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Et au milieu coule le Rhône… Un fleuve épuisé dans un docu passionnant

Il est l’un des fleuves les plus puissants d’Europe. C’est avec cette introduction en forme de punch line que démarre le documentaire dédié au Rhône, diffusé ce vendredi sur Arte. Claude-Julie Parisot a plongé dans la vaste opération de restauration de ce cours qui traverse notamment Lyon, lancée après 150 années d’exploitations qui l’ont -pas tout à fait mais presque- tué.

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Le Rhône, la renaissance d'un fleuve, documentaire sur Arte TV. © Cocottes Minute Productions

Le Rhône, la renaissance d'un fleuve. © Cocottes Minute Productions
Le Rhône, la renaissance d’un fleuve. © Cocottes Minute Productions

Les spectaculaires crues de 2003 (voir la vidéo ci-dessous), durant lesquelles des gens sont forcés de se déplacer et certains trouvent la mort, ont fait bouger les lignes. Comme souvent, après le drame, il a été l’heure des questions : comment se peut-il que ce fleuve que l’on croyait sous contrôle devienne cette force insoumise qui ravage tout sur son passage ? En cause, les aménagements successifs, depuis 150 ans :

« Trop de digues, de barrages, de béton, de routes et de voies ferrées. »


Reportage de FR3 sur la crue du Rhône à Bourg Saint Andéol (ardèche) en 2003 par boulegg

C’est alors qu’un ambitieux programme de restauration est lancé, c’est le « plan Rhône ». Il est en place depuis dix ans.

Le documentaire pose la question de ce qu’est le fleuve Rhône et le traite comme un personnage au chevet duquel se succèdent des scientifiques (près d’une centaine : géographes, ingénieurs eau, écologues…), tentés par le défi de l’ « écologie durable ».

La faute à l’ingénieur Girardon

Hervé Piégay, géographe, parle de la logique de réparation du fleuve et avant cela le décrit comme un cours « corseté », « épuisé ». Mais « avec beaucoup de fougue vu qu’il arrive des Alpes ».

Pour sa restauration, on nous renvoie alors au 18e siècle. Jean-Paul Bravard, géographe, l’annonce :

« On imagine un fleuve qui est jusqu’à trois kilomètres plus large… C’est énorme. »

En 1840, l’Etat qui réfléchit à utiliser le cours d’eau pour faire passer les bateaux sur un chenal unique, se penche sur le cas des petits chenaux du fleuve qui se déplacent entre des grands bans de galets. Un déluge de digues s’abat sur le Rhône et là où on avait jusqu’à deux kilomètres de fleuve, on le réduit à 200 mètres de largeur. On garantit ainsi deux à trois mètres de profondeur presque toute l’année, pour le passage des embarcations.

Un exercice de style que l’on doit à un certain « ingénieur Girardon », montré comme l’auteur d’une forme de désastre environnemental, rien de moins. C’est lui qui, à partir de 1880, fait fabriquer à tour de bras des équipements de blocs de pierre, des casiers sur le fleuve.

Elsa Parrot, géomorphologue, est l’une des scientifiques qui s’atèle aujourd’hui à la restauration, comme pour un tableau. Elle regarde les plans anciens du travail de Girardon, calque par dessus avec des logiciels propres des images de ce qu’est le fleuve aujourd’hui, pour comprendre comme il a évolué et comme il s’est adapté à chacune des interventions qu’on a faites sur son cours.

Le documentaire nous emmène après le péage du Roussillon, où un travail de réhabilitation a déjà été réalisé : l’un des objectifs de la restauration est de recreuser et de remettre en eau les bras secondaires, aujourd’hui moribonds, qui couraient tout le long du fleuve.

Le Rhône, la renaissance d'un fleuve, documentaire sur Arte TV. © Cocottes Minute Productions
Le Rhône, la renaissance d’un fleuve, documentaire sur Arte TV. © Cocottes Minute Productions

Le Rhône inhabitable

On est embarqués dans l’hélico, pour donner un côté un peu aventurier à ces travaux scientifiques. On plonge aussi sous l’eau comme pour un docu animalier, avec la musique idoine. On assiste à la remise en eau d’un bras du Rhône, « spectaculaire et inquiétant » dit la voix off.

Le Rhône a donc perdu de sa force, s’est enfoncé (à cause des aménagements Girardon notamment).

« On l’a contraint, on l’a incisé, donc il a creusé son lit », explique le géographe Hervé Pigay.

