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Lilian Bauchet, vigneron : « le vin naturel, c’est l’anti-produit de grande distribution »

Lilian Bauchet fait du Fleurie dans le Beaujolais. Ce néo-vigneron, comme il aime à se présenter, venu sur le tard dans les vignes après une carrière dans l’informatique, n’en est pas moins une encyclopédie en matière de vin. Naturel, plus précisément. C’est une façon de travailler qu’il défend, en opposition à un circuit de production et de distribution aliénant.

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Lilian Bauchet, vigneron dans le Beaujolais. Photo DR.

Lilian Bauchet, vigneron dans le Beaujolais. Photo DR.
Lilian Bauchet, vigneron dans le Beaujolais. Photo DR.

« Il existe tout un arsenal œnologique aujourd’hui qui permet de faire d’un vin médiocre un vin de qualité moyenne »

Rue89Lyon : Quelles sont vos relations avec les vignerons qui produisent du vin conventionnel dans le Beaujolais ?

Lilian Bauchet : Nous avons les mêmes relations que dans l’agriculture en général. Pas toujours faciles. On peut dire que de plus en plus de « conventionnels » s’intéressent au bio et au nature. Des jeunes aussi, les conversions se font lentement mais sûrement.

 

Mais le Beaujolais est compliqué  dans sa configuration et sa topographie, qui présente beaucoup de pentes difficiles à labourer.

 

Et la climatologie n’y est pas habituelle : on peut dire que les pesticides sont souvent plus efficaces que les produits que l’on utilise en viticulture bio, soit que des produits de contact qui sont lessivés par les pluies et ne sont alors plus actifs. Les systémiques, eux, entrent à dans la plante et combattent les pathogènes depuis l’intérieur. C’est une protection meilleure quand le climat est défavorable comme cela a été le cas en 2012 et en 2013.

 

Malgré la topographie et les conditions climatiques, le bio et le naturel dans le Beaujolais, c’est possible ; vous le démontrez.

Ces difficultés sont un facteur de réticence de la part des conventionnels, qui ont peur de perdre ou de minimiser leur récolte… Ce qui est regardé en priorité, c’est avant tout c’est le rendement, car la majorité des vignerons travaillent avec des négociants qui se préoccupent peu de la qualité. Il existe tout un arsenal œnologique aujourd’hui qui permet de faire d’un vin médiocre un vin de qualité moyenne pour alimenter toute la grande distribution et toutes les chaînes de cavistes.

Le négoce ne pousse pas les viticulteurs à aller vers le bio, car cela risquerait de déstabiliser les marchés sur lesquels ils travaillent depuis longtemps et ils auraient à acheter le vin plus cher. On est sur région où le négoce est très fort et pas spécialement avant-gardiste. Il y a une relative inertie. Tout cela fait que, aujourd’hui, il n’y a pas une grosse partie des viticulteurs qui sont en bio. Peut-être 3% ou 4% dans le Beaujolais.

« En réalité, on a fait des vins natures pendant 1000 ans et, depuis 150 ans, on a arrêté »

 

Dans les vignes du Beaujolais (Côtes de la Molière). Crédit : DD/Rue89Lyon.
Dans les vignes du Beaujolais . Crédit : DD/Rue89Lyon.

 

Il y a beaucoup de réticence devant le vin naturel, notamment parce qu’il ne recouvre pas une réalité précise.

Des gens qui sont certifiés bio et qui font du vin nature derrière, il y en a dans le Beaujolais. Des gens qui font du bio sans faire du vin nature, il y en a aussi, tout comme des gens qui veulent faire du vin nature et qui ne demandent pas la certification bio. Avec tout ce petit monde on arrive à au moins une centaine de viticulteurs qui travaillent peu ou prou dans ce style d’approche.

 

La viticulture nature c’est un peu l’auberge espagnole et ça le sera tant qu’il n’y aura pas de cahier des charges précis, c’est à dire utilisation de raisin bio et pas de sulfite jusqu’à la mise en bouteille. L’association des vins naturels (AVN) travaille à la reconnaissance de l’appellation vinification naturelle.

Pour plus de clarté vis à vis du consommateur, pour que les termes « vinification naturelle » puissent être précisés sur les bouteilles.

 

« Le Beaujolais Nouveau a été victime de son succès »

 

Des bouteilles au Vercoquin, cave à vins... naturels, dans le 7e à Lyon.
Des bouteilles au Vercoquin, cave à vins… naturels, dans le 7e à Lyon.

Le Beaujolais a encore parfois une mauvaise image surtout à Lyon, qui en est la voisine : c’est à cause du beaujolais nouveau ?

Oui, en partie par le Beaujolais Nouveau, un vignoble victime de son succès. Il y a eu une grosse demande en vin du Beaujolais en primeur, car il se goûte particulièrement bien. Fort de ce succès commercial, on a tout fait pour grossir le marché et l’alimenter, on a augmenté les rendements. On a arraché de vieilles vignes pour en planter des jeunes. On a utilisé les artifices oenologiques pour produire un vin qui soit buvable.

 

Et puis au final on a dénaturé l’esprit du Beaujolais Nouveau. Quand vous êtes engagés sur des marchés négociés au mois de juillet, avec l’obligation de fournir des vins le troisième jeudi de novembre, c’est difficile de ne pas honorer. Si on laisse faire la nature pour ces millésimes, on a une chance sur 100 seulement que les fermentations se déroulent en un espace aussi court, et donc on utilise tout un arsenal, on ajoute des bactéries lactiques, on fait des trucs de dingue, on filtre à mort, on stabilise pour éviter que le vin se remette à travailler en bouteille : beaucoup font tout en un temps record.

