Grand-père et père sur la piste, chacun dans sa catégorie
Depuis le 4 août, la halle Stéphane Diagana et le stade de Balmont, à La Duchère sont le coeur d’une compétition atypique. Avec les sites de Parilly, Bron et Vénissieux ils accueillent les épreuves des XXIe Championnats du monde vétérans d’athlétisme. Le pendant vétérans de la compétition classique qui se tiendra à Pékin du 22 au 30 août 2015. Ici, dans les tribunes du stade, on rencontre des athlètes amateurs et curieux.
Comme les deux Albertvilloises Brigitte Demeyer (catégorie 45-49 ans), et Laurence Jouvet-Fourest (catégorie 40 – 45 ans), ils profitent de l’occasion pour découvrir une ambiance de compétition internationale tout en se mesurant à des vétérans de haut niveau. Le fils d’une trentaine d’années de Brigitte, Yohann, pratique le lancer de marteau et le triple saut. Il a fait le déplacement aujourd’hui pour les voir courir le cent mètres, même si sa mère Brigitte et Laurence avouent avoir peu de chances de passer le stade des qualifications :
« On est vraiment venues par curiosité, mais on n’a pas le niveau. »
C’est aussi le cas de David Lasne, Nantais de 40 ans qui a pu prendre deux jours de congés afin de participer au décathlon. Sa famille l’accompagne et ils logent tous ensemble chez son frère :
« C’est pour ça qu’on vient, pour l’atmosphère ! Il y a les Français que l’on retrouve sur les autres compétitions, mais là on rencontre aussi des athlètes étrangers. On discute et on échange nos performances sur la piste, pendant l’échauffement. »
Pour Christine Courtney, safety officer (chargée de la sûreté), ces championnats du monde seniors sont « une histoire de famille ».
« Parfois il y a même plusieurs générations d’une même famille qui sont représentées : père et grand-père par exemple. »
Cette bénévole à l’accent ouvrier du sud de l’Angleterre travaille aux HM revenue customs (contrôleuse des impôts de sa majesté). Si tout se passe bien, elle sera à la retraite à la fin de l’année prochaine et pourra se consacrer pleinement à l’organisation de ces championnats qui auront lieu probablement à Perth (Australie) ou à Malaga (Espagne) – perspective qui semble ravir cette enthousiaste des mondiaux vétérans.
Avec son mari, ils sont les uniques safety officers du championnat. À eux deux, ils veillent à ce que les athlètes prennent soin d’eux-mêmes et ne repoussent pas trop loin leur limites. Elle admet en riant être un peu comme une mère pour eux :
« Je passe et je leur dis : « Mets bien ta casquette ! N’oublie pas de bien boire ! ». Le problème est que tout le monde ne comprend pas l’anglais, alors je fais des gestes. Ensuite quand ils repassent ils me montrent qu’ils ont bien mis leur chapeau. C’est de l’éducation. »
A raison de deux safety officers pour 8000 athlètes, elle reconnaît qu’« il faudrait avoir des yeux derrière la tête. »
C’est que ces championnats du monde vétérans sont presque intégralement organisés par les bénévoles, à l’exception des cadres. Selon Béatrice Pfaender, présidente du comité départemental d’athlétisme Rhône et Métropole, c’est un changement par rapport aux éditions précédentes, dont l’organisation était confiée à des sociétés privées par les villes.
Cela rend donc l’organisation plus compliquée tant pour l’administration que pour les athlètes, d’autant plus que le prestige réduit de la compétition des vétérans attire moins de bénévoles.
Les athlètes financent leurs championnats du monde
Une des particularité de ces championnats vétérans est que les concurrents doivent entièrement financer leur participation. Cela va de l’inscription, de l’ordre de 120 euros pour deux épreuves, à l’achat de leur dossard à 30 euros et parfois même à la location de matériel.
C’est le cas par exemple des perches de saut en hauteurs puisque difficilement transportables. Une solution a donc été mise en place par l’administration qui s’est fait prêter les perches des clubs de la région et les louent aux athlètes pour environ 15 euros.
A cela s’ajoutent également les frais de déplacement et d’hébergement. Pour venir de Boston aux états-Unis, Jennifer Hegarty, scientifique en charge d’une étude sur les émissions de gaz de la métropole américaine, a ainsi dû dépenser aux alentours de 800 dollars (environ 600 euros) pour son billet d’avion, et près de 800 euros pour une douzaine de jours d’hébergement à l’hôtel.
A 70 ans, Marge Allison a eu quant à elle une mauvaise surprise avec la literie de sa location. Cette nageuse-sauveteuse volontaire qui arbore un bronzage cuivré peaufiné sur les plages du Queensland dans le nord-est de l’Australie, s’est ainsi rendue au stade la veille de ses qualifications pour tenter de faire disparaître les douleurs en se faisant masser. A ses frais également. Initiative salutaire puisqu’elle décroche la médaille d’argent au 100 mètres vendredi 7.
Pour simplifier les choses, les participants des pays les plus représentés, comme l’Australie (111) ou l’Inde (121), se sont organisés en groupe à travers leurs clubs ou associations pour le voyage comme pour l’hébergement. Ils prennent ainsi des airs de véritables délégations.
