Après quatre nuits passées, les parents d’élèves ont décidé de faire « un break » et de suspendre l’occupation. Cinq autres écoles de Lyon et de Vaulx-en-Velin sont toujours occupées alors qu’une rencontre avec la préfecture doit avoir lieu ce jeudi pour aborder la question des enfants scolarisés et SDF.
La vague s’est lancée le 20 novembre dernier. Au lieu de vaquer à ses occupations habituelles, Bénédicte et une poignée de parents d’élèves débarquent ce jour-là dans le bureau du directeur de cette grosse école de Lyon (plus de 300 élèves), située place Bahadourian, à la Guillotière. Avec cet objectif :
« Pour la journée où la France célèbre le 25ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, nous allons dormir dans l’école pour mettre à l’abri des enfants SDF ».
Le directeur répond qu’il aurait préféré être prévenu un peu avant. Mais ne fait pas obstacle.
Huit autres écoles de l’agglomération sont concernées, regroupées au sein d’un collectif « Jamais sans toit » qui rassemble les groupes de familles de chaque école.
Le soir même, après la sortie des écoliers, les parents d’élèves entrent dans l’école, installent des matelas dans le gymnase pour eux. Pour les trois familles SDF qui dorment avec leurs enfants scolarisés dans l’école, une salle « mieux chauffée » est choisie.
Les façades de l’école se parent de banderoles et de dessins d’enfants. Une soupe « solidaire » est distribuée pour récolter des fonds. Deux élus de l’arrondissement passent pour apporter leur soutien, « à titre personnel ».
Après quatre nuits, les parents d’élèves lèvent l’occupation. Ils ont suffisamment d’argent pour payer trois nuits d’hôtel à ces familles. Et puis ils comptent sur le rendez-vous avec la préfecture du Rhône ce jeudi. Au total, ce sont sept familles qui ont été repérées, sans logement et pour lesquelles les six membres actifs de ce collectif Painlevé se battent.
Un mot dans le carnet de liaison : « Aidez-nous, nous sommes à la rue »
Ces parents d’élèves s’étaient pourtant dit, au printemps dernier, que « jamais » ils n’occuperaient l’école. Bénédicte le jure. Ce n’est pas leur manière de faire. Une question culturelle presque.
« Quand on a créé ce collectif de parents pour aider les familles à la rue, on ne connaissait rien. On est allé rencontrer l’école Gilbert Dru (autre école du quartier, côté 7e arrondissement). Ils sont très militants. Ce sont des pros. Ils nous avaient parlé des méthodes pour tenter de faire bouger les choses. Mais l’occupation nous semblait loin de nous. Ça nous dérangeait de prendre en otage l’école ».
A entendre Bénédicte, ce sont les événements qui les y ont poussés. Presque malgré eux :
« Tout est bloqué. On appelle le 115, il n’y a jamais de place dans un foyer d’hébergement. Les élus nous disent que la mairie de Lyon ne peut rien faire. Et la Maison de la veille sociale nous explique que même pour une famille dont la mère doit avoir un hébergement pour se faire opérer, il n’y a pas de possibilité. Cette femme a quand même été opérée en urgence. Puis 24 heures après, elle se trouvait à la rue avec ses enfants. »
Tout s’est accéléré en septembre. De trois familles, que Bénédicte et les cinq autres parents aident, on est passé à sept.
« Un jour, une de ces familles a laissé un mot dans le carnet de liaison de son enfant. « Aidez-nous, nous sommes à la rue ». L’instit’ nous a transmis le mot ».
« On est simplement humain »
On se dit que pour occuper une école comme on occupe une usine, il faut une petite dose de savoir-faire militant. Bénédicte a très vite appris. A 37 ans, elle n’est ni syndiquée, ni adhérente à un parti ni même à la FCPE (première fédération de parents d’élèves).
Le 15 novembre, de nombreuses écoles ont participé à la manifestation régionale sur le droit au logement, banderoles du Réseau Education Sans Frontières (RESF) en tête.
C’était la première manif de Bénédicte, « à part les manifs au collège pour faire sécher les cours ».
Pour l’occasion, les parents de Painlevé avaient même fabriqué des pancartes en forme de maison. Bénédicte ne défend pas une cause. La régularisation de toutes les familles sans-papiers ? Elle élude :
« C’est un sujet compliqué », finit-elle par lâcher.
Ce qui importe, c’est :
« Comment on fait tout de suite, maintenant, avec des familles à la rue ? »
« On est simplement humain », glisse-t-elle pour tenter de justifier son militantisme. Un gros mot qu’elle n’emploiera d’ailleurs jamais.
