Dans le sillage de la start up Ornikar, dont le cas est largement médiatisé depuis l’an dernier, d’autres sociétés s’engouffrent dans le filon de l’auto-école en ligne. C’est le cas notamment à Lyon, où PermiGO et Lepermislibre, deux auto-écoles « 100 % en ligne » ont débuté leur activité depuis le début de l’année 2015. Elles ont adopté elles aussi ce concept low cost de préparation à l’examen du permis de conduire et d’auto-école dématérialisée au maximum.
Le concept : apprendre le code en ligne et faire assurer les cours de conduite par des moniteurs en grande partie indépendants.
Ici aussi, à leur tête on trouve de jeunes entrepreneurs fraîchement sortis d’écoles de commerce qui ont étudié d’autres expériences de pure-player. Grégory Giovannone, cofondateur de PermiGo, explique :
« On a regardé des expériences comme Uber, Free ou Lafourchette où tout a été dématérialisé afin de permettre de faire baisser les coûts ».
Pour faire chuter les prix ces nouvelles auto-écoles assurent un maximum de procédures et de formation sans que le client n’ait à se déplacer. Inscription, paiement, réservation des heures de conduite et apprentissage du code se font ainsi en ligne.
Pour les cours de conduite elles s’appuient sur un réseau de moniteurs bien souvent indépendants qui viennent vous retrouver chez vous ou à proximité. Au final, le prix des forfaits est quasiment divisé par deux par rapport aux auto-écoles classiques.
« On ne veut pas casser un secteur, on veut faire payer moins cher car aujourd’hui le permis est deux fois trop cher », assure le cofondateur de PermiGo.
Du côté des professionnels classiques on ne l’entend pas de la même oreille. Pour Philippe Colombani, président de l’Union Nationale des Indépendants de la Conduite (Unic), ces auto-écoles « sont illégales », constituent « une concurrence déloyale » et si les auto-écoles classiques sont plus chères c’est qu’elles offrent un service de meilleure qualité. Les auto-écoles tiendraient donc là leur Uber, société de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) qui a déclenché la fronde des taxis.
L’inscription en ligne, illégale selon les syndicats
Pour le président de l’Unic ces structures sont hors la loi. Elles ne respectent pas selon lui l’article 4 de l‘arrêté du 8 janvier 2001 concernant les auto-écoles et qui stipule que chaque établissement doit disposer d’un local et « procéder aux inscriptions individuelles des élèves uniquement dans ce local, à l’exclusion de tout autre lieu. »
« Le candidat doit bien venir signer le contrat dans le local », insiste-t-il.
Pourtant, les deux auto-écoles basées à Lyon ont bien reçu l’agrément préfectoral préalable au démarrage de leur activité. « Je ne me l’explique pas », avoue Philippe Colombani qui annonce avoir initié un recours devant le tribunal administratif.
« Le préfet du Rhône va devoir s’expliquer, on lui demande de fermer PermiGO. »
La réponse est simple : les deux structures possèdent toutes les deux un local dans Lyon où elles développent une activité d’auto-école classique et où les candidats « en ligne » peuvent venir effectuer des séances de code s’ils le souhaitent.
« C’est un showroom. On s’en sert pour faire des démonstrations, pour rassurer les parents qui financent bien souvent le permis de leurs enfants et qui sont parfois réticents à payer 700 ou 1000 euros sur internet. Ils peuvent ainsi venir nous voir », explique Grégory Giovannone.
Si les structures développent surtout leur offre « candidat libre » en ligne, le local reste la clé pour débuter légalement l’activité. Grégory Giovannone le concède :
« Dans les faits, si l’inscription se fait en ligne, beaucoup viennent au local. C’est un outil marketing mais aussi règlementaire ».
Des auto-écoles low-cost
La crainte de l’Unic est qu’elles contournent la loi. Philippe Colombani dénonce :
« D’autres ont démarré avec un local en bonne et due forme, ont reçu l’agrément puis l’ont fermé pour ne garder que l’activité en ligne ».
Dans un contexte tendu entre syndicats professionnels du secteur et nouveaux acteurs, les deux entreprises lyonnaises restent prudentes, au moins dans le discours. Romain Durand cofondateur de Lepermislibre, explique :
« Notre objectif est de développer notre activité sur internet partout en France. Nous avons un réseau d’une soixante de moniteurs indépendants en Rhône-Alpes, en Île-de-France et dans le Sud-Est notamment mais on garde notre local à Lyon ».
De son côté PermiGO annonce se positionner de façon « hybride ». Concrètement, la société souhaite gagner le marché national sur un modèle d’auto-école en ligne « mais avec un local par ville ». Son président encourage les élèves à venir participer à des « stages intensifs et personnalisés de code » (compris dans le forfait) car « si un élève ne fait que du code en ligne il y a peu de chance qu’il arrive au bout ».
