Ce vendredi matin, place Tolozan, le soleil inonde de lumière les locaux du Centre d’information sur les droits des femmes (CIDFF du Rhône). Il y a là une poignée de chômeuses à venir à la permanence emploi.
Parmi elles, Joëlle, 57 ans et plus d’un an de chômage. Elle cherche du soutien, une écoute, des conseils. Quelque chose pour repartir au combat.
« Je suis une battante mais là, je n’en peux plus. »
Elle déballe son sac :
« Pôle emploi ne sert à rien. Concernant la formation, j’en ai fait une, bidon, de quatre mois. Pour les offres, on nous renvoie quasi uniquement vers l’intérim ».
Du haut de ses 25 ans d’expérience dans la comptabilité, elle ne pensait pas se prendre autant de portes :
« On envoie des lettres de motivation mais les entreprises ne nous répondent même pas. Avant, l’expérience et la maîtrise de tel ou tel logiciel étaient souhaitées mais maintenant, elles sont exigées. Je n’y arrive plus ».
Une autre femme qui attend son tour ajoute :
« A 40 ans, on est déjà considérée comme trop vieille ».
Trop de demandes
Orientées généralement par Pôle emploi ou des travailleurs sociaux, les femmes comme Joëlle viennent chercher un accompagnement pour retrouver un emploi, une formation ou créer son entreprise.
Salariée de l’association, Marion Lagier expose la démarche :
« Les personnes que nous recevons sont démobilisées. Nous devons les soutenir. Mais contrairement à Pôle emploi, nous prenons du temps avec elles pour explorer toutes les pistes et faire en sorte, qu’elles tiennent dans la durée. »
Le problème est qu’il faudrait pousser les murs de la place Tolozan et recruter pour accueillir toutes ces chômeuses.
En 2014, avec le même budget, le CIDFF du Rhône a reçu 18% de personnes de plus qu’en 2013.
Catherine Heranney, la directrice, constate, dépitée :
« Jusque là, on arrivait à leur faire des propositions d’accompagnement. Mais là, on ne peut même plus faire de premiers rendez-vous pour un diagnostic. Pour la première fois, on doit dire non ».
L’association qui emploie pourtant 40 salariés n’arrive plus à faire face à la demande.
Intervenant à Lyon et dans sa banlieue (Rillieux, Vaulx-en-Velin, Bron, Vénissieux, Décines et Pierre-Bénite), le CIDFF du Rhône suit environ 2 000 femmes par an.
« On fait déjà plus. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible ».
« Très grosses inquiétudes »
Vendredi 3 avril, les associations d’insertion du Rhône (comme le CIDFF) réunies au sein d’une association nommée « RMI69 » ont tenu une conférence de presse.
« En 25 ans de métier, c’est la première fois », notait un participant.
Si la majorité des médias lyonnais n’avait pas fait le déplacement, la salle du club de la presse était saturée de représentants de ces associations d’insertion.
L’inquiétude se comprend : les besoins augmentent et les subventions diminuent ou sont plus difficiles à obtenir.
S’agissant des besoins, il n’y a qu’à se pencher sur les statistiques du chômage et de la pauvreté pour constater que « les pauvres deviennent encore plus pauvres ». Le nombre de bénéficiaires du RSA grimpe, de 10% entre 2012 et 2013 pour atteindre 64 251 personnes (dernières stats connues). Or ce sont en grande majorité les allocataires de ce minimum social là que suivent les associations d’insertion.
Baisse des financements à tous les niveaux
Du côté des moyens, ils diminuent donc. Financées par l’Etat, l’Europe, et les collectivités (région, communes et aujourd’hui Métropole de Lyon), les associations voient leurs subventions limées de partout.
Les baisses sont particulièrement sensibles à deux niveaux.
1. Politique de la ville : forte diminution malgré les promesses post-Charlie
La nouvelle carte de la géographie dite « prioritaire » a été actée tardivement. Sur le territoire de la Métropole de Lyon, pas moins de 28 quartiers ont été rayés de la liste sur les 61 qui étaient classés « Contrat urbain de cohésion sociale » (CUCS).
