Lorsqu’on interroge Claude Vuattoux sur le départ de l’OL pour stade des Lumières, il offre une réponse lapidaire :
« Je m’en fous. »
Lunettes sur le nez, le gérant de « Pizza Latino » détache à peine son regard de ses bénéfices. A l’évocation du stade, le restaurateur se crispe :
« La décision est prise et plus vite ils se cassent, mieux c’est. »
Avant de relativiser son propre agacement :
« Faut que les gens en aient conscience, l’OL, c’est 19 soirées dans l’année, dont cinq exceptionnelles et les autres qui emmerdent tout le monde. Les jours de stade, mes clients, ils ne viennent pas. »
Le foot n’est plus la panacée
Il n’y a en effet plus de suspense quant au départ de l’OL pour Décines. La décision, malgré les nombreux recours juridiques, est actée ; le chantier est largement avancé. L’OL, qu’on le veuille ou non, part s’installer au Stade des Lumières.
Le quartier de Gerland et l’OL représente une histoire ancienne de plus de 50 ans. Le stade dessiné par l’architecte Tony Garnier, classé aux monuments historiques (ses quatre portes monumentales plus précisément), est une institution pour les supporters de football. Les commerçants de Gerland ont vécu avec le foot et ses soirées mythiques. Les derbies Olympique Lyonnais vs Saint-Etienne et les grands matches de la Ligue des Champions.
Ils sont nombreux, parmi les boutiquiers et restaurateurs, à avoir une petite anecdote à raconter, à entretenir une fidèle clientèle qui vient les soirs de match s’accouder à leur comptoirs. Mais le départ de l’équipe lyonnaise n’est pas une désillusion pour ces habitués et pour les tenanciers du quartier.
Claude est même très satisfait qu’ils s’en aillent, malgré la chute estimée de 5% de son chiffre d’affaires. Il explique :
« Y’a quinze ans, c’était pas pareil, il y avait du pouvoir d’achat et les résultats sportifs du club étaient meilleurs, là j’aurais pu avoir du regret. Maintenant je m’en fous. »
Il s’emporte même un peu :
« Vous savez ce n’est pas l’OL, ce n’est pas le stade, qui fait la vie du quartier. Je m’en sortirai très bien sans eux ! »
Frédéric Rousseau est opticien à Gerland. Il est aussi le président de l’association Gerland Commerces, qui rassemble les commerçants du quartier. La réaction de Claude Vuattoux ne l’étonne absolument pas :
« Les temps sont difficiles et les matches de foot ne rapportent plus grand chose. En avant-match, l’affluence pour l’OL profite aux restaurants qui proposent de la vente de bière en fût, mais c’est tout. »
Il s’explique :
« Environ 70% des matches ne génèrent pas de flux dans les restaurants. Vous savez, les amateurs de l’OL, ils ne vivent pas au quotidien à Gerland. Nous, si. »
Et de rajouter :
« Le problème c’est que, quand il y a des matches, il y a des gros problèmes d’accès et ça fait fuir les clients qui seraient venus sans le foot. »
Sans compter les stationnements sauvages et désordonnés. Les commerçants pointent aussi des problèmes posés par les supporters qui ne constituent pas selon eux une « clientèle facile ».
Si Philippe Vothron, gérant du « Tiger Wok », ne s’alarme pas du départ de l’OL, c’est que les supporters de foot n’influencent pas le chiffre d’affaire de son restaurant asiatique. Bien au contraire, d’après lui, ils participent aux incivilités et autres incidents de rue :
« Ce n’est pas la bonne clientèle qui se balade dans le quartier, c’est à peine s’il ne faut pas fermer les grilles. Il y a des risques dans le quartier, surtout quand c’est OL-Saint-Etienne. Là c’est l’enfer. »
Marie-Laure Garcia, du restaurant italien « Le Venezia » renchérit :
« Il y a certains commerçants qui sont contents de leur départ tout simplement parce que ça va jusqu’à se battre dans les rues, les soirs de match. »
Le LOU Rugby, « une excellente alternative »
Peu de commerçants expriment des regrets. Mais beaucoup s’enthousiasment sur l’éventuelle arrivée du Lou. Une clientèle plus agréable, moins d’incidents et, qui rapporterait, qui sait, de meilleures recettes ?