« Je suis au chaud, chez moi, sur mon canapé »
Et pourtant. Avec les cinq autres membres de son collectif, elle accompagne les familles chez leur avocat, met en relation les familles avec le centre social pour des cours de langue, fait tous les mois un goûter solidaire pour récolter des fonds et payer des nuits d’hôtel.
Ce lundi matin, Bénédicte et quelques autres mamans sont allées dans la cuisine que leur prête une association du quartier, l’Arche de Noé, pour préparer des gâteaux. Et lundi soir, devant l’école, la tente est dressée avec, dessous, les gâteaux et la boîte pour la collecte.
« Cette semaine, il faut aussi que je récupère toutes les informations dans la perspective du rendez-vous à la préfecture. »
En mars dernier, j’ai perdu mon emploi d’assistante de direction. C’est pour ça que j’ai pu m’investir et créer avec d’autres ce collectif ».
Depuis, elle a retrouvé un emploi mais elle continue. Alors, une simple question de temps disponible ?
Il y a deux ans, sa fille alors en grande section de maternelle avait dans sa classe un petit garçon qui vivaient dans la rue, « à Perrache, sous un pont ». Elle découvre la situation :
« Ça m’a affectée. Mais je vivais une vie trépidante entre la famille et le travail. Je n’ai rien fait. »
En avril dernier, alors au chômage, elle répond à un mail envoyé par un parent d’élève pour alerter sur la situation de quelques familles de l’école. Ces parents d’élèves se voient une première fois. Ceux qui ont des infos exposent les difficultés de ces familles SDF. « J’ai réalisé la dureté de leur vie ». Ils décident de créer ce collectif.
Elle se sentirait presque coupable :
« Au printemps, il y avait une famille qui était logée dans un hôtel pourri du quartier avec les puces et des mecs qui rôdent. Les parents devaient rester avec leurs enfants dans le square car ils ne pouvaient pas rentrer tôt. Et, moi, sur mon canapé, je pensais à toutes ces choses. J’ai les boules de savoir des enfants à la rue alors que je suis au chaud chez moi ».
Elle n’a pas un appartement suffisamment grand pour les accueillir chez elle, précise-t-elle. Alors elle se démène.
« OFPRA », « OQTF », « DALO » dans un cahier
Bénédicte doit tout apprendre. Dans un cahier, elle note les principales abréviations : OFPRA, CNDA, OQTF, DALO. Pour comprendre les démarches administratives dans lesquelles « les familles passent leur vie ».
« Aucune des sept familles est sous le coup d’une mesure d’expulsion (une OQTF). Pour la plupart, on leur a refusé l’asile. Mais on ne leur dit pas de partir. Elles sont dans le néant. Elles s’accrochent ».
Un conseiller du 3e arrondissement, Roland Jacquet (ex-PCF), lui apporte conseil :
« Il faut appeler tous les jours le 115 pour faire remonter le nom de la famille sur les listings ».
A force de courir les avocats et les assistantes sociales avec les familles, elle s’est liée d’amitié avec une des mères, Mirela, une Albanaise.
« Son mari et elle sont hyper volontaires. Avec d’autres adultes, ils vont au centre social Bonnefoi pour apprendre le Français. Ils veulent vraiment s’intégrer ».
Déboutée de sa demande d’asile, la famille de Mirela n’a pas épuisé toutes les possibilités pour rester en France. Mirela fait confiance aux parents du collectif et raconte son parcours.
« Dans la situation qui est la sienne, elle fait preuve de beaucoup de courage et même d’humour. Elle nous raconte avec beaucoup de détachement qu’elle a passé la nuit sur un carton devant la préfecture pour être sûre de pouvoir retirer son récépissé à temps. »
Quand Bénédicte écoute Mirela, elle est atterrée :
« Comment, en France, peut-on tolérer ça ? Avec ce récépissé, l’Etat lui dit qu’elle peut rester jusqu’en février sur notre territoire. Mais elle n’a ni droit au droit au travail, ni d’hébergement. Quand je vois ce que ces familles vivent ici, je me dis que retourner chez eux doit être encore pire ».
Ne dites pas à Bénédicte qu’elle fait de la politique. Elle ne veut surtout pas se classer à gauche ou à droite, même si elle précise qu’elle n’est « pas dans les extrêmes ».
Elle vous dira qu’elle ne s’intéresse qu’au sort de ces familles de l’école Painlevé. Elle en remet une couche :
« On leur dit qu’il faut inscrire leurs enfants à l’école. On leur demande. Les familles le font. Les enfants ont le droit d’être scolarisés mais pas de droit au logement. On les autorise à aller à l’école mais ça ne dérange personne qu’ils soient à la rue ».
Bénédicte ne comprend toujours pas le paradoxe.
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