A la sortie de l’école de la Gravière, le quartier populaire de la commune huppée de Sainte-Foy-lès-Lyon, on ne parle pas que de la réforme des rythmes scolaires. Depuis un mois, les parents d’élèves font le compte des courriers islamophobes reçus pour la plupart autour du 18 avril.
« Pour l’instant, on a compté 32 familles qui ont reçu ce courrier », relate une mère de trois enfants.
Ce sont des familles dont le nom « sonne maghrébin ». Ces courriers envoyés par la Poste concernent essentiellement les habitants de logements de ce quartier de la Gravière composé pour moitié de HLM. Mais pas que. Dans le même quartier, des locataires de co-propriétés ont reçu ce courrier. Dans un autre quartier de Sainte-Foy-lès-Lyon, avenue des Provinces, six personnes ont également été bénéficiaires de cette littérature raciste, qui pourrait être associé à l’extrême-droite.
Un mailing raciste
A la manière d’une opération commerciale, les courriers ont été envoyés en nombre dans des enveloppes pré-timbrées, avec les adresses tapées à l’ordinateur.
A l’intérieur de l’enveloppe, le contenu peut varier selon les courriers :
- Deux illustrations en format carte postale. L’une est une photo extraite du site islamophobe Riposte Laïque, l’autre est un dessin d’un lutin méchant en train de faire un doigt d’honneur.
- Trois textes imprimés au format A4 où les « musulmans/immigrés/racailles/maghrébins » (selon les textes) sont accusés de tous les maux de la terre.
Le premier texte est visiblement une création. « Ce message s’adresse à vous… musulmans » (en majuscule et en rouge) :
« On vous donne un toit, de la nourriture, de l’argent, on vous inscrit à l’école pour apprendre la langue (…) vous touchez plus d’indemnités que NOUS sans jamais ne rien faire ! »
Les deux autres textes sont des copies de « poèmes » qui circulent sur d’obscurs blogs racistes. Il est question de la « légion » qui devrait intervenir et d’une France qui doit rester « blanche » :
« Ma France n’est pas plus jaune que grise, mais bien blanche ». La phrase est en gras et soulignée, au cas où on aurait pas compris.
L’autre poème se demande ce que le « petit Maghrébin fait en France » et conclut :
« Alors petit Maghrébin/Avec sous le bras tes bambins/Et tout ton bordel/Retourne dans ton djebel ».
Grâce au code « Roc » (référenciel des organisations du courrier), on peut savoir où ont été postés les courriers. Ceux que nous avons eu en main l’ont été de Saint-Priest et de Corbas.
« Dégueulasse et insultant »
Au cours de notre reportage, nous avons rencontré dix habitants qui ont reçu ce courrier. Tous choqués. La plupart ont accepté de témoigner sous leur nom.
Abderahouf Ait-Abdelkader est conducteur de locomotive. Il habite à la Gravière depuis six ans.
« Evidemment, nous dit-il, j’ai trouvé ce courrier dégueulasse et insultant ».
Il a reçu la lettre le 9 avril et a rapidement porté plainte. Il craint pour ses enfants :
« Au départ, j’étais tellement sous le choc que je ne comptais pas en parler à ma femme. J’ai trois enfants. L’aîné a 10 ans. Je n’ai pas voulu qu’ils soient au courant. Je leur ai caché. J’ai peur qu’on s’en prenne à eux ».
Même réaction chez Samir Mekkaoui, locataire d’un immeuble voisin depuis novembre dernier :
« Je n’ai jamais vu ça. Ça nous a profondément blessés. J’ai immédiatement pensé à mes enfants qui jouent dehors dans le parc. J’ai eu peur ».
Mais lui a décidé de ne pas porter plainte. Comme son voisin, Amar Bouhelal, qui habite ici depuis une trentaine d’années. Ce qui fait de lui l’un des plus anciens habitants du quartier.
« Quand on appelle la police parce qu’il y a des jeunes qui boivent des bières et font du bruit, ils ne viennent pas. Là, ils ne feront rien non plus ».
« C’est quoi être français, à la fin ? »
Les deux voisines d’un troisième immeuble de logements sociaux craignent désormais d’être victimes d’agressions racistes.
« C’est un quartier. On n’a jamais eu de problème. Mais depuis ces lettres, on fait davantage attention aux regards, aux bruits qui nous entourent », témoigne l’une d’elles.
Sa copine s’est rappelée l’agression verbale raciste qu’elle avait subie il y a quatre ans, au supermarché :
« J’étais avec mes enfants. Au milieu des rayons, une femme m’a jeté au visage « rentre chez toi ». Quand on reçu le courrier, un de mes fils en a reparlé. Ça a réveillé cette douleur ».