La gérante du Venezia ne s’affole pas. Derrière son bar, elle tapote sur sa calculette le chiffre de la journée. Elle se rappelle qu’avant la coupe du monde de 1998, le football ne lui rapportait pas grand chose. Elle envisage bien volontiers l’avenir avec le rugby :
« On aimerait bien la venue du LOU, ah ça oui ! Ils boivent bien, eux, ils sont sympathiques, on serait bien contents. Et puis on espère toujours qu’ils vont nous laisser les filles (l’équipe féminine de foot, nldr). »
Maxime Montag, gérant du 231 Bistro Terrasse (dit le Patio Ombragé) sur la rue Mérieux fait les comptes de ce qu’il a gagné avec l’OL :
« On ouvrait le dimanche quand il y avait match, sinon non. Après, ça varie beaucoup en fonction de la compétition et des équipes. Mais un bon soir, c’est 1500 euros, donc trois à cinq fois un soir normal. Je me souviens, ça a été le chiffre pour un gros gros match. C’était pour l’Europa Ligue, Lyon-Tottenham. »
Amateur de rugby, il reste satisfait de la perspective de soirées avec le LOU. Pour lui, le foot peut facilement être remplacé par le ballon ovale, « surtout si l’on tient compte de la sociabilité du rugby » :
« Le football faisait vivre le quartier mais leur départ est bénéfique selon moi. Le rugby, c’est pas du tout la même mentalité, ça sait boire et ça sait manger. Ça va peut-être changer les choses à Gerland et ce ne serait pas plus mal. »
Selon le président de l’association Frédéric Rousseau, l’équipe de rugby lyonnaise, actuellement 13ème dans le classement du Top 14, est globalement bienvenue dans le quartier :
« Au niveau de la clientèle, il y moins un effet de masse, ils sont plus âgés, ils viennent en famille, et seraient plus consommateurs de restaurants. Du moins, c’est ce que je suppose. »
Pour le gérant du Tiger Wok, la question ne se pose même pas :
« Le LOU ce serait très bien, c’est une autre clientèle, c’est plus familial, des horaires différents, ça aurait une meilleure répercussion que le foot. »
Gerland, un quartier de cadres « biotechs » plutôt que de supporters
Quand on pense Gerland, on pense d’emblée football. Pourtant, les commerçants ont plutôt une clientèle de quartier et de bureau au quotidien. La zone accueille des sociétés spécialisées dans les biotechs, avec des bureaux et des cadres. Et c’est justement ce sur quoi le maire PS de la ville veut mettre l’accent, créant même une marque pour le quartier, « Biodistrict Lyon-Gerland ».
Daniel Abattu, attablé devant une énorme pièce de boeuf, raconte, quelque peu nostalgique :
« Je suis très très foot et très amoureux de l’OL. Je me souviens des matches de la coupe d’Europe d’il y a vingt ans, c’était exceptionnel, l’ambiance, ça n’a rien à voir avec les matches de la Ligue 1 de maintenant. »
Mais il s’empresse de rajouter qu’il place de nombreux espoirs dans le quartier. Pour lui, le départ de l’OL est compensé par l’arrivée de Sanofi-Pasteur à Gerland :
« Le quartier va évoluer. Ca va faire venir des milliers de cadres. Il y a aussi l’implantation de la Zac Bon Lait. Ca bouge ici, et mon affaire va prospérer. »
Quoiqu’il advienne, que le LOU arrive ou que seules les féminines de football (rien n’est décidé à ce jour) restent, le restaurateur n’est pas inquiet. Des hauts et des bas, il y en a eu à Gerland :
« Avant l’OL, il y a eu la fermeture des abattoirs (dont on peut voir la fresque en arrière-plan, nldr), il faut s’adapter à chaque fois mais la Maison Gamboni a prouvé qu’elle peut résister aux chocs. Cela fait seize ans que je suis là, et je compte bien y rester encore un moment. »
Les kebabs-merguez ou la disparition de la culture « stade de foot »
La nouvelle du départ de l’OL en inquiète toutefois certains : les commerçants ambulants stationnés avec leurs camionnettes autour du stade de Gerland s’estiment délaissés.
