Ce jeudi, Phillipe Durand, directeur scientifique de la société de biotechtnologie Kallistem basée à Lyon et ancien directeur de recherche à l’Inra, n’a pas caché sa satisfaction :
« Cela faisait 40 ans qu’on essayait, partout dans le monde. Ils en rêvaient. On l’a fait ! »
Avec Marie-Hélène Perrard, chercheuse au CNRS, Philippe Durand est parvenu à une prouesse : obtenir en laboratoire des spermatozoïdes humains complets à partir de tissus testiculaires d’hommes infertiles. Présentée ce jeudi en conférence de presse à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, cette première spermatogenèse in vitro au monde a fait l’objet d’un dépôt de brevet publié en juin 2015, après des années de recherche.
La spermatogenèse, nom un peu compliqué pour désigner le processus de création des spermatozoïdes, peut être comparée à un chemin, découpé en plusieurs étapes.
- Au point de départ se trouvent des spermatogonies, sortes de bébés spermatozoïdes.
- Ces spermatogonies sont présents chez les petits garçons dès leurs plus jeunes âges, et s’activent uniquement au moment de la puberté.
- A cette période de la vie, les spermatogonies passent par différents stades de développement jusqu’à devenir, au bout du chemin, des spermatozoïdes.
Les scientifiques émettent des réserves
Or, chez certains hommes, les spermatogonies ne parviennent pas à franchir toutes ces étapes. Le processus se bloque, empêchant la production de spermatozoïdes et rendant ces personnes infertiles. C’est le cas notamment des hommes atteints d’azoospermie secrétaire, ou ceux qui ont suivi dans leur enfance un traitement contre le cancer.
Après plusieurs années de travail, Marie-Hélène Perrard et Philippe Durand sont parvenus à trouver un moyen d’obtenir in vitro les spermatozoïdes de ces personnes dont la production de spermatozoïdes est défaillante.
Une révolution scientifique « porteuse d’espoir », pour Phillipe Durand :
« Jusqu’à présent, il était extrêmement difficile de soigner un homme qui ne faisait pas de spermatozoïdes, au contraire d’une femme qui n’ovule pas, car, pour elle, en injectant des hormones, le problème est généralement réglé. Avec nos recherches, il est possible de rassembler in vitro les conditions favorables à l’apparition de spermatozoïdes à partir des spermatogonies de ces personnes malades. On ne crée rien, on donne simplement un coup de pouce à ce qui devrait se faire naturellement chez ses patients et qui, pour une raison ou une autre, est bloqué. «
Avant la généralisation de cette technique et sa commercialisation sur le marché, les deux scientifiques doivent toutefois vérifier si les êtres vivants obtenus à partir de ces spermatozoïdes sont normaux. Plusieurs expérimentations sur des rats sont aussi prévues sur les deux prochaines années. Le hic : le coût de ces expérimentations, comme l’explique la président de Kallistem, Isabelle Cuoc :
« Nous sommes une start-up avec tout ce que cela comporte. Actuellement, nous cherchons pas moins de deux millions d’euros pour mener nos projets à bien. «
De plus, les équipes de Kallistem peinent à convaincre certains de leurs confrères. Dans Le Monde, le professeur Isabelle Rives dans le Monde, présidente de la Fédération française des Cecos (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) émet quelques réserves :
« L’équipe de Kallistem est venue exposer ses données il y a quelques jours, lors d’une réunion de biologistes de la reproduction, mais nous avons été déçus, raconte-t-elle. Ils ont fourni quelques explications sur la matrice utilisée, mais aucune statistique, aucun détail quant au nombre d’expériences réalisées… C’est ennuyeux sur le plan scientifique. »
Même scepticisme du côté du professeur Louis Bujan, spécialiste en médecine de la reproduction, directeur d’une unité de recherche en fertilité humaine (université de Toulouse-III) :
« Nous attendons avec impatience une publication scientifique validée par les pairs. Mais d’ici là, il est difficile de se prononcer.»
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