Fermée en temps normal au public, elle n’est visitable que durant les journées du patrimoine.
Sur les hauteurs du quartier de Montchat dans le troisième arrondissement, se dresse la Villa Berliet. Architecture Art nouveau – quoique peu ornée à l’exception d’une frise qui fait le tour du bâtiment, elle est pudiquement lovée derrière les hauts murs d’enceinte qui l’entoure. De hauts arbres dépassent cependant, qui laissent deviner un vaste parc.
Cette maison bourgeoise de 650 m2, du début du XXè siècle, appartenait jusqu’aux années 1960 à la famille Berliet, du nom du fameux constructeur automobile Marius Berliet. Fils de canut et autodidacte, celui-ci se lança avec succès dans l’automobile au début du XXè siècle, puisque l’usine qui s’étalait à Vénissieux sur 400 hectares a employé dans les années 1970 presque 25000 personnes.
Aujourd’hui le site héberge l’usine Renault Trucks, après avoir été Renault Véhicules Industriel (RVI).
Désormais, la villa accueille les locaux de la Fondation de l’automobile Marius Berliet. Et à l’intérieur, elle déploie à l’abri des regards ses proportions impressionnantes et ses vitraux, témoins de la réussite passée de la famille Berliet.
Une villa à la taille d’un ponte de l’industrie
C’est en 1911 que Marius Berliet fait entamer la construction de cette villa bourgeoise. L’entreprise Berliet est alors en pleine expansion. La vente à une entreprise américaine de la première gamme d’automobiles réalisée en 1905 par l’usine Berliet a permis de dégager des fonds substantiels et l’heure est à l’agrandissement et à la modernisation. Et l’ancienne usine de Montplaisir, site originel de l’entreprise, atteint à ce moment-là son espace maximum.
Marius Berliet étudie donc la construction future d’un ensemble monumental à Vénissieux et dans le même temps, les plans d’une villa qui soit digne de l’industriel qu’il est devenu, comme c’est l’usage. Question de crédibilité.
Dans ce contexte il choisit donc cet emplacement, à côté de son ancienne maison dans le quartier de Montchat, qui reste relativement proche de Montplaisir comme de Vénissieux. Le chantier dure un an et l’architecte en charge est Paul Bruyas, sur une surface totale d’environ 8000 m2 en comptant le parc. Pour l’ameublement et la décoration intérieure, les artistes nancéiens Jacques Gruber et Louis Majorelle sont mis à l’ouvrage.
Les travaux de la villa continuent par intermittence durant la Première Guerre mondiale, afin de parfaire l’édifice. Puis en 1928 une aile est ajoutée au bâtiment pour accompagner l’agrandissement de la famille.
Folie des grandeurs VS rigueur au foyer
Mais son aspect extérieur n’est pas tape-à-l’oeil. L’architecture Art nouveau de la villa, bien qu’imposante avec sa tour-belvédère, est pensée dans une idée de sobriété à contrepied du faste déployé par exemple dans une autre villa bourgeoise, celle de la famille Lumière construite en 1902.
La vice-présidente de la fondation Monique Chapelle, qui nous accueille, a été secrétaire de Paul Berliet pendant plus de trente ans. Elle raconte que la famille Berliet garde à l’époque, et malgré sa réussite, un style de vie rigoureux qui se « rapproche de celui des protestants ». Ils « reçoivent peu » et en conséquence, la villa dispose de « peu de salles d’apparat ». A l’exception notamment du hall principal aux proportions immenses, orné de vitraux aux murs et au plafond, de lustres et de lambris.
Et pour cause, les Berliet sont issus d’un groupe de chrétiens traditionalistes nommé La Petite Eglise, des anti-concordataires. Leur style, à la maison comme au travail, est donc résolument paternaliste et traditionnel.
Si la construction de la villa répond à un besoin d’assumer publiquement leur réussite et doit être imposante, on ne « gaspille pas l’argent », on reste « discret » et « laborieux », et la vie est organisée autour d’une « famille très soudée ».