Pour l’heure, ils disent n’avoir aucune piste sérieuse, ni avec la ville de Décines, ni avec les responsables de l’Olympique Lyonnais.
Lino Da Silva est le seul à avoir accepté d’être cité. Dans son camion de sandwiches justement baptisé « Chez Lino », tout en préparant des frites, il exprime son inquiétude :
« On est au courant de rien. Ils vont partir et apparemment on n’a pas le droit d’aller à Décines. On n’a pas reçu de courrier. On aimerait être prévenu de ce qu’on va devenir. »
Lino veut en être, à Décines, « coûte que coûte » :
« Je voudrais savoir si je peux acheter ou louer quelque chose à l’intérieur. S’ils ont prévu quelque chose pour nous, là-dedans. »
Un deuxième ambulant, proche de la soixantaine, abdique. Il a chiffré ses pertes et elles sont conséquentes. Beaucoup trop importantes pour pouvoir survivre. Il prendra sans doute sa retraite :
« En gros, s’ils nous enlèvent le stade, ils nous sucrent notre plus grosse recette. On aimerait vraiment avoir une place à Décines. Le foot, ça représente 80% de notre chiffre d’affaires. »
Le Flunch ou la cuisine des politiques
Les ambulants sont mal-aimés de Gérard Collomb, qui n’a de cesse de les éloigner du centre ville (ils sont interdits de presqu’île pendant la Fête des Lumières). Entre les « food trucks » et les « kebabs-frites », le maire PS de Lyon a choisi.
Un autre commerçant, dans son camion, s’alarme. Pour lui, la politique de la ville de Lyon est de plus en plus répressive. Les places autour du stade et dans la ville lors d’évènements culturels se font chères. Il pointe une volonté de la municipalité de « nettoyer » la ville des camions. Une politique d’ »assainissement » du quartier qui avait commencé par les prostituées.
» Avant, avec la ville de Lyon, on avait des rendez-vous une fois par semaine, maximum, une fois tous les quinze jours. Maintenant, c’est une fois par mois. Nous, nous sommes là pour travailler et eux, la mairie de Lyon, ils nous enlèvent des places. Selon eux, on salit leur ville. «
Et pour lui, le LOU ne changera pas grand chose.
« C’est une autre clientèle, explique-t-il. Ce sont surtout des buveurs de bière, et nous on n’a pas le droit de vendre de la bière, il y en a qui ont été sanctionnés à cause de ça. C’est réservé aux commerces en dur. »
Une jeune femme, qui aide son oncle dans son camion lors des coups de bourre, nous l’assure. Les supporters vont regretter les camions :
« Lorsqu’on parle avec les clients, ils nous le disent : manger du Flunch, ça ne les intéresse pas. Ils nous ont demandé si on sera toujours là à Décines. Pour eux, ça fait partie de la fête, ils trouvent ça dommage qu’on ne soit plus dans le paysage. »
Elle trouve que le « parc commercial » prévu par Jean-Michel Aulas, président de l’OL, au Stade des Lumières, ne correspond pas à ce que veulent les supporters :
« Les camions, ça fait partie de la culture du stade, explique-t-elle. L’OL veut du Flunch, du McDonalds, des trucs en dur où les gens vont faire la queue deux heures pour avoir leur sandwich. Et en plus, ça va être hyper cher. »
L’inauguration du stade à Décines devrait avoir lieu en décembre 2015, la Ville de Lyon nous a déclaré :
« Nous sommes attentifs à la problématique des commerces ambulants mais aujourd’hui il est trop tôt pour évoquer leur devenir. »
Malgré les demandes envoyées à la mairie de Décines et à l’Olympique Lyonnais, aucune réponse n’a été apportée au sujet des commerçants ambulants. Rien n’est par ailleurs annoncé sur la nature des commerces dans le parc du Grand Stade, les restaurants et chaînes qui pourront s’y installer.
Du côté de Gerland, l’arrivée du LOU n’est qu’une hypothèse, le club de rugby a engagé des travaux onéreux sur son stade existant à Vénissieux (le Matmut Stadium) et ne parle pas de déménagement prochain. Si la Ville de Lyon a d’autres alternatives pour l’infrastructure, elle se garde bien de les révéler, alors que le départ du club de foot se fera dans moins d’un an.
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