« Je déclare ouverte la finale nationale de « Ma thèse en 80 secondes » ». C’est après que son erreur (les thèses sont présentées en 180 secondes, et pas 80) a été bruyamment corrigée par l’assemblée, que Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a lancé la deuxième finale nationale du concours, « MT180 » pour les intimes.
La thèse la plus productiviste
Thomas Loyau fait partie des trois candidats mâles sélectionnés pour la finale. C’est également le seul qui fut applaudi rien qu’à la lecture de son énoncé de thèse :
« Etude intégrative des effets à long terme de l’acclimatation embryonnaire à la chaleur sur le métabolisme du poulet de chair, en vue d’une application d’élevage adaptée aux pays chauds et au réchauffement climatique ».
Une fois la frayeur passée, son objectif se révèle en réalité plutôt clair : produire plus de poulet, notamment pour les pays chauds (comprendre : les pays africains). Problème : « le poulet ne supporte pas la chaleur », expose Thomas, un sourire ironique aux lèvres. Sa solution : l’acclimatation embryonnaire à la chaleur.
« En clair, on augmente de façon cyclique la chaleur dans les couveuses. Et on s’est aperçu que les poulets ayant grandi comme ça supportaient mieux la chaleur. Ils ont, entre autres, développé des vaisseaux sanguins qui leur permettent de mieux dissiper la chaleur ».
Ainsi, acclimatés aux températures des « pays chauds », ces poulets mutés pourraient bien se transformer en poules aux oeufs d’or pour notre thésard.
La thèse la plus gauchiste
Elle nous vient de Chrystelle Armata, candidate représentant la région Rhône-Alpes. Cette étudiante de l’université Lyon 3 bûche sur « la loyauté probatoire à l’épreuve des nouvelles technologies ». Dit comme ça, ça n’a pas grand chose de gauchiste, mais si on prête une oreille attentive, on perçoit des allusions assez troublantes :
« Prenons un exemple. Appelons-le… Nicolas. Disons… disons qu’il a exercé de hautes fonctions ministérielles et, disons… qu’il a été placé sur écoute. Imaginons, enfin, qu’on découvre qu’il échange avec, voyons… son avocat, sur des faits frauduleux. Ces preuves sont-elles loyales ? La police peut-elle se servir des écoutes comme preuves ? »
L’exemple fut tellement frappant qu’on eut dit qu’il était vrai. Notre candidate s’intéressait, plus généralement et plus sérieusement, à l’impact des caméras de surveillance et des écoutes – comme celles de la NSA – sur le fonctionnement de la Justice. Et à leur impact sur notre vie privée.
Jouant à domicile, elle a reçu le troisième prix du jury dans un tonnerre d’applaudissements. Elle gagne dans la foulée un billet pour la finale internationale, qui aura lieu à Montréal les 24 et 25 septembre prochains.
La thèse la plus pénible
Vous n’aimez pas la géographie ? Vous n’aimez pas non plus l’histoire ? Accueillez comme il se doit Nicolas Marqué, finaliste Midi-Pyrénées, qui fait une thèse en géohistoire, intitulée :
« De la ville de parlement à la capitale régionale ; Géohistoire de Toulouse et des villes de parlement (fin du XVIIe siècle – premier tiers du XIXe siècle), des centres administratifs et judiciaires d’Ancien Régime et leur redéfinition après la Révolution »
Une fois la pilule avalée, on reconnaît volontiers les qualités de pédagogue du candidat, qui a bel et bien réussi à captiver le public. L’objectif de sa thèse est de comprendre les transformations économiques qui ont eu lieu dans des espaces bien définis d’une ville (en l’occurrence Toulouse) et ce, dans le but de fournir des données précises aux décideurs d’aujourd’hui.
La thèse la plus sensuelle
C’est Noémie Mermet, finaliste de la région Auvergne, qui la présente, avec un thème alléchant : « implication des récepteurs 5-HT2A dans la modulation des interneurones PKCy dans un contexte d’allodynie. »
De concert avec la météo du moment, notre candidate nous parle de coups de soleil, et établit un constat édifiant :
« Lorsqu’on vous caresse sur le bras, c’est assez agréable. Mais lorsqu’au même endroit, vous avez un coup de soleil et qu’on passe la main dessus, ça peut être très douloureux ! Imaginez alors que vous ressentiez cette douleur tout le temps, à certains endroits, alors que vous n’avez même pas de coups de soleil. C’est ce qu’on appelle l’allodynie permanente. Imaginez ne plus recevoir de caresses, de baisers de vos proches à cause de cette maladie. »
Une fois les larmes essuyées, place aux explications : chez une personne non atteinte d’allodynie, la sensation tactile (non douloureuse) passe par des capteurs, qui envoient des signaux à des neurones situés dans notre moelle épinière. Ces neurones vont envoyer l’information à des neurones du cerveau, dans un endroit réservé au traitement de l’information tactile.
