Le budget de la Culture est sanctuarisé. Le candidat François Hollande s’y était engagé à Nantes, le 19 janvier 2012, parce que :
« la culture c’est le lien entre des individus, entre des classes sociales, entre des pays, entre des générations, parce que la crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend plus indispensable, parce que la culture c’est l’avenir, c’est le redressement, c’est l’instrument de l’émancipation et le moyen de faire une société pour tous », etc etc.
Adopter un langage militaire pour mieux ne rien faire
Suivant l’art de la guerre et son vocabulaire, la Culture est un territoire d’importance vitale qui doit être défendu à tout prix contre les attaques ennemies, et plus précisément couvert par la dissuasion nucléaire. Aussi quand le budget de la Culture a diminué de 6% en deux ans, dont 4% dès la première année, Aurélie Filipetti n’a pas compris (article payant) :
« Personne ne comprend notre stratégie », a-t-elle écrit au Président.
Autrement dit l’art d’organiser et de conduire un ensemble d’opérations militaires prévisionnelles et de coordonner l’action des forces armées sur le théâtre des opérations.
L’art, le théâtre, la musique aussi…les alertes partout ! a-t-elle encore écrit, c’est-à-dire des signaux prévenant une force militaire ou une population d’une attaque ennemie l’invitant à prendre des dispositions d’intervention ou de défense passive, car la situation budgétaire du ministère, a-t-elle dû constater, ne permet plus de mener à bien ses missions, actions de combat confiées à une personne ou à une formation.
La décision qui consiste à stopper l’avancée du recul a donc été prise et artistiquement présentée par le nouveau Commandement comme une nouvelle page de la politique culturelle.
La sanctuarisation est une politique de défense nationale qui démontre qu’il est possible de faire quelque chose sans rien faire et qu’il n’est pas impossible de ne rien faire quand on a fermement décidé de faire quelque chose.
Car « la France décide elle seule de ce qu’elle doit faire, a dit Manuel Valls dans sa déclaration de politique générale le 16 septembre 2014, et ce malgré l’évolution exceptionnelle de la conjoncture économique européenne ».
La crise, si vous voulez.
L’utilité sociale réduite à la réussite et au pouvoir d’achat
Cette crise n’est pas le résultat de la politique européenne mais de l’incapacité des pauvres à rembourser l’argent qu’ils n’ont pas.
Car enfin, ce sont les entreprises qui créent des richesses patronales ainsi que des choses qui servent de plus en plus à rien, sinon à occuper des types à préparer des powerpoints, remplir des tableaux excel et développer des stratégies marketing en étant bien contents de ne pas être au chômage pendant que d’autres marchent dans les rues sans regarder les vitrines, incorporant chaque jour plus cruellement le rapport entre nullité sociale et absence de pouvoir d’achat.
Car enfin, ce sont les entreprises qui créent les emplois précaires et les licenciements, c’est pourquoi l’Etat agit en aidant à l’émergence de leaders français, compétitifs au niveau mondial.
Car enfin ce sont les entreprises qui doivent être à la pointe de l’innovation et donc d’une recherche au service des leaders français compétitifs au niveau mondial, c’est pourquoi les financements privés réorganisent l’enseignement supérieur, les masters, les doctorats, la recherche, pour une génération condamnée à rêver à rien d’autre qu’à un avenir aussi programmé que la mort des abeilles.
Car enfin à quoi ça sert, les abeilles, alors que l’industrie agro-alimentaire a inventé le lait concentré, la capsule à café, les coupe-faim, les cinq fruits et légumes par jour et toutes sortes d’innovations dont il faut reconnaître qu’elles nourrissent tout de même l’industrie agro-alimentaire ?