Pour ces deux mères de famille, ces lettres les replongent violemment dans un discours qui les renvoie à leurs origines et à leur religion :
« Je porte le voile. Et alors ? C’est pour moi, je ne fais pas de prosélytisme ».
Et l’autre ajoute :
« On dirait qu’on ne paye pas d’impôt, pas d’assurance, que tout est gratuit pour nous. C’est quoi être français, à la fin ? On a l’impression qu’on est français que sur le papier. Quand on donne un prénom de nos enfants, on fait attention à en choisir un qui ne sonne pas trop maghrébin, pour qu’il ait plus de chance de trouver un travail. Même quand on se marie ça ne suffit pas. Qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse ? »
Un méticuleux relevé d’adresses
« Il ne s’agit pas d’un simple flyer ou d’une affiche. Ce courrier nous est adressé. Comment ont-ils fait pour connaître nos noms ? »
C’est pour cette raison que Fadia (prénom d’emprunt) a décidé de porter plainte. Son témoignage donne quelques pistes sur la manière dont le ou les auteurs de la lettre s’y sont pris pour récupérer les adresses.
Mariée avec un homme « d’origine européenne », comme elle le dit, Fadia ne porte plus un nom « à consonance maghrébine ». Quant à son prénom, il n’apparaît pas sur sa boîte aux lettres ni sur l’interphone.
On peut donc en déduire que le ou les auteurs a/ont eu accès à un listing officiel d’adresses qui comportent le nom de jeune fille de Fadia. Par exemple les listes électorales. Tout électeur, même s’il n’est pas de la commune en question, peut librement les consulter en mairie. En effet les courriers anonymes ne se limitent pas au quartier de la Gravière qui aurait pu être ciblé en raison de sa concentration en logements sociaux.
A quelques kilomètres de là, avenue des Provinces, Atouya Ouissi est locataire d’une copropriété. Elle a également reçu un courrier comme cinq autres personnes. Un voisin policier lui a conseillé de porter plainte. Ce qu’elle a fait :
« C’est insultant et raciste. Je ne pouvais pas laissé passer ça. C’est pour ça que j’ai aussi appelé le Progrès ».
Le Progrès a décidé de traiter le sujet sous forme de brève.
« Une extrême violence »
Nicole Gerentes de la section Oullins/Sud-Ouest-Lyonnais de la Ligue des Droits de l’Homme se dit « horrifiée » par ses lettres :
« C’est la première fois qu’on voit ça, à une échelle pareille. C’est le signe d’une banalisation du racisme ».
La Licra a également été contactée par une habitante qui a reçu la lettre. Son représentant régional, Patrick Khan, explique que cette personne a été « démolie » par ce courrier :
« On n’a pas conscience du mal que ce genre de lettres anonymes peut produire. C’est d’une extrême violence ».
Il évoque d’autres affaires de ce type dans la région lyonnaise :
« Depuis plusieurs mois, cette pratique se développe. On a notamment eu connaissance de courriers « anti-arabes » à la fin de l’année dernière. »
La Licra a écrit au préfet, au procureur de la République et au maire de Sainte-Foy-lès-Lyon.
« De plus en plus de plaintes déposées »
Alertée par plusieurs habitants, la maire UMP fraîchement élue de Sainte-Foy-lès-Lyon, Véronique Sarselli, déclare qu’elle prend ces courriers anonymes « très au sérieux » :
« Je suis scandalisée et inquiète quant à la montée du racisme et de l’intolérance qu’ils révèlent. J’imagine l’état de détresse des personnes qui ont reçu ces courriers. C’est gravissime. »
Elle nous assure que la police prend cette affaire très au sérieux :
« Pour l’instant nous n’en savons pas davantage. Je ne suis pas sûre que ce soit limité à des quartiers particuliers de Sainte-Foy, ni même à la commune de Sainte-Foy. Je souhaite l’ouverture d’une enquête. Avec la multiplication des plaintes déposées, la police a la matière ».
Répondant aux questions de RMC, ce 20 mai, la maire de Sainte-Foy a indiqué que 16 plaintes avaient déjà été déposées.
Sollicitée par Rue89Lyon, la direction départementale de la sécurité publique du Rhône nous a indiqué ce mardi qu’une enquête de police est en cours « depuis les premiers dépôts de plaintes ». Elle est menée par le commissariat d’Oullins, territorialement compétent.
> Mis à jour le 20 à 11h30 avec le nombre de plaintes déposées selon la maire de Sainte-Foy.
> Mis à jour le 20 à 17h30 suite à l’annonce de l’ouverture d’une enquête de police.
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