L’entreprise devrait au cours du mois d’avril s’installer à Paris et ouvrir un local et a ciblé plusieurs autres grandes villes pour la suite de de son implantation notamment « Saint-Etienne, Nice ou Nantes qui sont des villes où il n’y a pas beaucoup de délais d’attente aux examens en candidat libre ».
« Quel est alors l’intérêt pour une auto-école dite 100% en ligne d’ouvrir des locaux partout en France ? », sourit Philippe Colombani.
Réponse probable : obtenir les agréments préfectoraux pour exercer leur activité et gagner de nouveaux clients. Des clients pour qui ces auto-écoles low cost présentent un intérêt évident : leurs tarifs. Le forfait permis en candidat libre (le candidat doit s’inscrire lui-même aux examens) avec apprentissage du code et 20h de cours est légèrement inférieur à 700 euros, celui en formule classique (l’auto-école vous présente aux examens) ne dépasse pas les 1000 euros.
Selon une étude de l’association Consommateur, Logement et Cadre de Vie (CLCV) de 2013, le coût moyen dans les auto-écoles classique pour un forfait 20h est de 1067 euros (1400 euros avec les heures supplémentaires). L’heure de conduite supplémentaire est facturée 39,90 euros quand elle coûte en moyenne selon l’étude 48 euros en France.
Le filon du candidat libre
Si la dématérialisation et l’ouverture d’un seul ou de quelques locaux permet de faire baisser les charges, ces coûts avantageux pour le client ont une contrepartie. Le permis en candidat libre, l’offre la plus attractive de ces établissements, nécessite de la part du futur candidat qu’il assure lui-même les démarches d’inscription aux examens auprès de la préfecture.
Autre inconvénient : les délais pour passer le permis plus longs encore que pour les candidats « classiques » présentés par leur auto-école.
Ces clients en candidats libres, qui se présentent donc eux-mêmes à l’examen, représentent l’essentiel de la clientèle actuelles des deux structures lyonnaises. 80% de la centaine de clients de PermiGo et une cinquantaine contre quinze en permis classique pour Lepermislibre. Ces structures assurent proposer une « offre alternative » aux candidats au permis. Si elle leur revient assurément moins cher, elle ne garantit pas d’avoir le permis plus vite.
« Internet ne nous inquiète pas trop au final et je ne suis pas très optimiste pour eux. Le problème de fond qui demeure ce sont les délais d’attente pour passer l’examen », assure Philippe Colombani.
Ces délais d’attente, qui varient selon les régions, est lié au nombre d’inspecteurs du permis de conduire.
« Et ça, c’est du ressort de l’État d’augmenter leur nombre (ce sont des fonctionnaires, ndlr). Tant que ça ne changera pas… »
Le délai d’attente à Lyon est « de 5 à 6 mois en candidat libre contre 2 à 3 mois pour un candidat inscrit par une auto-école classique», affirme Grégory Giovannone.
Les délais d’attente, un moyen de freiner les low cost ?
L’attribution du nombre de places à l’examen du permis appartient à l’administration. Pour l’heure accorde davantage de places aux candidats présentés par les auto-écoles qu’aux candidats libres. Un choix stratégique donc.
« La préfecture nous a clairement signifié qu’elle ne ferait rien en ce sens et que plus on présenterait de candidats libres et plus le délai d’attente augmenterait pour eux, jusqu’à 7 ou 8 mois », relate Grégory Giovannone de PermiGo.
Son auto-école dispose de quatre places par mois à l’examen du permis de conduire actuellement pour son activité d’auto-école classique. Il aimerait bien obtenir plus de places, surtout en candidat libre.
« C’est décidé en comité local de suivi où siègent les syndicats professionnels qui sont contre nous. On n’a pas envie que la réunion se transforme en procès contre nous et que le préfet finisse par nous retirer notre agrément. Ce qu’on aimerait surtout c’est qu’il y ait plus de place en candidat libre mais là la préfecture ne peut rien faire ».
Moniteurs indépendants : de Zola à l’URSSAF
Voilà un autre point de discorde. Les moniteurs indépendants sur lesquels s’appuient ces structures exercent leur activité de façon non salariée.
« Il y a des auto-entrepreneurs, des entreprises individuelles ou unipersonnelles », explique Romain Durand.
Avantage pour les entreprises : elles payent beaucoup moins de charges. Philippe Colombani s’inquiète pour le statut des moniteurs.
