Bien sûr, certains – maires, présidents de conseils généraux – bénéficient d’une notoriété locale qui accorde un précieux avantage sur les concurrents. Mais les autres, tous les autres, les plus nombreux demeurent de parfaits inconnus pour le citoyen ordinaire.
Un texte signé par Christian Delporte, historien des médias et et professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est l’invité de la Villa Gillet pour le débat « Quand la politique veut séduire » ce vendredi 6 mars.
Votez pour moi, je suis comme vous
Comment se distinguer, se faire connaître auprès de l’électeur, le séduire, acquérir sa confiance en quelques semaines ? Beaucoup de candidats jouent à plein la carte du localisme et de la proximité, avec deux messages complémentaires :
« Je vous connais bien, je suis parmi vous » et « Je vous comprends, puisque je suis comme vous ».
L’ancrage territorial apparaît comme le brevet d’expertise propre à convaincre l’électeur. Malheur au parachuté ! Habiter le canton depuis vingt ou trente ans est un avantage non négligeable, mais y être né, y avoir grandi, ne jamais l’avoir quitté est l’arme suprême, propre à terrasser l’adversaire venu d’ailleurs.
Vice-président socialiste du conseil général de l’Essonne, candidat aux Ulis, Jérôme Cauët explique ainsi dans ses documents de campagne :
« Je suis né en 1977, la même année que la ville des Ulis. J’ai fait ma scolarité au collège Pierre Mendès France à Marcoussis puis au lycée d’Essouriau aux Ulis », avant d’exercer la profession d’ « inspecteur du travail, de 2003 à 2008, sur la zone de Courtabeuf ».
A défaut d’un tel parcours, existe néanmoins un autre moyen pour faciliter l’identification de l’électeur : montrer, en se présentant à lui, combien on lui ressemble. Philippe Huppé, candidat UDI dans l’Hérault, commence ainsi sa biographie : « Agé de 46 ans, je vis en couple et j’ai deux enfants. Je partage avec ma famille l’amour du ski, de la randonnée, de la chasse (sic) aux champignons et de la littérature ». Un homme qui « chasse » le champignon en famille ne peut être tout à fait mauvais…
Alors, certes, les départementales sont des élections locales, mais elles sont aussi des consultations nationales à l’écho très politique. On le comprend notamment en observant les visuels choisis par les candidats. Ils sont importants car la photographie qui les identifiera sera déclinée sur tous les supports de campagne, des sites internet aux professions de foi, en passant par les tracts et, bien sûr, les affiches apposées sur les panneaux électoraux, strictement réglementées par la loi.
Au-delà des sourires partagés, des regards plein objectif, des couples heureux d’être ensemble (l’homme à gauche, la femme à droite, ou le contraire), des attitudes plus ou moins figées, on relève des options différentes selon les familles politiques.
Le Front national : Marine Le Pen, candidate partout
Le Front national mise beaucoup sur les départementales : il est le seul des grands partis à avoir lancé une campagne d’affichage national avec, en vedette, Marine Le Pen (« La France au cœur »).
Or, ce qui frappe, c’est l’uniformité des affiches des candidats : la même sobriété des tenues (cravate dominante chez les hommes), le même fond bleu, le même slogan (« Face aux trahisons de l’UMPS, l’espérance bleu marine !), la même référence à Marine Le Pen. Les candidats ont posé individuellement en studio et les visuels, montés, font rarement allusion aux spécificités locales des départementales.
Pour eux, se conformer aux maquettes conçues par les instances du parti, est une ardente obligation militante. Du coup, peu importe qui l’électeur a en face de lui : placée dans une perspective nationale, dominée par la personne même de Marine Le Pen, la campagne du FN est avant tout une étape dans la conquête du pouvoir.
UMP et UDI : la carte locale
A l’UMP et l’UDI, au contraire, la diversité prévaut. On aime, de préférence sous le soleil, le décor naturel : la montagne, l’océan, la campagne, les espaces verts des villes, selon le lieu où on se présente.