Associée à une idéologie de la réussite qui consiste à être en photo sur Saywho et à avoir des avoirs et toutes sortes de choses qui signifient qu’on est quelqu’un, pas personne, même si tout le monde est un homme libre et égal au sens de la déclaration universelle, la concurrence généralisée permet la défiance généralisée de l’homme au sens de loup pour l’homme, lequel peut toujours, sans déclaration universelle ni rien, se dévorer mutuellement dans une forêt sauvage, au sens de loi de la jungle.
Maintenir la précarité pour éviter de penser
La défiance généralisée sera utilement complétée par le sentiment de précarité bien implanté dans les consciences que c’est la crise et la peur d’ouvrir sa gueule d’animal politique pour dire que cette vie-là, non merci.
Il y a des loosers, mais ne stigmatisons pas les chômeurs et autres précaires de longue durée, ils ne sont pas de mauvaise volonté, même si ceux qui paient tous les jours la dette ne sont pas ceux qui vont pouvoir la rembourser. Cependant, sans remettre en cause notre modèle social, car c’est, osons le dire, l’identité de la nation, apprécions au passage cette formule bloc national pour l’union sacrée associée à l’histoire des luttes sociales, il faut l’adapter, le réinventer, autrement dit renforcer la suspicion de fraude massive aux allocs, à Pôle-emploi, à la sécu et mille autres petites combines de soi-disant ayant-droits qui en profitent pour ne pas travailler alors qu’il y a tant de chômage.
Il y a des problèmes, forcément, à cause des maladies, des suicides et des problèmes personnels qui fragilisent les personnes fragiles, en effet la crise tourmente les vies, les repères, les familles, les quartiers populaires, les territoires ruraux et les liens qui nous unissent, mais le gouvernement s’en occupe.
Pour obéir à Juncker et son commissariat, la France décide toute seule de libérer toutes les énergies créatives de ce pays, de simplifier les normes : la loi Macron de croissance des inégalités permettra de simplifier les formalités, les procédures et la vie quotidienne des Français !
Il y a quelques insurgés, enfants immoraux, artistes sans œuvres, écrivains sans nom, terroristes en puissance, mais grâce à d’astucieux dispositifs de surveillance généralisée et à des condamnations pour délit d’intention, toute velléité de discuter sur le sens du travail et de la vie en général est fusillée pour l’exemple, la famille et la patrie ayant déjà assez de problèmes comme ça.
Car oui, il y a une crise des valeurs, une impression que les règles qui fondent notre pacte républicain ne sont pas respectées. La société est dure, souvent violente. Elle est marquée par la montée des incivilités, par des défis permanents lancés aux figures de l’autorité : nos enseignants, nos juges, les parents, les forces de l’ordre.
La Culture pour le symbole pas pour elle-même
Alors la Culture on s’en fout un peu, non ? Non non, on s’en fout pas, Valls l’a redit récemment, que cela a été une erreur au cours des deux premières années du quinquennat de baisser le budget de la Culture.
Pourquoi ? Pas pour la Culture, on s’en fout, mais parce que « cela a été un signe négatif », or « il ne faut jamais donner de mauvais signe quand on parle de culture », ça risque de passer pour un revolver.
N’importe quel chargé de com’ à la manque vous le dira, la meilleure défense d’un symbole, c’est l’attaque lexicale.
Le budget de la culture est sanctuarisé, c’est un territoire tout petit qui, pour résister encore et toujours un tout petit peu aux ordres de mise au pas budgétaire, emploie le vocabulaire militaire, voilà comment plomber encore l’ambiance dans un contexte international rempli de menaces terroristes dont l’ampleur et l’évolution sont inédites et qui n’a évidemment rien à voir avec les désastres accomplis dans le monde entier par le capitalisme le plus radical. Après la sanctuarisation, voici donc l’offensive !
« C’est une offensive culturelle globale que je souhaite ouvrir désormais », a déclaré Fleur Pellerin, le poing serré à la tribune du Sénat, et scandé offensive ici, offensive là, offensive encore, offensive toujours…
Titre et intertitres sont de la rédaction.
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