En bleu, les établissements proposant seulement des cafés suspendus, en rouge, ceux offrant également de la nourriture.
C’est un phénomène assez peu connu du grand public. Aussi appelé « café en attente », le café suspendu est parti d’une idée toute simple : vous payez un café sans le consommer, et il sera offert à quelqu’un dans le besoin. Venu d’Italie, le caffé sospeso est une tradition de solidarité envers les plus pauvres née à Naples durant l’entre-deux-guerres.
Depuis, il s’est développé dans de nombreux pays avant d’arriver en France. Et à Lyon, pas moins d’une vingtaine d’établissements participent aux mouvement des suspendus. Parmi eux, on retrouve majoritairement des commerces déjà considérés comme engagés, tels le Court-Circuit, l’Epicerie Equitable ou encore Le Laboratoire. Un collectif s’est développé autour d’une page et d’un groupe facebook. Lancé en mai dernier, le mouvement souhaite accompagner les commerçants dans leur démarche. Mais pas que, comme l’explique Wilfried Lacour, qui anime le projet :
« Notre but était avant tout de travailler sur le concept. Il n’était pas très développé en France, et en Italie il existait surtout dans des petits villages où les gens se connaissent entre eux. Il a donc fallu l’adapter à une grande ville. »
Du café au falafel suspendu
Avec une dizaine de bénévoles réguliers, le collectif Café suspendu Lyon tente de faire connaître le phénomène et procède notamment à des opérations de prospections auprès des commerçants :
« La démarche la plus simple est d’entrer dans un établissement et de demander à mettre un café en attente. Là, le commerçant va demander ce que c’est. On lui explique que ça permet à des gens qui n’ont pas les moyens de se payer un café d’en avoir un à disposition. Les retours sont assez mitigés, certains gérants sont directement emballés, d’autres pas du tout. », explique Wilfried Lacour.
Et le mouvement ne s’est pas arrêté là. À Lyon, on trouve des cafés suspendus, mais aussi des bagels, des crêpes, des pizzas, des baguettes… Ou encore le foodtruck libanais Aklé qui propose ses falafels suspendus. Une avancée essentielle pour Philippe Liberge, le patron de Praline et Fleur de sel, qui propose des galettes et des crêpes suspendues :
« Les gens ont peut-être besoin d’un café, mais ils ont surtout besoin de manger. On le voit bien avec le succès des Restos du cœur. »
« On a élargi le concept car un café ne peut pas se suffire à lui même. Sans l’extension à d’autres produits, on légitimait en quelque sorte de s’arrêter à ce geste. » renchérit Wilfried Lacour.
Plus qu’un café, un « moment de convivialité »
Lorsqu’on déjeune à Praline et Fleur de Sel, il est difficile d’ignorer que le restaurant offre des cafés suspendus. Des affiches se trouvent sur la vitrine du restaurant et au comptoir, expliquant le concept. Didier, un habitué de la crêperie, a offert un café une fois. Mais il reconnaît ne pas y penser systématiquement. Un de ses collègues, lui, trouve l’idée intéressante mais n’a pas franchi le pas pour autant.
« L’éternelle question, c’est : « Qu’est-ce qui prouve que vous allez faire bénéficier des personnes dans la nécessité ? » Les gens sont un peu réticents. », raconte le gérant de l’établissement.
Du coup, il a choisi de faire un partenariat avec le Foyer Notre-Dame des Sans-Abri, dans le 7e arrondissement. Toutes les cinq semaines, l’argent récolté permettra d’organiser un goûter dans une salle mise à la disposition des personnes dans le besoin. Mais le concept du café solidaire semble un peu loin. Car plus qu’un simple café, c’est avant tout un moment de convivialité qui est offert aux personnes précaires :
« Le café est avant tout symbolique. Le principe, c’est surtout de sortir ces personnes du milieu où elles sont enfermées. Ils sont souvent dans une situation d’isolement. On cherche à les pousser à ouvrir une porte, à revenir dans la société. », rappelle l’organisateur des cafés suspendus à Lyon.
Faire cohabiter deux mondes
Au Dream’s café, le gérant de ce petit café de quartier a opté pour une autre solution. Claude Fourtier propose directement les cafés à ses clients qu’il juge être dans le besoin. Et ça fonctionne relativement bien, avec une vingtaine de cafés offerts depuis novembre 2013 :
« Parmi mes clients, 95% sont des habitués. Du coup, je les connais, je sais lesquels sont dans le besoin et ont des difficultés. Ils n’abusent pas du système et tout le monde joue le jeu. Mais je suis le garde-fou, c’est une garantie. Si quelqu’un que je ne connais pas me le demande, je serais un peu réticent à lui donner. »
Barrière principale : les réactions de la clientèle. Certains pourraient ne pas apprécier la présence de personnes précaires, et notamment de sans-abris. Une situation complexe pour les restaurateurs qui doivent faire tourner leur commerce :
« C’est clair que ça fait fuir les autres clients. La cohabitation entre ces deux monde est compliquée, ça peut vite devenir ingérable. », regrette Cyril Langue, qui tient Chères Cousines.
Dans cet établissement, on pratique le café en attente depuis novembre 2013. Et le principe du bagel suspendu est en route. Mais la mise en place a été fastidieuse :
« C’est un super système, mais en mettant ce projet en route je me suis rendu compte que sur le terrain ce n’est pas aussi facile que je le pensais. Ça engendre beaucoup de problèmes. Les gens ont l’impression de faire l’aumône. »
Beaucoup de donateurs, (presque) aucun bénéficiaire
Si le succès est au rendez-vous du côté des donateurs avec plusieurs cafés suspendus chaque semaine, trouver des bénéficiaires est beaucoup plus compliqué. À la crêperie Praline et Fleur de Sel, personne n’a jamais demandé à bénéficier du système. Il en va de même chez Chères Cousines. Et proposer les produits en attente directement aux clients n’est pas toujours évident, comme l’explique Cyril Langue :
« J’ai servi directement des cafés à cinq personnes. Les quatre premières fois, les réactions ont été positives. Mais la dernière, la dame concernée l’a pris pour elle. Elle s’est sentie dénigrée. C’est très délicat de juger si les gens sont dans le besoin, ça peut être pris pour une offense. Du coup, je réfléchis à faire, moi aussi, un partenariat avec le Foyer Notre-Dame des Sans-Abri et à reverser les dons directement. »
Le concept est donc souvent détourné, et semble avoir du mal à fonctionner tel quel. À tel point que Wilfried Lacour redoute que certains commerces abandonnent :
«C’est sûr que le concept ne peut pas fonctionner comme ça, il faut le viabiliser. Aujourd’hui, il y a des donateurs mais pas assez de bénéficiaires, car les gens ne font pas cette démarche de pousser la porte. Dans d’autres villes ça s’est même arrêté car il y avait des dizaines voire des centaines de café en attente sans aucune redistribution.»
La carte des produits suspendus à Lyon
Ci-dessous, la carte des établissements qui proposent de la nourriture et des cafés suspendus, réalisés entre autres à partir du site qui recensent tous les lieux, coffefunders.
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