Là aussi, le montage photographique domine : on colle un fond bucolique sur des clichés pris en studio – qui garantit la qualité d’éclairage -, et, pour le texte, on ajoute des bandeaux bleus, code couleur classique de la droite. Chacun y va de son slogan, pourvu qu’il soit consensuel et témoigne de l’énergie des candidats :
« Allons à l’essentiel ! » (Hérault), « Engagés pour nos villes » (Val d’Oise), « Pour vous, nous sommes prêts » (Seine St Denis), etc. Mais fort souvent, il s’appuie sur l’ancrage local : « Catalans gagnants, le nouveau souffle pour le département ! » (Perpignan), « Nanterre au cœur du 92 », « Défendons notre territoire » (Arles).
Sur le terrain, pour les candidats de l’UMP et l’UDI, pas question de faire du scrutin un enjeu national. Cela, ce sera, après les résultats, la tâche de l’état-major parisien.
Plus de PS, mais des « majorités départementales »
Au-delà du rose vif, couplé avec le vert, en cas d’alliance avec les écologistes, on a bien du mal à trouver des traits d’unité dans les visuels du Parti socialiste, même si pointe, de temps en temps, le mot « solidaire ».
Photos en studio ou en plein air, décors naturels ou fonds unis, sourires larges ou à peine esquissés, rien ne se distingue vraiment dans les affiches socialistes. Un élément frappe pourtant dans des départements détenus par le PS : la curieuse formule de « majorité départementale ».
Ici, plus référence au parti : le logo est effacé, le rose vif est gommé et un slogan aux allures consensuelles surgit, comme « Bon sens et engagement ! », dans le Vaucluse (Max Raspail, Gisèle Brun).
On ne peut être plus éloquent sur les craintes que suscite le scrutin chez les candidats sortants…
Ecologistes et Front de gauche : doudounes et écharpes rouges
Avec les écologistes et le Front de gauche, finis les studios, les effets d’éclairage, les costumes sombres et les cravates sur chemises blanches, les tenues discrètement élégantes des femmes.
Place aux photos dans la rue ou dans les parcs, aux doudounes et aux pullovers chez les écologistes, aux manteaux sombres et aux écharpes rouges chez les candidats du FDG, quand la photo est prise un jour de frimas !
Le vert et le jaune des premiers se mêlent parfois au rouge des seconds, lorsqu’ils s’allient.
Les mots d’ordre sont nationaux, visant l’austérité, et adaptés aux situations locales (« L’Oise solidaire, écologiste et citoyenne ! »).
Ici, l’enjeu est autant local que national, et l’essentiel est de se montrer aux électeurs « au naturel ». Comment incarner l’alternative, en acceptant la sophistication de la « com’ » ?
Quand Voici réveille la campagne
Dans quelques jours, les panneaux électoraux seront envahis par les visages de candidats, d’autant que, à l’exception du FN, les principaux partis ont décidé d’y voir figurer les suppléants, parfois côte à côte avec les titulaires. Des dizaines d’hommes et de femmes inconnus vont se bousculer dans la tête des électeurs.
L’impression d’uniformité dominera d’autant plus que les candidats auront fait appel aux maquettes de documents de campagne proposés par les partis, bâties selon des principes de communication finalement proches les uns des autres.
C’est pour échapper à cette logique et frapper les esprits, qu’Anne Mansouret et Jean Berkani, soutenus par le PS, dans l’Eure, ont conçu ce qu’y apparaît comme l’un des plus originaux outils de campagne : un 16 pages dont la couverture pastiche la couverture de Voici !
Un clin d’œil appuyé d’Anne Mansouret, conseillère générale sortante et mère de Tristane Banon, l’une et l’autre bousculées par la presse people au moment de l’affaire DSK. Son trait d’humour ne sera sans doute pas suffisant pour gagner l’élection, mais, par contraste, il souligne combien l’imagination est rare dans la communication d’une campagne terne, annonciatrice d’une abstention record.
« Quand la politique veut séduire », ce vendredi 6 mars. Avec Roselyne Bachelot, Christian Delporte, Marie de Gandt et Thomas Legrand. Débat en écho au spectacle Discours à la nation (texte et mise en scène Ascanio Celestini, avec David Murgia au théâtre de la Croix-Rousse du 8 au 11 avril 2015), animé par Julie Clarini/Le Monde, dans le cadre du cycle de débats « Les Idées en scène » proposé par la Villa Gillet, le Théâtre de la Croix-Rousse et l’Opéra de Lyon.
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