1. L’histoire
Le 4 avril 2006 le militant historique de Sinn Féin (IRA Armée Républicaine Irlandaise) est abattu de plusieurs balles d’un fusil à pompe. Il a aussi été torturé, une main presque coupée à hauteur du poignet.
L’homme était une taupe des services secrets britanniques ; un infiltré pendant 25 ans pour observer les mouvements de ses frères d’armes. Sorj Chalandon, grand reporter à Libération (quotidien français en voie de dépècement actif) rencontre le militant et leader de l’IRA. Une amitié profonde s’engage entre les deux hommes avant l’aveu terrible : Denis Donaldson a trahi les siens et donc le reporter.
Sorj Chalendon en a tiré 2 romans : Mon traître et Retour à Killybegs. Emmanuel Meirieu, Lyonnais d’origine, comme l’écrivain, décide d’adapter le texte et le met en scène.
2. La mise en scène
Une pluie glaciale avec croassements caverneux de corbeaux nous saisit. Une voix d’enfant annonce l’innocence et la vie. La mort et la trahison s’annoncent, l’éblouissant texte de Sorj Chanlandon aussi.
Le talent d’Emmanuel Meirieu est d’avoir osé adapter ces 2 livres. Sa prise de risque est abyssale : faire vivre 2 romans avec 3 acteurs figés sur scène, coincés derrière un micro sur pied empêchant tout déploiement corporel.
Le premier, Laurent Caron posture courbée, les mains triturant maladivement une casquette : il est le trahi, son jeu nous aspire petit à petit dans l’histoire du reporter. Manquent un poil de prise de risque et de ruptures, de silences.
L’autre, Jean-Marc Avocat, s’avance dans l’ombre, torse poilu et nu avec une couverture sur les épaules. Voix rauque et expérience de la nuance, il incarne avec intériorité le traître, la posture de remords et la satisfaction minable de sa trahison. La mise en scène n’assume pas le dépouillement des 2 lectures face au public.
Emmanuel Meirieu appelle au secours une bande son un peu enivrante sur la quasi totalité du texte ce qui en soustrait l’intensité et l’émotion. Il y ajoute un effet de pluie jusqu’à l’usure, des « rrok-rrok » de grands passereaux affamés et poisseux et autres coups de feu sourds un peu appuyés. Trop collé à l’auteur, pas assez de distance avec le texte, pas assez de folie ?
3. Une paire d’acteurs et une histoire de pères ?
Ce chef de l’IRA ressemble t-il à une autorité confisquée, à une trajectoire écrite sans la présence d’un référent exemplaire ? Quand vient le désabusement de la trahison reste ce qui a été vécu.
Une filiation de facto entre un « héros » légendaire et son fils spirituel. Ce dernier ira jusqu’à se faire offrir une casquette de l’icône qui officialisera la transmission filiale. Dans la vie on rejoue toujours le même match.
4. Ce qu’il en reste
On sort du théâtre de la Croix-Rousse un peu flagada. Quelques minutes avant, les spectateurs sont restés de longues secondes avant de lâcher leurs clap-clap sincères. Cette pièce s’invite de force dans nos entrailles puisque les deux compères Lyonnais nous ont collé une droite implacable dans la tronche.
Le récit cogne si fort qu’on emporte dans notre soirée la trace quasi indélébile de cette amitié puissante, soudainement retournée, brutalement démolie. Un vécu indissoluble nous a attrapé à la gorge. Chalandon le raconte avec un esprit de tolérance et de mesure : c’était son ami militant, traître, mort mais qui ne s’efface jamais.
Mon Traître de Sorj Chalandon, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Meirieu. Au théâtre de la Croix-Rousse.
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