 

Mais il ne faut pas dire que ce n’est pas bon, moi j’en bois tous les ans d’excellents, certains sont vraiment magnifiques. Encore faut-il qu’on respecte son raisin et son terroir et qu’on ne fasse pas n’importe quoi en vinification.

 

« C’est facile de jeter la pierre aux agriculteurs et de pousser son caddie dans la grande distribution »

 

Est-ce que le vin naturel peut « sauver » le Beaujolais et son image ?

Le Beaujolais, comme la Loire, est un berceau historique des vins naturels. Jules Chauvet est un négociant, décédé il y a quelques années qui, lorsqu’il a vu arriver la chimie, dans les vignes et à la cave, l’a refusé : il s’est battu pour la subsistance des vins traditionnels, sans chimie. Ce qu’on appelle aujourd’hui vins natures, finalement.

 

Il a eu comme stagiaire un certain Jacques Néauport, qui a des qualités de dégustateur indéniable. Chauvet en a fait son disciple, il l’a mis en contact avec Marcel Lapierre. Leur collaboration a duré dix ans. Néauport était chef de cave chez Lapierre et a vinifié ses premiers millésimes en nature.

 

En réalité, on a fait des vins natures pendant 1000 ans et, depuis 150 ans, on a arrêté, et ça s’est amplifié après guerre. Jules Chauvet a été l’un des premiers à refuser ça. Marcel Lapierre, ensuite, a été l’un des plus charismatiques parmi quelques vignerons de Villié-Morgon ou de Fleurie, qui ont suivi. Aujourd’hui, si le Beaujolais peut garder bonne presse, c’est grâce à eux. On peut les en remercier.

 

« Le truc intéressant c’est la buvabilité des vins natures »

 

Un verre de vin naturel, chez Mathieu Perrin, au Vin des vivants (Lyon 1er). Crédit : DD/Rue89Lyon.
Un verre de vin naturel, chez Mathieu Perrin, au Vin des vivants (Lyon 1er). Crédit : DD/Rue89Lyon.

Le vin naturel coule à flot à Paris, mais pas encore tout à fait à Lyon

Paris c’est un peu comme dans beaucoup de domaines, c’est un lieu où il faut être. Moi, par exemple, j’ai une petite production et j’ai un agent à Paris qui travaille très bien : ça m’a ouvert des portes vers la Belgique, vers la Hollande…

Et c’est un peu un paradoxe car je devrais être sur Lyon, mais comme je suis très bien représenté à Paris, je n’y suis pas.

 

Les vins naturels sont beaucoup plus sensibles à l’oxygénation que ne le sont les vins sulfités, certains peuvent devenir impropres à la consommation au-delà de 24 heures, 48 heures. Mais ce sont des vins qui ne goûtent jamais pareil, qui peuvent avoir des parfums exceptionnels, qui peuvent être mal lunés, c’est vrai, mais ils nécessitent un accompagnement de la part de celui qui les vend…

 

Tous les cas de figure sont possibles, c’est l’anti-produit de grande distribution.

Et quand ils sont très séduisants, ils le sont bien au-delà de ce que peuvent l’être ceux qui ont été faits en conventionnel, on a une énorme diversité, on a une évolution en bouteille marquée. Le truc intéressant c’est la buvabilité des vins natures, c’est un terme un peu à la mode mais c’est le cas, ils sont très digestes. Ce sont des vins pour les gens qui ont envie d’être étonnés, qui sont ouverts à la diversité et prêts pour cela à tomber sur une bouteille qui ne soit pas forcément au top, voilà.

 

Avez-vous le sentiment que les vignerons conventionnels sont moins fermés à vos méthodes de travail ? On a l’exemple de Terravitis, dans le Beaujolais et ailleurs, une sorte de cahier des charges qui imposerait « une viticulture respectueuse de l’environnement ».

On est au milieu du guet avec ce type de démarche. C’est devenu un cheval de bataille car tout le monde sait que la viticulture conventionnelle n’a plus d’avenir, on cherche un intermédiaire… Mais ces choses n’interdisent pas l’utilisation de pesticides, d’herbicides… Dans le beaujolais on a des sols filtrants, ça va tout droit ds les nappes ! 92 % des nappes sont polluées, il y a un vrai problème.

 

Mais moi je ne veux jeter la pierre à personne, surtout pas à quelqu’un qui s’est endetté au Crédit Agricole, qui a 12 hectares tout seul parce que les pesticides et les machines le lui ont permis, qui est dans la merde…

 

Beaucoup sont dans un business modèle duquel ils ne peuvent pas sortir. Ils sont prisonniers d’un modèle économique, qui passe par le négoce, par le vrac, ils sont obligés de produire. J’ai un sentiment un peu confus par rapport à cette situation, cat tout le monde est responsable, du producteur au consommateur. C’est facile de jeter la pierre aux agriculteurs et de pousser son caddie dans la grande distribution, nous sommes responsables de la situation dans laquelle on se trouve.

 

C’est plus facile pour moi qui venais de l’extérieur d’arriver au bio, je ne connaissais rien et je n’avais pas d’antécédent en vin, j’avais tout à créer. Chaque cas est particulier, chacun fait aussi comme il peut.

Lilian Bauchet sera présent à la première édition du salon des vins naturels Rue89 Lyon, dimanche 2 et lundi 3 novembre.
Lilian Bauchet sera présent à la première édition du salon des vins naturels Rue89 Lyon, dimanche 2 et lundi 3 novembre. Sous la verrière des Subsistances.

#Agriculture

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