« Je ne veux pas être la coqueluche des médias. Certains se construisent comme ça. Ce n’est pas mon cas. C’est seulement un moyen pour expliquer ma démarche. Je préfère faire et qu’on en parle ».
Depuis notre rencontre en septembre dernier, Mourad Benchellali a gagné en confiance et affirme ses positions. Mieux qu’un média training, il s’est formé sur le tas, croulant sous les sollicitations des journalistes. Ce samedi après-midi, au Café de la paix à Vénissieux, il égrène les titres de presse rencontrés :
- Des médias étrangers : des Suisses (la TSR), des Belges (la RTBF), des Allemands (Der Spiegel), des Mexicains (El Proceso), des Britanniques (Channel 4), des Japonais (Kyodo News) ou encore des Américains (New York Times).
- Des médias français : des télés (Arte, TF1, France 2, 3, 4, 24), des radios (RMC, France Info, Inter, RFI, Culture), de la presse écrite nationale (Le Figaro, l’Express, bientôt Le Monde Magazine) et de la presse lyonnaise (Le Progrès, Mag2Lyon, Dépêche du Midi).
Et bientôt un film, « Friendly combatant »
Pour le moment, nous explique-t-il, les seuls auxquels il n’a pas dit oui c’est « 66 minutes » de M6 et « Envoyé spécial », émissions jugées trop « sensationnalistes ».
Radios, télés, journaux ont voulu recueillir le témoignage de cet habitant des Minguettes, à Vénissieux, parti en Afghanistan dans un camp d’Al-Qaeda et qui a passé deux ans et demi à Guantanamo puis un an et demi en prison en France.
Tous veulent son avis sur la politique anti-terroriste, surtout depuis les attentat des 7, 8 et 9 janvier. Pour gérer ces sollicitations médiatiques, il se fait désormais assister « bénévolement » par Jean-Michel Riera, un journaliste.
C’est lui qui va réaliser le film que Mourad Benchellali prépare sur son avocat Jacques Debray. Son film porte le même nom que son blog lancé également il y a quelques semaines, « Friendly combatant ». C’est une référence à rebours à l’univers de Guantanamo puisque les détenus étrangers y étaient illégalement incarcérés sous la qualification de « Enemy combatant ».
Profs, imams, parents, préfets et sénateurs veulent Mourad Benchellali
Signe de l’abîme dans lequel se trouvent tous ceux confrontés à la question du départ vers des « terres de djihad », Mourad Benchellali est également sollicité par des associations, des mosquées mais aussi des parents d’enfants partis en Syrie.
Ces rencontres ou soirées-débats donnant lieu également à reportages télé. Comme lors de cette première rencontre organisée, chez lui, à Vénissieux.
Il a accepté l’invitation de partis de gauche pour une rencontre dans une librairie de Toulouse. Et, dernièrement, il était en région parisienne pour une autre conférence-débat organisée par Trait d’union 93 et animée par Beur FM.
Mourad Benchellali reçoit également des demandes pour intervenir dans les institutions de la République :
- Un centre pénitentiaire pour mineurs de la région parisienne.
- La préfecture de Haute-Vienne qui voudrait le faire intervenir dans un stage de citoyenneté.
- Plusieurs profs de lycée et collège voudraient également le faire intervenir.
Pour le moment, il est encore en attente des autorisations définitives. Car l’attitude des autorités changent progressivement. Il y a peu, il était encore considéré comme un paria qui ne pouvait pas intervenir dans les écoles alors qu’il était invité en Suisse et Belgique.
Mais en novembre il a été auditionné par les sénateurs. Son discours est reproduit sur son blog.
Il y a quelques semaines, le Service d’information du Gouvernement (SIG qui pilote la communication gouvernementale) l’a également rencontré pour lui demander de participer à la campagne #StopDjihadisme. Des discussions sont en cours pour déterminer la forme de sa participation.
Un témoignage et un discours sur la prévention du djihad
Quand il s’agit de télé ou de radio, il commence souvent par recadrer le ou la journaliste qui lui pose des questions : il veut être présenté seulement comme un ancien détenu de Guantanamo et non comme un « ancien djihadiste repenti ». Idem, il insiste pour dire qu’il ne part pas en « croisade contre le djihad » mais ne fait que « répondre aux demandes ».
Sur le fond, au-delà du témoignage, son discours s’articule autour de trois arguments qui vont dans le sens de plus de prévention pour « dissuader les jeunes » de partir vers les zones de conflits appelées « terres de jihad » (le sous-titre de son blog).
