Depuis janvier, la maison d’édition Le Feu Sacré publie chaque début de mois une nouvelle étonnante sur la ville qui en révèle un aspect caché, ésotérique ou fantasmé… Les textes sont disponibles gratuitement sur une plate-forme numérique et sous forme d’audiobooks.
Montrer un Lyon qui ne colle pas à la carte postale. C’est le projet monté par Fabien Thévenot, à la tête de Le Feu Sacré, une jeune maison d’édition lyonnaise. Intitulé « Reset : une contre-histoire de Lyon », il propose un concept qui nous a tapé dans l’oeil, en publiant chaque mois une nouvelle écrite par un auteur lyonnais, avec un regard différent sur la ville.
Fabien Thévenot, fondateur de la maison d’édition, est arrivé sur Lyon en 2001. Depuis, il s’est beaucoup interrogé sur sa ville :
« Au bout de 13 ans passés ici, j’ai tiré mon bilan. En fait, je me suis senti dépossédé au fur et à mesure que la ville se « privatisait ». Cette ultralibéralisation des espaces a eu sur moi de véritables effets physiques, et nous étions quelques uns a ressentir la même chose. Du coup, j’ai trouvé intéressant d’offrir une plate-forme à des auteurs pour leur permettre de s’exprimer sur ce sujet. »
« Dans Lyon citoyen, on ne nous raconte pas l’histoire que l’on vit au quotidien«
Le projet s’est doté d’auteurs venant de tout horizon. De Cédric Rassat, scénariste de bandes dessinées et critique rock, à Ludovic Villard, rappeur, chacun enrichit le projet avec ses propres influences. À travers cette série de nouvelles, le Feu Sacré Editions veut « contrer l’hégémonie culturelle ». Et s’inscrit dans une démarche relativement engagée. Pour Fabien Thévenot :
« En voyant comment la ville communique, en lisant par exemple le Grand Lyon Magazine ou Lyon Citoyen, j’ai eu l’impression qu’il y avait une volonté de nous faire vivre dans un Lyon fictionnel. On ne nous raconte pas l’histoire que l’on vit au quotidien. »
Au sein des différentes nouvelles, on trouve une critique de la société de consommation et du libéralisme. Dans Table rase, écrite par Tristan Perreton, Lyon est décrite à travers le prisme d’un ouvrier de démolition. Tel un tueur à gage, il détruit « en bon soldat » les bâtiments, symboles de la ville, et d’un pouvoir politique bâtisseur. C’est l’identité culturelle de la ville qui est remise en question.
Roman noir, de la Croix-Rousse aux Terreaux en passant par la Guillotière
Avec les cinq premières nouvelles publiées depuis janvier, le lecteur est entraîné aux quatre coins de la ville. Il est au cœur des traboules de la Croix-Rousse dans « Addiction » de Lionel Tran.
Dans « Une vue imprenable » d’Alexandre Simon, ses pensées se perdent dans la contemplation de l’ancien Cimetière de la Guillotière, cherchant la frontière entre folie et réalité.
La première nouvelle publiée par la maison d’édition, « Notes prises dans le désert » de Ludovic Villard, avait annoncé la couleur. Elle raconte, le temps d’une journée, la traversée d’un homme marginal qui se heurte au tumulte propre aux grandes villes. Il fait face à la réalité dure et froide d’un lieu qui aurait perdu son âme, et dans lequel chacun est anonyme face à la foule, tel un fantôme. Extrait :
Que s’est-il donc passé ? Où est l’âme de cette ville ? Où sont les vivants ? Je vois bien les musées, les sculptures sur les façades, les théâtres, l’opéra, les magnifiques églises et leurs vitraux, rouges, bleus, verts et jaunes, le tout rayonnant de beauté et de spiritualité. Mais les hommes et les femmes ? Où sont-ils ? Il y a des affiches publicitaires, des feux de signalisation, des guirlandes électriques qu’on a oublié de retirer depuis Noël, et puis d’énormes 4X4 avachis sur les trottoirs, des boutiques de produits biologiques (…).
Mais personne pour vous offrir un simple bonjour ou une seule foutue poignée de main. J’ai beau arpenter chaque nouvelle journée ces mêmes rues, ces mêmes squares pleins à craquer d’organes et d’éclats de voix, de sonneries de téléphones et de claquement de talons hauts, au final rien n’y change jamais. Rien ne bouge d’un cil. Aucune trace de chaleur humaine, aucune trace d’échange, aucune trace de vie…
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C’est aussi le but de Reset : montrer une vie quotidienne, et surtout de ceux que l’on ne remarque pas. Mais Fabien Thévenot se garde bien de prétendre délivrer une vérité :
« Peu de nouvelles sont gaies car beaucoup d’auteurs ont eu une vie assez sombre, qui sont dans le roman noir. Cela influe nécessairement sur leur travail. Ce qu’on cherche, c’est de réorienter le tir et offrir une image réajustée. Mais elle n’est pas forcément juste, d’autant plus que nous proposons aussi des nouvelles horrifiques qui relèvent du domaine du fantastique. »
Si les textes sont retravaillés avec la maison d’édition, les auteurs n’ont aucune préconisation. Ils sont libres d’écrire ce qu’ils veulent. Naviguant dans les genres, ce projet promet donc des œuvres diverses et inattendues. La dernière nouvelle, publiée ce 5 mai, est intitulée « Catacombes ». Signée par Christophe Ramain, elle est proche de l’univers fantastique d’Howard Phillips Lovecraft. Pour un visage horrifique de Lyon.
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