« C’est un outil comme un autre, comme le papier et le crayon », insiste Carole Tellier. Cette enseignante dotée d’un bac+5 en développement de programmes et génie logiciel, l’avoue :
« Il y a trois mois, je ne connaissais pas encore Twitter. »
Et pourtant, c’est bien sur ce réseau social que les élèves de CM1 de cette école privée catholique sous contrat font leurs dictées. Pas toutes, seulement leurs « twictées » (contraction de Twitter + dictée, donc), de 140 caractères, qui sont ensuite publiées.
La méthode est simple :
- 1) Les enseignants francophones du monde entier se regroupent sur un espace collaboratif monté sur Google Drive. Ils se mettent d’accord sur les difficultés des élèves et sur le modèle de la twictée.
- 2) La twictée est dictée par l’instituteur pour une classe, dite la « classe scribe ». Les élèves, individuellement, puis par groupes de trois, écrivent la twictée sur papier. Ils se concertent sur l’orthographe et la conjugaison des mots puis l’envoient en message privé à une classe, appelée classe miroir.
- 3) La classe miroir réceptionne la twictée et repère les fautes. Toujours par groupes de trois, les élèves de la classe miroir sélectionnent les fautes qu’ils souhaitent corriger et les envoient à la classe scribe. Cette correction est la phase « twoutils » (la contraction de « twitter » et « outils ») qui permet de justifier l’orthographe ou la conjugaison des mots mal-orthographiés, avec des règles grammaticales.
- 4) La twictée est reproduite la semaine suivante par la classe scribe avec « l’objectif zéro faute ».
Dans la classe du 187 rue Vendôme à Lyon, les élèves manipulent les symboles, hashtags, arobases et autres signes marqueurs de Twitter. Ce qui a valu de jolis quiproquos :
« Mais non, la maîtresse elle a dit « entre quote » et pas entrecôte ! »
Une dictée « plus motivante »
Et apparemment, la twictée ravit les élèves. Ce jeudi, la classe de Lyon est la classe miroir, chargée de corriger les fautes de la twictée de la classe scribe basée à Singapour. Les élèves lyonnais doivent créer des twoutils en les justifiant à l’aide de hashtags (#) et de règles orthographiques. Carole Tellier explique :
« Au début du cours, je leur ai dit « Singapour attend nos twoutils », alors il étaient super motivés. Et ça nous fait faire de la géographie. »
@CIS_MmeSevilla Nous allons bientôt vous envoyer nos twoutils #laclasse
— Classe CM1 ImmacLyon (@cm1_immac) 12 Mars 2015
Thomas commente :
« C’est plus marrant qu’une dictée normale. On voit mieux les fautes des autres, alors que quand on a corrigé, on avait fait les mêmes fautes qu’eux. Mais on avait pas vu les nôtres. »
Comme souvent pour un texte que l’on a soi-même écrit d’ailleurs, que ce soit sur papier ou tout autre support.
Ca se chamaille pour tweeter les twoutils.
« Allez, c’est mon tour ! », entend-on dans la classe.
@CIS_MmeSevilla « Rêvaient » s’écrit -aient car c’est de l’ imparfait et le sujet est au pluriel #accordSV #Gr5 (Antoine Martin Alexandre)
— Classe CM1 ImmacLyon (@cm1_immac) 12 Mars 2015
Une formation aux réseaux sociaux
Si les élèves ne connaissaient pas nécessairement Twitter, tous ont toutefois des tablettes à la maison.
« L’objectif est de former ces enfants au monde numérique auquel ils appartiennent, de leur donner un bon cadre », explique l’enseignante.
Et puis, il y a le B2I, le diplôme informatique que les élèves doivent valider avant d’entrer au collège.
Mais l’institutrice prévient, un bon cadre passe par un cours du numérique en éducation civique. Et Brune, 9 ans, semble avoir bien appris sa leçon :
« C’est interdit d’utiliser Twitter avant 12 ou 13 ans. On peut se parler entre nous mais il faut faire attention parce qu’il y a des gens qui sont abonnés à nous et qui peuvent avoir de mauvaises intentions. »
L’ancienne informaticienne renchérit :
« Le but pour moi était de démystifier Twitter et les réseaux sociaux, de l’utiliser dans un cadre adapté : on utilise des pseudos ou seulement les prénoms, on ne divulgue pas les informations personnelles. »
Carole Tellier est convaincue de la méthode Twitter pour « éveiller ses élèves ». Et ce, même si les dictées traditionnelles perdurent et que 90% des twictées se déroulent stylo à la main. Elle n’hésite pas à tenter de diffuser la bonne paroles dans les autres classes de son école :
« Mes collègues savent que je fais beaucoup de numérique, donc mon initiative ne les a pas étonnées. Je fais des twictées dans le CE2 à côté, je prête mes services comme d’autres les leurs, avec de l’histoire ou de la géographie. »
Twitter c’est gratuit, mais pas la tablette
Il y a quelques mois, Rue89 racontait que cette nouvelle méthode séduisait bon nombre d’instituteurs dans le monde francophone. Une centaine de twittclasses s’est alors inscrite dans six pays, sur quatre continents.
En théorie, le concept est accessible et égalitaire : « On s’inscrit en envoyant un tweet, tout simplement. », explique Carole Tellier. Elle rajoute :
« Je suis tombée dessus par hasard sur internet. L’école est équipée de tablettes depuis septembre. Alors je me suis lancée. »
Mais encore faut-il être équipé. Contactée par Rue89Lyon, le rectorat de Lyon dénombre seulement deux écoles à pratiquer la twictée. L’autre est aussi une école privée catholique sous contrat, Jeanne d’Arc à Décines.
La présence ou non de tablettes à l’école peut paraître être un gadget mais l’enseignement de l’informatique est pourtant essentiel dans cette tranche d’âge particulièrement concernée par la fracture numérique.
Si la twictée ne révolutionne pas l’apprentissage de l’orthographe, elle permet une familiarisation des outils informatiques, ce que l‘Education nationale a bien compris. Mais cette familiarisation sur le plan scolaire est dans l’impasse, avec un manque à la fois de matériel et de formation appropriés. Un « plan numérique » gouvernemental, prévu pour 2016, est donc dans les tuyaux, pour que les outils ne soient plus un frein à ce type de formation.
Chargement des commentaires…