« L’auto-entreprise, c’est Zola, c’est le retour au 19e siècle ! Il n’y a pas ou presque de protection sociale, pas de droit au chômage. Ils vont gagner trois fois rien en travaillant pour des gens qui vont s’enrichir. »
Les auto-écoles low-cost restent néanmoins prudentes sur ce sujet et ont débuté leur activité avec des moniteurs salariés. PermiGo emploie pour l’heure deux moniteurs mais souhaite « basculer vers un système avec des indépendants pour plus de flexibilité», explique Grégory Giovannone.
« Dans l’idéal, on ouvre dans une ville, on travaille avec des indépendants tant que nos plannings ne sont pas pleins. Quand ils le sont on bascule sur un fonctionnement avec des moniteurs salariés. C’est notre modèle à terme. »
L’auto-entrepreneur comme variable d’ajustement, donc. Mais le jeune chef d’entreprise avoue que le statut du moniteur indépendant est « ambigu ».
« Dans le cadre d’une prestation de service il ne doit pas y avoir de lien de subordination mais il y a un risque que l’URSSAF requalifie la relation de travail. On attend et on regarde l’évolution de la loi. »
Philippe Colombani de l’Unic va plus loin et dénonce ce qui est pour lui une illégalité supplémentaire :
« Auto-entrepreneur dans notre métier c’est interdit, il faut un agrément lié à un local. Si ces moniteurs sont attaqués un jour c’est du pénal ! »
Selon l’article L 213-1 du Code de la route, « L’enseignement, à titre onéreux, de la conduite des véhicules à moteur d’une catégorie donnée et de la sécurité routière ainsi que l’animation des stages de sensibilisation à la sécurité routière mentionnés à l’article L. 223-6 ne peuvent être organisés que dans le cadre d’un établissement dont l’exploitation est subordonnée à un agrément délivré par l’autorité administrative, après avis d’une commission ». L’activité d’enseignement peut donc se faire uniquement dans le cadre et par l’intermédiaire d’une auto-école agréée.
De leur côté les auto-écoles « 100 % en ligne » mettent en avant la « création d’emplois », la « valorisation du travail des formateurs », la « liberté dans le choix de ses horaires et de son volume de travail. Romain Durand estime même que « les auto-écoles ont toujours fait appel à des indépendants. On les remet en contact et on les fait travailler. »
Une guerre pas toujours frontale
L’arrivée des low cost sur le marché des auto-écoles est parfois comparée à celle des VTC sur le marché des taxis. La situation est toutefois différente. Les VTC assurent des services équivalents à ceux des taxis par des conducteurs sans licence et des particuliers.
Les auto-écoles en ligne travaillent avec des moniteurs diplômés. Si les organisations syndicales s’opposent à leur arrivée, ceci explique peut-être que sur le terrain la tension n’est pas la même qu’entre taxis et VTC.
Volonté d’apaiser les esprits ou vrai business, certains de ces nouvelles structures tissent des liens avec les acteurs traditionnels. Lepermislibre développe ainsi une autre approche en lien directement avec les auto-écoles classiques.
« Elles peuvent s’inscrire et acheter des heures de conduite auprès de notre réseau de moniteurs indépendants. C’est utile lorsqu’elles ont leur planning complets et nous on leur achète aussi des heures si on a plus de places. On remet en contact les moniteurs indépendants avec les auto-écoles », détaille Romain Durand.
Prix de vente de l’heure de conduite : 25 euros ; prix d’achat : 20 euros. Des auto-écoles lyonnaises feraient déjà affaire avec la société selon son patron.
La loi Macron, ils la veulent
Un intermédiaire, c’est ainsi que les fondateurs des deux établissements lyonnais voient l’auto-école. Un intermédiaire qui désormais sera en grande partie une plateforme en ligne. Pour Romain Durand de Lepermislibre :
« On veut placer le moniteur comme référent, qu’il soit le responsable de la formation. Parce qu’une auto-école en elle-même c’est un intermédiaire avec une salle et une secrétaire qui place des heures de cours ».
Grégory Giovannone de PermiGo et songe à développer son auto-école en ligne vers un système façon Blablacar pour cours de conduite proche de celui imaginé par les concepteurs de Ornikar :
« On mettrait en relation les élèves et les moniteurs. L’élève paierait directement son moniteur et nous, on toucherait une commission. »
Les auto-écoles en ligne attendent ainsi beaucoup de la loi Macron. Elle prévoit notamment pour l’heure un rééquilibrage du nombre de places à l’examen entre candidats libres et candidats classiques et d’encadrer plus clairement l’inscription en ligne.
La loi veut également s’attaquer aux délais de passage de l’examen. Il faut pour cela augmenter le nombre d’inspecteurs et l’Etat envisage de former des employés d’EPIC, notamment les postiers, pour faire passer permis de conduire ou le code.
Si de telles dispositions sont votées, auto-écoles traditionnelles et low-cost pourraient se retrouver main dans la main face à une nouvelle « concurrence ».
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