1/ La répression renforce radicalisation
Avant les attentats de Paris, les journalistes l’interrogeaient sur les premières mesures anti-terroristes et sur les incarcérations possibles au retour de Syrie ou d’Irak.
Pour lui, la prison renforce la radicalisation de ces jeunes. Il l’explique notamment lors de son premier passage à France Info.
« Il faut faire comprendre qu’on peut reconstruire sa vie. Il ne faut pas stigmatiser, en disant : vous êtes terroristes et vous ne pouvez pas en sortir. »
Chez Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, en octobre, il précise sa pensée :
« En France, la seule méthode utilisée, c’est la répression policière. On manque d’humain. La radicalisation vient d’un sentiment d’injustice que la prison ne fait qu’alimenter ».
Il prend également l’exemple d’un programme de « déradicalisation » qui existe au Danemark.
2/ En prison, l’isolement aggrave les choses
Après les attentats des 7, 8, 9 janvier, le ton change. La question est : faut-il isoler ou non les « radicaux » ? Invité du soir 3, Mourad Benchellali répond :
« J’ai connu l’isolement à son plus haut niveau, c’est Guantanamo. Quand on met des personnes radicalisées entre elles, ça aggrave les choses ; ça crée de la radicalisation. (…) Se déradicaliser, c’est possible. Mais pour cela, il faut être confronté à d’autres points de vue. Pourquoi ce serait la personne radicalisée qui radicaliserait les autres ; ça peut être l’inverse. »
3/ S’attaquer aux causes sociales
Au fur et à mesure de ses interventions médiatiques, Mourad Benchellali développe son point de vue et va plus loin que le simple témoignage. A l’Autre JT sur France 4 du 15 janvier mais aussi dans un entretien à la Dépêche du Midi paru le 2 février, il s’interroge sur les causes sociales de ce que l’on appelle « radicalisation ».
Car l’explication unique par la « dérive sectaire » de ces jeunes ne lui convient pas. Pour lui, c’est un « élément de langage » qui permet d’exonérer à peu près tout le monde de ses responsabilités.
« On veut tout expliquer par le radicalisme religieux. Il faut essayer de comprendre pourquoi ces jeunes sont plus vulnérables à la propagande de l’Etat islamique. Pourquoi ils ne s’identifient plus à la communauté nationale ? Pourquoi on ne sent plus Français ? Pourquoi il y a de l’islamophobie ? J’ai grandi aux Minguettes. Quand je discute avec des anciens de la Marche de l’égalité et contre le racisme, ils expliquent que ces problèmes ont évolué mais sont toujours présents. »
L’ex-présidente du Medef aux Minguettes
Mourad Benchellali ne veut pas s’en tenir simplement à répondre aux entretiens avec des journalistes ou à la participation à des conférences-débats. Même si cela lui prend actuellement « tout son temps ». Il veut, dit-il, créer « une dynamique » :
« C’est une petite initiative. Je ne vais pas régler le problème ».
Dans cette idée, il a saisi au bond la chronique de l’ex-présidente du Medef, Laurence Parisot, sur Europe 1 où elle tressait des lauriers au Vénissian.
Il a donc lancé une invitation à la chroniqueuse sur Europe 1, qui est présidente d’honneur du syndicat patronal. Et elle a dit oui.
Une rencontre se déroulera le 11 mars, aux Minguettes, sous la forme d’une table-ronde réunissant autour de Laurence Parisot des associations.
L’objectif, explique Mourad Benchellali, n’est pas seulement de dresser un énième état des lieux des difficultés rencontrées en banlieue. Puisqu’on ne peut plus attendre grand chose du public, il faut, dit-il, que le privé investisse dans les quartiers :
« Un jeune qui a du boulot ou un projet est moins vulnérable. Ce n’est pas la peine de sortir des thèses sur l’islam pour comprendre cela. Les associations d’insertion sont une piste à explorer pour créer de l’emploi. Je connais beaucoup d’associations qui veulent faire des choses et qui n’y arrivent pas. Et même si c’est la crise, il y a de l’argent ».
Les associatifs sont invités à venir avec des projets à financer et à les transmettre à Laurence Parisot. La Régie de quartier, l’Epicerie sociale ou bien l’association « Your Design Destin » sont pour l’instant annoncées. Cette micro-action pourrait se dupliquer dans d’autres villes.
« Je profite des rencontres et des médias qui me suivent pour le faire. Je sais que cette exposition médiatique est éphémère. »
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