« Déjà, le revêtement est très bon, car lisse et assez dur, ce qui permet de bien faire claquer la planche dessus. Après il y a des bancs où l’on peut glisser, il y a la statue de la pyramide qui offre encore plus de possibilités. Les bancs glissent très bien pour peut qu’on y mette de la cire, on peut en skater l’assise et le dossier. Le tout associé à un large espace fait de cette place un spot reconnu. Par ailleurs on est en plein centre ville… »
Il y a 10 ans, Steeve Ramy se met au skateboard. Il trouvait ça « cool et classe ». Aujourd’hui, il est l’un des skateurs les plus en vue en France. Les sponsors ne s’y sont pas trompés. Converse le chausse ; Nokia lui a offert un smartphone dernier cri…
Quand il n’assiste pas les personnes à mobilité réduite à la gare de la Part-Dieu, son boulot, il fait « claquer » sa planche dans les rues de Lyon. Notamment sur le « spot » dit de Hôtel de Ville, dans le 1er arrondissement de Lyon. Il s’agit en fait de la place Louis Pradel, à deux pas des bâtiments cossus de la mairie et de la station de métro du même nom (Hôtel de Ville).
Hôtel de Ville : « un passage incontournable » mais en piteux état
Beaucoup de passage, un mobilier dégradé… À première vue, pour le non skateur, le spot de Hôtel de Ville n’a rien du parfait terrain de jeu. Pourtant, la place est très célèbre chez les passionnés de skateboard. En France, mais aussi dans le monde, comme le précise Steeve Ramy :
« Le gamin qui vient de se mettre au skate ne va peut-être pas capter l’importance du lieu tout du suite. Ceux de 25-30 ans, c’est sûr qu’ils connaissent parce qu’ils pensent directement à JB Gillet. Par exemple, quand j’ai habité chez ma sœur au Canada pendant un an, les skateurs de mon âge connaissaient tous JB Gillet et Hôtel de Ville.
J’ai rencontré des gens du monde entier à Hôtel de Ville. Des Américains, des Japonais, des Australiens. Ils viennent une après-midi et s’en vont. HDV est une petite étape. Ils ne le font pas tous bien sûr, mais beaucoup. C’est aussi la curiosité qui les pousse. Moi, par exemple, si je suis dans une ville où il y a un spot mythique, je vais nécessairement aller voir ce qu’il donne. Je vais l’aimer ou non, mais au moins je l’aurais skaté. »
Fred Mortagne est photographe et vidéaste spécialisé dans le skate, l’un des premiers à s’être intéressé de si près à cette pratique. Il confirme l’analyse de Steeve Ramy :
« Pas mal de gens sont venus à Lyon pour skater ce spot. Même s’ils skatent d’autres endroits, Hôtel de Ville reste une sorte de passage incontournable. Même s’il est en piteux état depuis quelques années. C’est même de pire en pire ! »
L’histoire de Fred Mortagne, indissociable de celle de Hôtel de Ville
Dans le monde du skateboard, le nom de Fred Mortagne fait office de légende. Lui, il skate depuis 30 ans. Son autre spécialité dans cet univers-là, c’est donc la photo et la vidéo. Il a même donné son nom à un mouvement de caméra particulier, le « Fred Angle », « Frangle » par contraction.
À l’époque, Fred est en contact avec la marque française Ethnies, basée en Californie :
« Ils voulaient faire une vidéo d’une de leurs marques (És) avec leur team. À l’époque, ils n’avaient personne pour le faire donc je me suis imposé en proposant mes services. Il y avait les meilleurs skateurs du monde. Je voulais trouver des angles originaux pour filmer. J’ai essayé de faire un zoom, mais en mouvement.
