Lundi, débat lapidaire avec un collègue sur l’insubmersible question « peut-on rire de tout ? ». Lui, droit dans ses bottes, professe le « oui » sans réserve. Je lui oppose mon « oui, mais pas n’importe comment » ; la conversation se dirige toute seule, sans qu’on l’aide, vers l’affaire des caricatures de Mahomet et leur relais par Charlie Hebdo.
Pour une fois que je ne tiens pas ce genre de débat à 23h avec quatre pintes dans le buffet, je laisse de côté les arguments du type « de toute façon, Philippe Val est une biatch » pour comparer le journal à l’agit-prop des Femen : de la provocation crasse, orchestrée de toutes pièces, qui vise au plus bas et dessert la cause (là le féminisme, ici la liberté d’expression) plus qu’elle ne l’aide.
Docte et professoral comme je ne peux m’empêcher de l’être – même sobre –, j’ajoute que le double épisode de South Park sur le sujet vaut bien plus que toute la somme des dessins de Charlie Hebdo. J’ai écrit un blog là-dessus sur Rue89Lyon, vu 104 fois, donc j’imagine que ça me donne une légitimité.
La semaine dernière, second visionnage intégral de la série A la Maison Blanche. Début de la troisième saison, l’épisode Isaac and Ishmael tourné dans la foulée du 11 septembre (dont le blogueur Maître Eolas n’a cessé de recommander la vision dans la journée d’hier). À travers la voix de Sam Seaborn (Rob Lowe), Aaron Sorkin, qui était encore un scénariste brillant, donne son opinion sur le terrorisme :
« Son taux d’échec est de 100%. Non seulement les terroristes n’obtiennent jamais ce qu’ils veulent, mais ils ne font que renforcer ce contre quoi ils luttent. »
De fait.
Les terroristes m’ont fait chialer pour des journalistes dont le point de vue m’agaçait au plus haut point. Ils ont prolongé la durée de vie du journal qu’ils pensaient tuer au-delà des espérances des plus optimistes.
Ils ont rendu Philippe Val et Richard Malka sympathiques – c’est dire la nuisance.
Ils ont révélé la vraie nature de l’infâme Ivan Rioufol qui devrait, si tant est qu’il y ait une justice, être radié définitivement des antennes – il connaîtra vraisemblablement la même « punition » que Jean-François Kahn, un peu moins d’exposition pendant deux trois ans, puis tout cela se tassera, avant le prochain dérapage, bien sûr.
Dans la station de ski où je bosse comme saisonnier, le drapeau de la mairie est en berne ; ce sont les collègues d’origine anglaise et espagnole qui ont veillé au respect de la minute de silence, à midi ; mon partisan du « on doit rire de tout » arbore un sticker « Je suis Charlie » sur la poitrine.
L’impératif reste d’assurer le service touristique, de passer outre l’ambiance de guerre civile que les médias commencent à nous vendre. Le spectacle doit continuer. Je dois projeter Le Hobbit ce soir, tout sonné que je suis. C’est une façon comme une autre de gérer l’après, toujours meilleure que de rester terré chez soi à écouter les infos ressasser les mêmes semi-infos en boucles ininterrompues, tout en étant terrorisé par Twitter.
Ce n’est pas comme si on allait trouver un quelconque réconfort dans les mots de nos dirigeants politiques ou de nos éditorialistes, tous à la ramasse dans un énième concours de banalités et autres formules toutes faites qui n’auront jamais sonné aussi injurieuses au bon sens comme à l’esprit critique. Autant s’abandonner deux heures dans les aventures de Bilbo et ses potes de petite taille.
Dans deux semaines, le cinéma doit programmer Qu’Allah bénisse la France, je ne peux qu’espérer que les séances seront maintenues, quel que soit l’intérêt du film. Je refuse de lire dans le dernier Houellebecq autre chose qu’une comédie de politique fiction.
Le terrorisme ne marche pas. Il grève le débat public, cristallisé autour d’antiennes dont on pensait à tort s’être débarrassé, et qui n’attendaient en fait que d’être réanimées par l’actualité. Il ne marche pas, ne serait-ce que parce qu’il me pousse, scribouillard borné, à sortir de ma ligne de confort éditorial pour ne serait-ce qu’envisager que ces mecs aient eu raison. Qu’ils se battaient, sans doute mal, mais qu’ils se battaient. Je ne suis pas Charlie, mais je chiale.
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