Pour ces quartiers sortis, il n’y aura plus un kopeck à moins d’être en partie repêché par le dispositif « territoire en veille ».
Pour les associations qui ont des actions dans les 33 quartiers qui restent, elles ne sont toujours pas fixées sur leur financement pour… 2015.
Valérie Najjarian, la directrice de « Innovation et Développement » à Saint-Fons expose le problème :
« On est fixé de plus en plus tard. Mais habituellement on avait au moins un accord de principe au mois de novembre pour l’année suivante. On est en avril et les arbitrages pour 2015 ne sont toujours pas rendus. »
Ces responsables d’associations mettent en avant les promesses du gouvernement après les attentats des 7, 8 et 9 janvier à Paris. Et notamment les propos du ministres de la Ville, Patrick Kanner, qui annonçait dans la revue destinée aux professionnels ASH du 27 mars 2015 plus de crédit.
« Après les événements de Charlie Hebdo, nous avons eu beaucoup de réactions de la part de personnes que nous accompagnons. Elles exprimaient une crainte d’être encore plus exclues et stigmatisées. Suite à ces dramatiques événements, les pouvoirs publics ont annoncé, notamment dans le cadre des politiques de la ville, la nécessité d’augmenter les moyens en direction des personnes en situation de pauvreté, pour l’accès à l’emploi et à la formation entre autres. Cette demande d’aide et d’accompagnement dans les démarches, nous la vivons chaque jour sur le terrain. C’est cette demande-là que nous relayons. »
2. Diminution des financements européens
Le Fonds social européen (FSE) finance à travers le Plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE) des actions d’accompagnement vers la formation et l’emploi.
Avec la baisse des financements européen, le PLIE Uni-Est va baisser en 2015 de 9% ses financements.
Cette baisse venant s’ajouter aux retards dans les versements. Catherine Heranney, la directrice du CIDFF du Rhône :
« On vient tout juste de nous verser les subventions pour 2012. On a reçu 20% de la somme pour 2013 et 2014. S’agissant de 2015, on est toujours pas fixé. Mais je dois payer des gens. On a puisé dans nos réserves. Maintenant, on fonctionne avec des emprunts. Mais les banques qui nous suivaient jusque là commencent à ne plus nous suivre ».
Il n’y a pas que ces baisses de subventions : les associations soulignent également les lourdeurs administratives liées aux contrôles. Marion Lagier du CIDFF :
« Tout est tracé. On passe notre temps à remplir des tableaux où l’on doit renseigner jusqu’aux mails envoyés et aux coups de téléphone passés ».
« Que vont devenir ces personnes que nous accompagnons ? »
Conséquence : des actions entreprises par ces associations doivent être arrêtées ou sont fortement compromises.
Par exemple, à Saint-Priest, une auto-école sociale lancée par « Innovation et Développement » permettait de diviser par dix la facture de l’apprentissage de la conduite. Le reste à la charge à la personne était de 250 euros alors que montant total d’un permis avoisine les 2 500 euros. Des financements publics payaient la différence.
Une trentaine d’élèves pouvaient en bénéficier par an. Ceux pour qui obtenir le permis est une nécessité pour espérer accéder à un emploi. Depuis 2006, ce sont 252 personnes qui ont ainsi obtenu leur permis à moindre coût.
La spécificité de cette auto-école associative était également de pratiquer une pédagogie adaptée aux difficultés d’apprentissage des personnes accompagnées par l’association .
Mais en mars, l’association a appris que, suite à la baisse des budgets politique de la ville, la municipalité de Saint-Priest arrêtait de financer l’action. Ce qui veut dire le licenciement d’un moniteur et l’arrêt des formations en cours.
Valérie Najjarian, la directrice de « Innovation et Développement », s’interroge :
« Avec la dématérialisation du service public de l’emploi et le nombre de personnes suivies par les conseillers Pôle emploi (plus de 300 par portefeuille), nous représentons les derniers espaces d’écoute, en assurant un suivi global économique et social. Que vont devenir ces personnes que nous accompagnons ? »
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