Par endroit, le fonds du fleuve est pavé, c’est à dire mort ; inhabitable pour toute faune ou flore aquatique…

Toutefois, 25 bras du fleuve sur quatre sites ont déjà été restaurés : aucun fleuve n’a bénéficié d’une pareille restauration.

L’opération pourrait aller plus vite, mais l’eau du Rhône est toujours beaucoup utilisée, pour produire de l’électricité notamment. Une « autre embûche dans sa restauration » : sur les 530 km de son cours français, le fleuve porte 19 aménagements hydroélectriques. Ils s’expliquent historiquement : après la frénésie des milliers de digues et des barrages, la période qui suit Première guerre mondiale suscite de nouvelles injonctions : le Rhône doit encore produire davantage. On fabrique donc ces usines, avec les turbines dans lesquelles l’eau passe pour produire de l’énergie.

La responsabilité de la Compagnie Nationale du Rhône

Système des turbines en bord de Rhône. Capture d'écran documentaire.
Système des turbines en bord de Rhône. Capture d’écran documentaire.

Se pose alors la question de la responsabilité de la CNR (Compagnie Nationale du Rhône), société privée qui exploite la quasi totalité des usines hydroélectriques du fleuve. En contrepartie de cette concession de l’Etat, elle participe en partie au financement des travaux d’ingénierie.

Les enjeux énergétiques autour du plan de restauration sont énormes. Ils sont l’objet de négociations entre la CNR, donc, l’Etat et l’Agence de l’eau car « le débit de l’eau, c’est le nerf de la guerre ».

Dans cette mission, le rôle de la CNR serait donc aujourd’hui de mettre de l’eau dans le Rhône et un peu moins dans ses turbines.

Luc Levasseur, directeur concessions et patrimoine au sein de la CNR assure que :

« L’augmentation des débits réservés est un sujet important pour la CNR, c’est 500 000 mégawatts qui ne seront plus produits sur le Rhône, équivalent d’une année de production d’un barrage du Rhône. »

Le documentaire n’évoque pas davantage les enjeux financiers et ce que rapporte le fleuve à la société. Il n’aborde que pudiquement la chose, en invoquant nos besoins en énergie toujours plus grands, en contradiction avec la préservation de la nature.

Pour exemple, en aval du barrage du Roussillon, la restauration se passe bien, réalisée selon les préconisations des scientifiques. Mais cela a mis pas loin de quatre ans pour parvenir à mettre tout le monde d’accord.

… et des centrales nucléaires

Capture d'écran "Le Rhône, renaissance d'un fleuve".
Capture d’écran « Le Rhône, renaissance d’un fleuve ».

Les systèmes hydroélectriques ne sont pas les seules usines à impacter le Rhône. Les centrales nucléaires qui rejettent dans le Rhône les eaux de refroidissement de leurs réacteurs pose un très important problème thermique -l’eau du Rhône est prélevée froide en amont du fleuve puis ressort chaude à l’aval.

Sur les 30 dernières années, la température du fleuve a ainsi augmenté de deux degrés (à son embouchure et en été). Cela est dû pour un tiers aux quatre centrales nucléaires qui bordent le fleuve et, pour le reste, probablement au changement climatique.

Le réchauffement de l’eau est donc significatif et les communautés de poissons sont en première ligne. Les scientifiques ont observé l’évolution des peuples de poissons, soumis à des modifications qualifiées d’ « incroyables ».

Jean-Paul Bravard pose la question :

« On a oublié les pertes de valeurs environnementales, la durabilité c’est envisager les choses à deux ou trois siècles. Qu’est-ce que l’on aura ? »

Le documentaire pose la question du bout des lèvres :

« Peut-on envisager de limiter la quantité d’eau prélevée et rejetée en modérant l’activité nucléaire ? »

Le film se veut malgré tout assez optimiste et salue le travail déjà accompli, il fait la promotion de l’opération de restauration et souhaite donc une vie durable au Rhône :

« Voyager dans une zone restaurée est comme visiter un petit paradis ».

Mais l’ampleur de la tâche semble gigantesque. A voir en vidéo, ci-dessous, un extrait :

Le Rhône, la renaissance d’un fleuve, par Claude-Julie Parisot. Sur Arte, vendredi 23 janvier à 22h20. Puis en replay pendant six jours. Rediffusion vendredi 2 février à 9h50 et disponible en VOD.


#CNR

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