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Projet de Center Parcs en Isère : après Sivens, qui empêchera la bataille rangée ?

Certains ingrédients sont nécessaires pour qu’un projet urbain devienne le lieu d’une bataille symbolique : un projet de taille conséquente sur un territoire désert d’infrastructures ; des élus qui produisent devant lui des discours opposés ; l’installation sur place de militants organisés ; un relais de plus en plus important par les médias. Le projet de Center Parcs à Roybon, en Isère, les réunit tous.

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Capture d'écran de l'association "Vivre en Chambaran", constituée d'habitants de Royan convaincus par le projet de Center Parc.

Après le tragique épisode « Rémi Fraisse » sur le barrage de Sivens, les lignes de force d’un tableau classique se modifient et la tension est décuplée. Généralement, s’il existe des personnes favorables aux projets, en dehors des instigateurs eux-mêmes (autrement dit les élus/investisseurs/constructeurs), elles brillent par leur absence dans les articles de presse. A Roybon, il y en a.

Ce mardi 2 décembre, les « favorables » au village-vacances étaient environ 150, selon ce que rapporte le Dauphiné Libéré (payant), réunis dans la salle de réunion d’un ancien collège.

Capture d'écran de l'association "Vivre en Chambaran", constituée d'habitants de Royan convaincus par le projet de Center Parc.
Capture d’écran de l’association « Vivre en Chambaran », constituée d’habitants de Roybon convaincus par le projet de Center Parc.

Tous ont décidé de contrarier les habitudes en tentant de faire entendre leur propre contestation dirigée contre… la contestation. Plusieurs des 1400 habitants de Roybon le veulent, ce complexe hôtelier monté par Pierre et Vacances.

Serge Perraud, maire de la commune, l’a dit en ces termes :

« Nous aussi nous devons être capables de nous mobiliser, et en nombre ! Nous devons nous organiser. »

Les ambitions iséroises de Pierre et Vacances à Roybon sont importantes : le spécialiste du tourisme veut y concevoir un complexe de 1000 cottages avec restaurants, piscine et boutiques…

Les pro-Center Parcs, habitants comme élus, font valoir les 697 emplois à temps partiel prévus, ainsi que les retombées fiscales qu’une telle infrastructure doit apporter à la commune.

 

Dans le petit chalet, la « base arrière » des opposants

En face, les opposants sont déjà en place : ils occupent depuis quelques jours une maison de l’Office national des forêts (ONF), actuellement non utilisée (en cours de vente) et située à proximité du chantier, dans la forêt de Chambaran, afin de servir de « base arrière ». C’est bien en des termes guerriers que la lutte est évoquée par les opposants. Rien de nouveau pour la motivation des troupes, mais après la mort de Rémi Fraisse qui date de quelques semaines seulement (dans la nuit du 25 au 26 octobre, à Lisle-sur-Tarn), tous sont spécialement remontés.

Près d’un millier de personnes a déjà manifesté contre le chantier du village-vacances Center Parcs, qui en est au stade du défrichement.

Depuis quelques jours, Roybon est donc devenu une nouvelle ZAD, zone à défendre -une expression née après la forte opposition constituée contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Les ZAD marquent les grands projets jugés inutiles actuellement en cours en France et dont on peut trouver la carte sur Rue89.

L‘association montée contre le projet touristique a dressé la liste des motifs de sa colère :

  • la destruction de 110 ha de zones humides précieuses pour l’alimentation en eau potable de la région (voir les conclusions du rapport de l’enquête publique « loi sur l’eau »),
  • la mise en péril localement de 37 espèces protégées,
  • l’impact sur des rivières classées en réservoir biologique,
  • la privatisation de biens communs publics d’usage libre et collectif,
  • le gaspillage d’argent public en faveur de Pierre et Vacances…

Montage vidéo réalisé par l’association « Pour les Chambarans sans Center Parcs »

 

Le chantier de Roybon, le lieu de tous les dangers

Cet été, un avis défavorable relatif au chantier a été rendu par la commission d’enquête au titre de la loi sur l’eau, pointant les risques qu’une telle installation engendre notamment pour la nappe phréatique. Désormais, on s’étripe pour savoir si le chantier actuellement en cours est légal ou non. Plusieurs recours en justice ont été déposés.

La société qui mène les travaux, quant à elle, s’est exprimée via Philippe Rosaire, responsable de l’équipe de géomètres, lors de la réunion des « pro » Center Parc de ce mardi soir. Il a ainsi déclaré, d’après Le Dauphiné :

« On vous demande de l’aide, du soutien. Nous sommes des entreprises locales à travailler sur le chantier. On subit les attaques des opposants depuis plusieurs semaines. En tant que patron, ce n’est pas facile de dire à ses hommes de retourner au boulot tous les matins dans ces conditions. »

Les méthodes des opposants qualifiés d’ « extrémistes » ou d’ « illuminés » par des habitants au moins aussi remontés, sont désormais pointées du doigt. Lors de la réunion en faveur du projet, beaucoup ont prôné le calme aussi bien sur le terrain que sur les réseaux sociaux ; un agriculteur a lui proposé de déverser du lisier devant la maison de l’ONF occupée.

 

Des voix politiques discordantes

Le groupe Europe Ecologie les Verts de la région s’active sur le dossier depuis plusieurs mois pour tenter de lui faire barrage. Au niveau départemental, les communistes ont aussi fait entendre leur voix contre la construction du complexe touristique, soutenu en revanche par le président PS du conseil général de l’Isère, Alain Cottalorda. Lequel estime que « le projet même du Center Parc est écologique ».

Olivier Véran, député PS de l’Isère, suggère et se félicite au passage que la seule éventuelle action que mènera le gouvernement sera en faveur du projet de Pierre et Vacances :

Le maire EELV de Grenoble (en Isère, donc), Eric Piolle, n’a pas tardé à donner lui aussi son avis :

A gauche, et au sein du parti socialiste, les voix sont discordantes. C’est finalement Jean-Jack Queyranne, président PS de Rhône-Alpes, qui a fini par ébranler les certitudes en parlant depuis la hauteur de son échelon régional, donnant ce mardi 2 décembre une position claire transmise en ces termes au préfet de région Jean-François Carenco :

 

Allô, Ségolène Royal ?

La donne a changé depuis la mort de Rémi Fraisse, opposant au projet de barrage de Sivens atteint par une grenade offensive lancée par les forces de l’ordre, lors d’une manifestation. La Frapna (fédération Rhône-Alpes de protection de la nature) craint des débordements.

Dans son communiqué, l’organisation demande elle aussi l’arrêt des travaux de défrichement et en appelle à Ségolène Royal pour :

  • La suspension immédiate de deux arrêtés préfectoraux litigieux, entraînant de facto l’arrêt des travaux,
  • La mise en œuvre d’une mission élargie d’inspection,
  • L’organisation d’une table ronde au Ministère avec les organisations représentatives à la suite du rapport d’inspection.

Pour l’heure, la ministre de l’Ecologie n’a pas donné suite ni montré un signe en faveur du dialogue. Elle a plutôt botté en touche ce mercredi en déclarant qu’elle ne se substituerait pas aux élus locaux.

Pourtant, il semble urgent de trouver des circuits de discussion. La tension grimpe chaque jour davantage. Les « pro » Center Parcs à Roybon ont prévu une manifestation ce dimanche 7 décembre et sans doute aussi celui qui suivra, pour faire valoir leurs propres arguments. Pas loin se trouveront évidemment les opposants, dans le petit chalet abandonné qu’ils ont investi.


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