Bouleversements à la Libération
Arrive la seconde guerre mondiale et la Libération. Jugé et condamné pour collaboration, Marius Berliet est incarcéré à Montluc et la famille écartée de la direction de l’usine. Et dès septembre 1944, la villa est réquisitionnée par la mairie de Bron pour y accueillir l’état-major américain. Après ça, elle est louée durant plusieurs années par la famille Berliet à des consulats étrangers.
Puis en 1958, à la mort de Louise Berliet, les sept enfants Berliet décident finalement de l’apporter au capital de l’entreprise, en y ajoutant une condition : qu’elle ne reste pas à l’abandon et soit utilisée. À cette époque, Paul Berliet, le fils cadet, est parvenu à revenir progressivement à la tête de l’entreprise fondée par son père. Sa présidence est marquée par trois idées, raconte Monique Chapelle :
- un « transfert de compétences » à destination des pays en voie de développement,
- la recherche, avec la création du pôle « Etudes et Recherches », inauguré en 1962 qui doit permettre à l’entreprise de conserver une capacité d’innovation,
- la « succession symbolique » de son père.
La villa s’insère d’abord dans le premier volet, puisqu’elle est alors transformée… en internat pour étudiants apprentis venus de pays émergents. Durant une quinzaine d’années, la villa héberge ainsi une vingtaine de jeunes venus du Sénégal, de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de la Côte d’Ivoire ou du Congo, invités par l’entreprise pour être formés pour la plupart aux chaînes de montages. Plus tard, revenus dans leurs pays, la plupart travailleront dans les filiales de Berliet à l’étranger.
Afin de pouvoir héberger autant de monde, une autre aile est ajoutée pour relier le bâtiment principal avec le pavillon du gardien, et des dortoirs sont aménagés à l’intérieur. C’est la partie la plus récente de la villa et elle ne respecte pas les codes architecturaux de l’ensemble.
Et en 1981 la villa s’insère dans le second volet des ambitions de Paul Berliet, au moment où celui-ci crée la fondation. La villa est en effet cédée à la fondation par le groupe RVI (qui a fait l’acquisition des usines Berliet en 1975) et accueille dès lors ses bureaux et ses archives.
De nos jours, les locaux de la Fondation de l’automobile Berliet
La Fondation de l’automobile Berliet est donc créée en 1981 ; elle est reconnue d’utilité publique dès 1982. Elle est actuellement constituée de cinq salariés à temps plein dont trois documentalistes professionnels, qui ont ainsi leurs locaux dans la villa.
Des pièces ont donc été transformées en bureau, comme c’est le cas de l’ancienne salle à manger, dont les murs, lambris et une partie de la décoration Louis XVI ont été conservés en état.
La vice-présidente de la fondation, Monique Chapelle (qui est aussi présidente de l’association des Amis de la Fondation) explique que son « cœur de métier » est de s’occuper des archives qui sont conservées au sous-sol dans une salle dédiée. Archives des usines Berliet, mais aussi plus largement de celles de l’automobile en France (revues, archives d’autres sociétés, etc) car à la fondation Berliet, « on ne fait pas de ségrégation », commente-t-elle. Elle explique également que si le fond Berliet est plus fourni, c’est une question logique d’accessibilité.
Ce rôle de conservation, la fondation l’étend également à un certain nombre de modèles de collection, qui sont stockés pour la plupart dans un local à Montellier (Ain). Elle explique qu’il n’est pas à proprement parler un musée, car pour avoir ce statut officiel cela coûterait trop cher. Elle préfère donc parler de conservatoire (visitable à l’occasion de la « fête des Amis de la Fondation » sur demande, ou pour des groupes d’au moins quinze personnes à raison de 15 euros par tête).
Actuellement, une pièce de la villa a conservé son mobilier d’origine, le bureau de Marius Berliet, au rez-de-chaussée à gauche en entrant. Dans ce petit sanctuaire, le temps semble bien s’être arrêté.
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