La trêve des confiseurs est propice aux grands élans de solidarité œcuménique. Le 30 décembre 2004, le président de la République de l’époque Jacques Chirac promulguait la loi n°2004-1486 votée quelques jours plus tôt par une majorité de parlementaires de droite comme de gauche.
Alors que le titre premier de la loi (abrogé en 2011) instituait la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE), le titre III («renforcement de la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe») modifiait la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin de réprimer les provocations «à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap».
Ce n’était pas la première fois que la loi française condamnait explicitement les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle : en 2001 et 2002, deux lois les avaient interdites dans les domaines du travail et du logement.
Quant à la (très controversée) loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, elle introduisait le terme “homophobie” dans le Code pénal en en faisant une circonstance aggravante en cas d’agression. Mais ces lois réprimaient des pratiques discriminatoires ou des actes violents.
La loi du 30 décembre 2004, elle, allait plus loin en réprimant également des propos homophobes. Si ses adversaires n’ont pas manqué de dénoncer une loi “liberticide” restreignant la liberté d’expression, la France n’a pas été pionnière en la matière : de telles dispositions punissant l’incitation à la haine contre les homosexuels (et plus largement contre les propos homophobes) existaient déjà au Danemark (depuis… 1987), aux Pays-Bas (1992), en Espagne (1995), en Suède (2002) et en Belgique (2003).
En revanche, la loi du 30 décembre 2004 ne mentionne pas les propos discriminatoires à raison de l’identité de genre, au grand dam des associations trans. En 2012, la loi du 29 juillet 1881 a bien été modifiée, mais pour y introduire la notion floue… d’”identité sexuelle”, expression qui ne satisfait pas grand-monde.
Le gouvernement s’était alors justifié en expliquant que l’emploi du mot « genre » aurait suscité une levée de boucliers chez les conservateurs.
Discours de victime ?
Par une modification supplémentaire de la loi du 29 juillet 1881, celle du 30 décembre 2004 permet également aux associations de lutte contre l’homophobie déclarées depuis au moins cinq ans de se porter partie civile dans des procès pour propos homophobes.
Cette disposition ne sera pas sans effet sur le monde associatif LGBT français : dès lors, la lutte contre les propos homophobes (et, plus largement, contre l’homophobie) va occuper une place grandissante dans l’agenda politique des associations LGBT, dont elle devient souvent l’alpha et l’oméga… au détriment de combats non moins prioritaires : la visibilité, les avancées législatives à conquérir, la lutte contre le sida ou contre les discriminations entre personnes LGBT (lesbophobes, transphobes, biphobes, sérophobes, racistes…).
Dans son petit pamphlet paru en 2012 (Pourquoi les gays sont passés à droite), Didier Lestrade appuyait là où ça fait mal en soulignant toute l’ambiguïté de cette loi qui a incontestablement représenté une avancée mais n’est pas sans effets pervers :
« Se battre contre l’homophobie de nos jours, c’est souvent avoir un discours de victime qui est à l’opposé de l’engagement politique LGBT fier et presque révolutionnaire des décennies précédentes […]
L’État parvient à répondre habilement à cette demande affective et à ce discours victimaire. […] On est dans le misérabilisme de l’homophobie, dans la plainte et la supplication face aux pouvoirs publics qui adorent ça. »
Reste que, depuis cette loi du 30 décembre 2004, les propos homophobes, au même titre que les propos racistes ou antisémites, ne sont juridiquement plus considérés comme une opinion, mais comme un délit. Qui peut s’en plaindre ?
Qu’est devenue la HALDE ?
Dissoute en 2011, la HALDE a été remplacée par un Défenseur des droits aux capacités forcément plus limitées que celles d’une autorité collégiale. En 2014, François Hollande a nommé à ce poste, chargé notamment de lutter contre les discriminations, un ancien ministre de la Culture au profil pour le moins original : Jacques Toubon, qui, au début des années 80, s’était opposé à la dépénalisation de l’homosexualité.
Annoncée depuis 2003, la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 a été concomitante d’un fait divers sordide : moins d’un an plus tôt, le 16 janvier 2004, un jeune homme gay d’une trentaine d’années, Sébastien Nouchet, est retrouvé brûlé vif ; au sortir de deux semaines de coma, il déclare avoir été victime d’un crime homophobe et désigne un ancien voisin (déjà condamné à six mois de prison pour l’avoir agressé à coup de tournevis) comme l’un de ses assaillants.
Les associations gays et lesbiennes mais aussi des responsables politiques de droite comme de gauche (et jusqu’au Président de la République Jacques Chirac) dénoncent un acte de barbarie et expriment leur solidarité avec la victime ; le premier ministre Jean-Pierre Raffarin annonce dans la foulée que le gouvernement prépare un texte de loi contre l’homophobie. Quelques mois plus tard, pourtant, le témoignage de Sébastien Nouchet est remis en cause pour ses incohérences ; son passé dépressif et ses nombreuses tentatives de suicide éveillent des doutes chez les enquêteurs, si bien qu’après moins d’un an de détention, son agresseur présumé est remis en liberté «faute d’éléments à charge».
Comme dans « l’affaire du RER D« , survenue la même année (une jeune fille a prétendu avoir subi une agression antisémite avant de reconnaître qu’elle avait tout inventé), médias, politiques et associations ont-ils été dupés par un mythomane ? Ou l’enquête a-t-elle été bâclée, comme le suggèrent les défenseurs du jeune homme ?
À l’automne 2006, l’affaire se conclut par un non-lieu, confirmé en appel l’année suivante, sans que ni la thèse de l’agression ni celle de la tentative de suicide n’aient pu être confirmée.
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