Heteroclite : Comment est né le Point G ?
Sylvie Tomolillo : La décision de créer à Lyon un centre de ressources sur le genre au sein du service public qu’est la Bibliothèque de la Part-Dieu a été prise en conseil municipal le 17 mai 2005, à l’occasion de la première Journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Le poste que j’occupe actuellement a été créé un an et demi plus tard, en décembre 2006.
Cette décision résulte d’un accord entre le maire de Lyon (Gérard Collomb), son adjoint à la Culture (alors Patrice Béghain) et le directeur de la Bibliothèque municipale de la Part-Dieu (alors Patrick Bazin).
Aux yeux de ce dernier, la création du Point G représentait notamment une occasion de valoriser une partie des 300 000 documents déposés en 1992 par Michel Chomarat (qui a lui-même fortement soutenu le projet de Point G auprès de la mairie) au sein du fonds qui porte son nom. Ces archives fournissaient une première opportunité pour la création du Point G.
Pour la direction de la Bibliothèque, cette initiative était intéressante et même nécessaire à plusieurs points de vue, notamment parce qu’elle offrait un renouvellement de l’institution en proposant une approche thématique dans une bibliothèque organisée par disciplines, selon la cotation Dewey (système de classification qui organise le fonds documentaire d’une bibliothèque selon dix disciplines fondamentales, NdlR).
« Il faut arriver à trouver un équilibre entre trois pôles : le service public, l’Université et les militants »
L’idée flottait aussi, elle était dans l’air du temps.
S.T. : Oui, au début des années 2000, la mairie de Paris avait subventionné elle aussi la création d’un Centre d’archives et de documentations 30 homosexuelles de Paris (CADHP), mais selon une logique très différente : celui-ci devait être géré de façon communautaire, alors que le Point G s’inscrit dans un service public.
Le CADHP n’a finalement jamais vu le jour et on ne peut donc pas savoir ce qu’il en aurait été, mais le choix retenu par Lyon présente plusieurs avantages. D’abord, c’est très important de rendre ces thématiques visibles au sein du service public ; et puis, cela garantit une bonne conservation et un traitement professionnel des documents. D’un autre côté, le service public est aussi une institution qui normalise toujours énormément.
Il faut donc arriver à trouver un équilibre entre trois pôles : le service public, l’Université et les militants, sans lesquels le Point G n’existerait pas et dont on peut espérer qu’ils soient, pour une partie d’entre eux au moins, partie prenante de la subversion des normes.
« Certains se demandaient ainsi pourquoi créer un fonds thématique sur le genre et pas sur la Shoah, par exemple. »
Le Point G a-t-il rencontré des oppositions lors de sa création ?
S.T. : Je ne parlerais pas d’oppositions, mais en revanche cela a entraîné des discussions avec certains de mes collègues, que je pense avoir réussi à convaincre peu à peu. Certains se demandaient ainsi pourquoi créer un fonds thématique sur le genre et pas sur la Shoah, par exemple. Mais je pense que l’un n’empêche pas l’autre et qu’un fonds thématique sur la Shoah serait lui aussi le bienvenu.
Pour d’autres, le Point G constituait une remise en cause de l’universalisme qui est profondément inscrit dans l’ADN du service public. Mais je ne le crois pas, dans la mesure où nous travaillons de manière transversale. Le Point G, concrètement, c’est bien sûr le fonds contemporain, qui est matérialisé, localisé au deuxième étage de la bibliothèque et accessible directement par les usagers.
Mais nous préparons aussi une collection virtuelle baptisée «genre et sexualités», qui permettra de localiser les ouvrages traitant de ces thématiques dans les différents rayons de la bibliothèque.
Cela montre bien que ces questions appartiennent à toutes les disciplines. Le Point G a aussi dû essuyer à sa création des critiques venant du milieu LGBT : certaines personnes nous reprochaient de parler de « genre » parce qu’elles voyaient là une façon de masquer le mot « homosexualité ». Mais le genre remet tant de choses en question qu’il me semble beaucoup plus subversif.
« Fin 2012, nous avons dû faire face à des pressions de catholiques intégristes »
Comment le Point G a-t-il traversé ces derniers mois, avec les polémiques successives sur le mariage pour tous et sur la prétendue « théorie du genre » ?
S.T. : Fin 2012, nous avons dû faire face à des pressions de catholiques intégristes suite à une exposition organisée à la Bibliothèque du 1er arrondissement de Lyon. Il s’agissait de photos de Jean-Baptiste Carhaix représentant des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (des activistes de la lutte contre le sida utilisant le travestissement et les habits traditionnels des religieuses, NdlR).
Plusieurs sites Internet ont dénoncé l’événement et nous avons reçu des mails, dont des copies étaient destinées au maire de Lyon et à l’évêché, nous accusant de «cathophobie» (sic). Je considère cependant que ces réactions sont restées relativement isolées et qu’elles n’émanaient que d’une poignée de personnes.
Plus récemment, le Point G a également été dénoncé dans l’édition de juin 2014 du Muscadin, le journal de Rebeyne !, les identitaires lyonnais. C’est un cas que je mettrais un peu à part, tant les identitaires se distinguent par leur virulence et même leur violence.
En août 2014, Lyon a accueilli le 80e congrès mondial de l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA). Avez-vous le sentiment que les bibliothécaires du monde entier portent désormais une attention accrue à la question du genre ?
S.T. : Je me garderais bien de porter une appréciation globale mais il est vrai que l’IFLA s’est dotée d’un groupe de réflexion (special interest group) sur les thématiques lesbiennes, gays, bi, trans et queers (LGBTQ). L’Amérique du Nord, l’Asie ou l’Amérique du Sud ne sont pas resté sur ces questions. Sur le continent latino-américain, par exemple, c’est surtout la lutte contre le sexisme qui est mise en avant par les bibliothécaires, car les violences contre les femmes atteignent de très grandes proportions.
On peut espérer que cela favorise une réflexion étendue aux droits LGBT, puisque sexisme et homophobie sont intrinsèquement liés. La grille d’analyse qu’est le genre permet d’ailleurs d’aborder les deux de front, puisque ce que isole l’homosexualité, c’est l’hétéro-centrisme, lui-même basé sur l’idée de complémentarité des sexes.
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