Un ancien de Wall street, adepte de la « pensée positive »
L’événement a beau prendre un air bon-enfant et demander pas mal de débrouille, il n’en reste pas moins une compétition sportive. Laurence Menu, responsable de la communication de la ligue d’athlétisme Rhône-Alpes :
« Il ne faut pas les croire : même s’ils disent modestement qu’ils viennent par curiosité, quand les participants sont sur la ligne de départ d’un cent mètres, ils sont là pour le gagner. »
L’américain Anselm Lebourne, qui a décroché dimanche 9 août la médaille d’or du 800 mètres hommes 55-59 ans, en est un bon exemple. S’il adopte une attitude très détendue et a l’humour facile, il est méconnaissable au départ d’une course.
« L’important est d’être focalisé sur ce que l’on fait. Avant une course, je ne parle à personne, je suis concentré. Il faut ce qu’il faut pour être le meilleur. »
Lebourne est un ovni des masters. Pour lui tout commence à l’âge de 40 ans, lorsqu’après avoir lu The power of positive thinking, un livre qui a « transformé sa vie », il décide de se mettre à la compétition. Mais avec une audace peu commune, puisqu’il concoure d’abord dans la catégorie « juniors » (moins de 35 ans). C’est alors qu’il en sort vainqueur en surprenant tout le monde.
« Quand à 40 ans je battais des jeunes de 20 ans, ils venaient me voir à la fin de la course en me demandant mon âge. Il y a un entraîneur qui leur a dit un jour : « Peut-être que vous devriez travailler plus dur ! »
Pour Anselm, concourir contre des gens plus jeunes est un moteur :
« ça marche dans les deux sens : moi ça me motive à m’améliorer et eux aussi, ça les pousse. Ils se disent : « comment c’est possible qu’il m’ait battu ? »
Au cours des deux championnats du monde vétérans, Anselm Lebourne a commencé à concourir dans sa catégorie (55 – 59 ans). Sur six compétitions auxquelles il a participé, sur 800 et 1500 mètres, il a gagné huit médailles d’or. Il fait également partie des neuf athlètes mondiaux sélectionnés pour disputer le 800 m des vétérans à Pékin fin août. Dernièrement, il a même été inscrit au USA track and field hall of fame (« salle de la gloire » une distinction honorifique pour les athlètes de haut niveau américains), ce qu’il vit comme une consécration.
Pour cet ancien de Wall Street, qui est maintenant enseignant de business management à l’université Seton Hall dans le New Jersey, c’est devenu « un esprit », une manière de vivre, qui demande des « sacrifices » mais à laquelle il s’est accommodé :
« Je suis végétarien, je ne bois quasiment pas. Le seul moment de l’année où je fais la fête, c’est la semaine du carnaval de Trinidad et Tobago [d’où il est originaire, ndlr], là oui : tous les jours ! Mais c’est le seul moment. »
Le reste du temps, il s’entraîne chaque jour avec deux coureurs d’une vingtaine d’années, avec qui il échange des conseils et du coaching.
« Je continuerai aussi longtemps que je le pourrai. Je cherche toujours à m’améliorer. »
« Mourir en bout de piste »
Face à une telle détermination, ce n’est pas toujours facile pour Christine Courtney, la safety officer, de faire accepter aux seniors qu’ils doivent parfois se ménager. Elle est ainsi souvent appelée depuis l’autre côté de la piste et « sprinte » pour intervenir lorsqu’un athlète montre des signes de faiblesse et s’entête.
« Parfois on a peur pour eux. Imaginez : des gens de plus de 95 ans, comment font-ils même pour prendre l’avion ? Je suis très impressionnée ! »
Les plus de 90 ans sont de fait les athlètes phares de la compétition. Ils accèdent même à une certaine notoriété, comme c’est le cas de l’ancien chirurgien dentiste Charles Eugster, recordman du monde du 200 mètres à l’âge de 95 ans. Celui-ci joue de sa célébrité et n’hésite pas en rajouter et à se mettre en scène sur son site internet.
Leur performance physique était d’autant plus impressionnante vendredi, lorsqu’ils ont dû concourir en pleine canicule, comme on le voit sur cette vidéo de l’AFP.
Plus les athlètes vieillissent, et plus leur persévérance semble se muer en un combat. Au point que certains se laissent emporter par leur volonté et refusent la défaite de leur corps.
Car cela ne va pas sans souffrance. Dans la halle Stéphane Diagana ce jour-là, à proximité des tables de massage, un athlète américain déclare à un bénévole :
« Je ne comprends pas ce qui ne va pas avec mon corps. Parfois quand je cours mes jambes se raidissent, c’est très douloureux. Je commence à avoir des problèmes. Mais j’aime courir, tout le temps ! »
Pour Christine Courtney, c’est simple :
« C’est toute leur vie »
Pus tard, elle intervient lorsqu’un athlète mexicain de plus de 80 ans titube en pleine course. Elle lui crie de ralentir. Quand il termine la course, il est en état de malaise et il est évacué sur une civière par l’équipe médicale.
Elle se souvient alors avec un sourire tendre :
« L’année dernière, une athlète américaine de 92 ans habituée des championnats du monde vétérans est décédée dans son lit. Ça nous a fait de la peine, on la voyait toujours avec son chapeau de paille. Vous comprenez, pour un athlète, mourir en bout de piste, qu’est-ce qu’il peut y avoir de mieux ? »
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