«Dans trente ou quarante ans, les sociologues, s’ils existent encore, se pencheront sur La Vie secrète des jeunes». La compliment a beau être de Philippe Druillet, le démiurge graphique qui fit passer la bande dessinée à l’âge adulte (cf. notre n°751), il est réducteur.
Avec ce recueil de scènes d’idioties urbaines comme avec Les Pauvres Aventures de Jérémie, portrait mordant d’un développeur de jeu vidéo auquel la déveine colle à la peau, Riad Sattouf s’est certes imposé, au début des années 2000, comme un dessinateur d’observation de premier plan, saisissant mieux que quiconque les fulgurances bébêtes et les aspirations confuses des adolescents et jeunes actifs du XXIe siècle.
Mais cet art de la vignette moqueuse (et néanmoins amicale), par ailleurs transposé avec succès au cinéma avec Les Beaux Gosses, est le plus souvent l’expression d’une forte conscience politique et sociale.
Son père, ce zéro
C’est le cas dans Pascal Brutal, série d’anticipation d’une irrésistible loufoquerie qui conte les mésaventures d’un parangon de virilité dans une France défigurée par l’ultra-libéralisme, ou dans son deuxième film, Jacky au Royaume des filles, où il imaginait une gynocratie arabe plus vraie que nature.
Ça l’est surtout dans L’Arabe du futur, récit prévu en trois tomes qui constitue à ce jour son travail le plus touchant, à mi-chemin du Persepolisde Marjane Satrapi et des « Guides du dérouté » de Guy Delisle.
Sattouf y raconte son enfance de blondinet plus malin que la moyenne en Libye et en Syrie, sur les traces d’un père instituteur aux contradictions intenables – il applaudit l’anti-occidentalisme forcené de Kadhafi mais rêve de flamber en Mercedes – avec un luxe de détails visuels et sonores qui confine au stand–up littéraire.
Au-delà des anecdotes croustillantes, de sa sensibilité à la sueur féminine à la façon dont son paternel se gratte le nez quand il est humilié, c’est la façon dont Sattouf y débusque le Diablequi rend l’exercice éloquent, soulignant avec l’économie d’un cartoonist et à hauteur du gamin perplexe et fasciné qu’il fut telle absurdité despotique (comme cette loi qui oblige les citoyens libyens à échanger leurs emplois) ou telle cruauté culturelle (ses camarades n’ont de cesse de le traiter de juif).
Et nous vaut ce correctif : dans trente ou quarante ans, ce sont les historiens qui se pencheront sur l’œuvre de Riad Sattouf.
A lire sur petit-bulletin.fr.
L’Arabe du futur – Tome 1 (Allary Editions)
Riad Sattouf en dédicace :
A la Librairie du Tramway (Lyon 3e), mercredi 24 septembre
A la librairie La BD (Lyon 4e) et à la librairie Vivement Dimanche (Lyon 4e), jeudi 25 septembre
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