sur petit-bulletin.fr.

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