Avant, soit on zoomait en restant statique, soit on filmait au fisheye, souvent en suivant le skate. Mon but a été de coupler les deux : suivre le skate tout en zoomant. C’est une sorte de travelling en mouvement zoomé. Apparemment, les gens ont plutôt apprécié. Cette vidéo a lancé ma carrière. »
Dans la bouche de nombreux skateurs, Fred Mortagne a grandement contribué à la popularisation du spot Hôtel de Ville et, par extension, à placer Lyon sur la carte de France en termes de skateboard :
« C’est vrai que j’ai été le premier à faire des vidéos de skate sur Lyon et notamment à Hôtel de Ville. J’ai grandi au rythme des vidéos de skate américaines. Je me suis donc dit un jour « pourquoi ne pas faire nos propres vidéos ? », d’autant que le niveau était déjà élevé à Lyon. Les skateurs se sont approprié l’endroit car il correspondait pile à l’évolution de l’époque : le skateboard commençait à sortir des skateparks pour s’orienter vers le street. Je me suis dit que ça serait ma contribution pour les faire connaître et les aider à trouver des sponsors, par exemple. »
Fred Mortagne enregistre quelques VHS et les diffuse, le succès ne se fait pas attendre :
« On a envoyé des copies de notre toute première vidéo aux parisiens. Ils étaient super enthousiastes donc c’était un bon signe de voir qu’il y avait de l’intérêt. On en a aussi envoyé aux USA et ils ont aussi été super réactifs, ils nous ont proposer de filmer des trucs spécialement pour eux donc il y a eu un intérêt tout de suite grâce à la combinaison bon spot, bons skateurs. »
Aujourd’hui, le travail de Fred Mortagne est reconnu mondialement. Voici par exemple la vidéo qu’il a réalisé pour la France, à l’occasion d’un hommage rendu par l’Office National du Film du Canada (ONF) à un film documentaire : The Devil’s Toy, réalisé par Claude Jutra en 1966. Dans la vidéo, on reconnaît bien certains coins de Lyon, dont le spot d’Hôtel de Ville :
« A Lyon, il n’y a pas de skatepark crédible »
Jérémie Daclin est le fondateur de la marque de skateboard Cliché. Lui aussi est une sommité dans le monde de la planche. Sa marque a aussi contribué à positionner Lyon en bonne place dans le monde du skate. Il fut l’un des premiers à skater à Hôtel de Ville. C’était à la fin des années 80. :
« Les meilleurs pros du monde sont venus sur cette place. Les acteurs du skate local ont aussi contribué à en faire une place forte. Grâce à ça, Lyon s’est faite une place dans le monde du skate sans aucune aide de la ville. À Lyon, il n’y a pas de skatepark crédible. Et pourtant, aujourd’hui, Lyon est une capitale mondiale du skateboard. Vous prenez un skateur lambda des USA, il connaîtra Lyon. »
Ils sont donc nombreux à essayer cet espace. Sur place, pourtant, il arrive que la déception remplace l’excitation. Une déception en partie due à l’état de la place Louis Pradel, comme l’explique Steeve Ramy :
« Il y a 15-20 ans c’était parfait pour skater mais, avec le temps, la place s’est trop dégradée, en partie à cause de nous il faut le reconnaître. Aujourd’hui, c’est même très compliqué, elle est vraiment éclatée ! Il y a des trous au milieu, les dalles s’enlèvent… Les gens sont donc parfois déçus lorsqu’ils arrivent pour la première fois et qu’ils ne connaissent pas.
Mine de rien, il faut un niveau assez bon pour pouvoir bien skater et profiter de l’espace. Quand les gens nous voient skater en vidéo, on est à l’aise et ils se disent que ça va le faire. Quand ils arrivent sur place, ils se rendent compte que ce n’est pas si évident. »
Fred Mortagne confirme :
« Ceux qui voient le spot dans les vidéos sont toujours surpris de voir à quel point il est abîmé dans la réalité et sont parfois surpris, voir déçus car il nécessite un niveau élevé pour être skaté. »
« Un saut de javel si on skate sur un trottoir en centre-ville »
Des dégradations qui contribuent encore à une image quelque peu sulfureuse du monde du skateboard. En effet, lorsque la discipline émerge dans les années 70, ses pratiquants, anciens surfeurs pour la plupart ont gardé certains réflexes propres au surf, notamment la notion de territoire. Les rapports avec les piétons sont parfois difficiles. Il arrive encore à Steeve Ramy de se prendre le bec avec des riverains ou des promeneurs mécontents :
« À Lyon, ça va, même s’il y a toujours deux-trois casses-couilles qui veulent te virer pour un oui ou pour un non. Le mot qui ressort tout le temps c’est « impôts », « c’est pas toi qui paye nos impôts ». On risque de se prendre des sauts de javel ou d’eau sur la tête si on skate un trottoir en centre-ville pour une raison ou pour une autre. Beaucoup de gens ne voient en nous que des gamins qui dégradent le mobilier urbain… »
Actuellement, la crainte des amateurs de la discipline tolérés par les pouvoirs publics, c’est que la place Louis Pradel ne soit détruite, pour être réhabilitée et qu’elle ne soit plus praticable en skate. Si cela devait arriver, Jérémie Daclin garde espoir :
« Régulièrement, il y a eu des rumeurs qui disaient que le spot allait être détruit, notamment lors de la construction d’un parking. Il y a eu la même chose à Londres, sur un spot qui s’appelle South Banks, le long de la Tamise. Starbucks avait racheté l’emplacement et il y a eu une mobilisation des skateurs et un grand soutien populaire pour que l’endroit reste tel qu’il est. »
Sinon, ils iront tout simplement ailleurs. Comme Steeve l’indique :
« Le coin pas mal, c’est la Sucrière (à Confluence, dans le 2è arrondissement de Lyon, ndlr). Du coup on se dit que si la place de l’Hôtel de Ville se fait démolir, on ira sûrement là-bas. C’est un spot assez proche de celui de HDV, même si il n’est pas au centre de la ville. »
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