Lors qu’on se pince ou on se brûle, ce sont d’autres capteurs qui se chargent d’envoyer l’information à d’autres neurones de la moelle épinière, puis au cerveau, qui analyse tout ça dans un autre endroit, celui-ci réservé à la douleur.
« Chez les personnes atteintes d’allodynie, une information tactile est captée au niveau de la moelle épinière par des neurones fourbes, les PKCgamma, qui vont l’envoyer vers la zone du cerveau réservée au traitement de la douleur. »
Et d’expliquer que l’objet de sa thèse est de comprendre comment ces neurones « fourbes » s’activent. En n’oubliant pas de nous rappeler de mettre de la crème solaire lorsqu’on se rend à la plage. Après s’être fait invitée par le présentateur du concours à l’accompagner effectivement à la plage, Noémie a reçu le deuxième prix du jury et part, elle aussi, pour Montréal.
La thèse la plus world
La palme revient à Marion Decome, candidate du Languedoc-Roussillon, dont le thème « la représentation des Chinois dans la littérature, de Balzac à Henri Vernes », pouvait mettre quelques barrières à cette récompense.
À travers une explication imagée, longeant un fil rouge nommé « Wang », soit le « Chinois-type », notre candidate a réussi à nous convaincre de la nécessité d’une remise en cause de notre représentation des habitants de la Chine.
« Henri Vernes l’a [Wang] fait passer pour un idiot dans plusieurs romans ! En réalité, le Chinois nous faisait peur. Comme les gens ne le connaissait pas très bien, ils s’en fichaient de raconter et surtout de lire n’importe quoi à son sujet. Tout au long de plus d’un siècle de littéraire, on a façonné notre façon de considérer les Chinois. L’objet de ma thèse est de donner à réfléchir sur la façon dont on les perçoit. »
La thèse la plus ragoûtante
C’est Marion Denorme, première candidate à passer devant l’auditoire, qui a remporté les suffrages de nos appétits. Cette étudiante normande planche sur les « traitements anti-angiogéniques pour la prise en charge des phéochromocytomes. » Marion s’est habilement servie d’une comparaison entre un crabe et une tumeur pour nous persuader de l’utilité de sa thèse.
Les phéochromocytomes, ce sont les tumeurs, parfois malignes, parfois non. L’angiogénèse, c’est l’irrigation de la tumeur par les vaisseaux sanguins. In fine, Marion explique que la cellule cancéreuse se sert de ces vaisseaux sanguins pour se nourrir, et donc pour grossir :
« C’est comme si vous appeliez toutes les pizzerias de la ville pour les manger devant votre série préférée. »
Et le crabe dans tout ça ? C’est l’image de la tumeur et de ses vaisseaux sanguins. Quand l’angiogénèse est très développé, on peut imaginer « un crabe à mille pattes ».
« Au final, on bat une tumeur comme on mange un crabe : en commençant par les pattes. »
La thèse la plus barrée
La palme revient à l’unanimité, de l’avis du public et du jury, à Marie-Charlotte Morin, candidate représentant l’Alsace. Avec un humour « Florence Foresti » assumé, elle a réussi à rendre hilare l’auditoire dans son ensemble en nous parlant du « rôle des protéines lin-15A et rétinoblastome dans la reprogrammation cellulaire directe in vivo chez C.elegans« . Ce qui n’était pas franchement une mince affaire.
Il faut dire que le sujet prêtait au manque de sérieux : « C.elegans« , c’est le sobriquet d’un ver, « qu’on trouve un peu partout, notamment dans les pommes pourries ». À l’intérieur de cet invertébré, et plus précisément dans son rectum, une cellule. Celle-ci peut se constituer en neurone parfaitement fonctionnel.
« Ne supportant plus son destin de cellule de rectum, elle devient PDG de la boîte ».
Même si, après son show, elle mesure cette découverte en confiant que « le jour où on arrivera à recréer toutes les connexions qu’il lui faut, à ce neurone, ce n’est pas demain la veille ».
Il n’empêche : grâce à cette découverte, Marie-Charlotte fait un pas de plus vers la reconstruction neuronale, et donc vers la guérison de maladies dégénératives comme Alzheimer. Et voit plus loin : le reconstruction de cellules de la moelle épinière, qui pourrait permettre, à terme, de refaire marcher des personnes handicapées. Et de conclure sur scène, sobrement :
« Finalement, toutes les solutions à Parkinson ou Alzheimer se trouvaient dans le trou du cul d’un ver ».
Marie-Charlotte a reçu le premier prix du jury, ainsi que le prix du public. Elle prend l’avion en septembre prochain pour Montréal, afin qu’elle et son petit ver représentent la France à la finale internationale.
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