Pour certains elle est indispensable, d’autres disent « ne pas savoir la faire », dans tous les cas la sieste passe pour de la paresse. On tente toutefois de la réhabiliter, notamment pendant la pause méridienne. Au point de voir naître des centres dédiés au dodo (8 à 10 € par séance de 20 minutes), dans les quartiers d’affaires comme la Part-Dieu à Lyon, ou des salles dans des entreprises, à Villeurbanne notamment.
Pour concilier des journées de travail de plus en plus longues et un sommeil réparateur, certains proposent de remettre la sieste au goût du jour, y compris au travail. Après tout, c’est une activité vieille comme le monde, et parfaitement naturelle. C’est ce qu’explique Bruno Claustrat, biologiste au département de Biochimie et Biologie Moléculaire des Hospices Civils de Lyon et membre de l’association PROSOM, qui sensibilise sur le sommeil, la vigilance et les rythmes de vie :
« Nous sommes génétiquement programmés pour faire la sieste. En début d’après-midi, la température du corps baisse, préparant au sommeil. Notre physiologie est modifiée pendant la digestion, entrainant une somnolence. »
La sieste n’a donc rien d’une activité de tire-au flanc. Elle peut même être très bénéfique :
« Une sieste de quinze à vingt minutes permet d’avoir une période de sommeil léger sans tomber en sommeil profond (qui se déclenche au bout d’environ demi-heure), tout en améliorant les performances intellectuelles. On peut réhabiliter cette pratique dans l’après-midi, ou la nuit pour les travailleurs postés (qui font les 3 x 8, ndlr). »
Pourtant, malgré ses bénéfices, la sieste pâtit toujours d’une mauvaise réputation.
« Souvent, on se cache dans les toilettes ou dans sa voiture pour piquer un somme », témoignent des adeptes de la sieste au travail.
Les dirigeants la voient souvent comme une perte de productivité pour l’entreprise. Pourtant, de nombreux intervenants nous assurent de l’inverse : une sieste permet de décupler l’efficacité et la productivité. Mais la science manque de données chiffrées dans ce domaine.
« Difficile de s’abandonner devant ses collègues »
« Le sommeil léger n’attire que peu l’intérêt des scientifiques, regrette Bruno Claustrat. Mais il restaure vraisemblablement les capacités cognitives. Il est en tous cas prouvé scientifiquement qu’une courte sieste améliore les performances. »
Certains prennent donc conscience que laisser les salariés se reposer peut être bénéfique pour l’entreprise elle-même. Et mettent donc une salle de sieste à disposition des salariés, comme Novius, une entreprise de services numériques à Villeurbanne, le fait depuis six ans. Selon son PDG Anthony Bleton-Martin, c’est un succès :
« Environ 50% des salariés l’utilisent, et cela a un effet apaisant même pour ceux qui ne l’utilisent pas. »
Le dispositif est extrêmement simple : trois matelas dans une petite pièce suffisent pour se reposer. Certains cherchent davantage de sophistication.
On assiste à un développement des sociétés facilitant la sieste au travail. Ainsi Someo, fondé en 2012, propose aux entreprises un accompagnement afin de sensibiliser à l’importance de la sieste, ainsi que des dispositifs permettant aux salariés de dormir sur leur lieu de travail : installation d’une pièce dédiée avec le concours d’un architecte designer, scénarios sonores pour aider à s’endormir…
Mais la sieste au travail continue de rencontrer des résistances.
« Chez nous, c’est désormais accepté par tout le monde, explique Anthony Bleton-Martin. Mais au début, certains étaient un peu sceptiques, et beaucoup ne l’utilisaient pas : il y avait notamment très peu de femmes. C’est difficile de s’abandonner de la sorte devant ses collègues. »
Tabou or not tabou ?
C’est pour cette raison que l’on commence à voir apparaître des lieux où, moyennant finance, on peut venir piquer un somme durant sa pause sans croiser collègues et supérieurs. A Lyon, dans le quartier de la Part-Dieu, Cécile Henry a ouvert il y a quelques mois My Cup Of Time. Pour 8 € en espace partagé ou 10 € en chambre individuelle, il est possible de piquer un somme de 20 minutes, avec dispositif sonore pour aider à s’endormir et à se réveiller.
Elle propose également des cycles complets de 90 minutes pour 27 €, et des collations à midi pour 7 € supplémentaires. Si elle s’est implantée dans le quartier d’affaires lyonnais, c’était évidemment pour cibler plutôt les cadres, mais elle assure qu’au final sa clientèle est variée. Un peu plus de femmes, peut-être selon elle parce qu’elles connaissent mieux leurs limites et affrontent plus souvent une double journée, au bureau puis à la maison. Elle estime et aimerait que le tabou de la sieste soit tombé :
« Il y a toujours une question culturelle, qui fait que la sieste n’est pas bien vue, mais on ne peut plus parler de tabou. Le mieux-être au travail est une vraie préoccupation ».
Elle ajoute que les gens sont de plus en plus à l’écoute de leur corps, et que même s’il reste du chemin à faire, la culture d’entreprise évolue.
Mais si tous les siesteurs reconnaissent que l’on va vers une meilleure reconnaissance de l’utilité de la sieste, ils ne sont pas toujours aussi optimistes.
Anthony Bleton raconte que les visiteurs qui passent à Novius ont, en voyant la salle de sieste, deux types de réactions : l’enthousiasme ou le scepticisme. Bruno Claustrat confirme que l’intérêt suscité par le sommeil et la sieste n’est parfois que de façade :
« On pourrait croire qu’avec tout ce qui se dit sur le bien-être au travail, les suicides au travail, etc., il y aurait une amélioration des conditions de vie. Mais on observe une vraie dichotomie : certaines structures s’y intéressent réellement et tentent de mettre en place des systèmes pour réduire la fatigue au travail, d’autres cherchent à se donner bonne conscience sans réelle volonté de changer les choses. »
Bosser 80 heures par semaine… et siester ?
Si les bienfaits de la sieste sont scientifiquement prouvés, encore faut-il que l’environnement soit favorable.
« Le stress perturbe le sommeil : il peut entrainer une forte insomnie et une dépression », met en garde Bruno Claustrat. « L’ambiance au travail joue aussi sur sommeil : si elle est mauvaise, le risque de prise de psychotropes peut augmenter, donc les risques ultérieurs sur la qualité du sommeil aussi. »
A méditer, puisque la France est championne du monde en consommation de psychotropes.
« Inutile de mettre à disposition une salle de sieste si vous faites travailler les employés 80 heures par semaine », résume Benoit Germanos, de Someo.
Pour que la sieste en entreprise soit efficace, il faudrait donc qu’elle s’accompagne de pratiques managériales différentes.
« Les entreprises qui proposent à leurs salariés un lieu de sieste doivent avoir une certaine maturité », analyse Cécile Henry.
Pour que la sieste soit profitable au salarié et à l’entreprise, les conditions de travail ne doivent donc pas aliéner l’employé mais lui permettre de se réaliser. Et il ne doit pas craindre que le dispositif serve en réalité à détecter les paresseux.
A Novius, le fait que le PDG soit un fervent adepte de la sieste a probablement aidé à convaincre de la bonne foi du projet. Pour lui, si ses salariés sont très raisonnables dans leur utilisation de la salle, ce n’est pas par autocensure mais par simple sens des responsabilités.
« Si on est dans une logique de flicage, les gens essaieront d’abuser du système, et la sieste sera contre-productive. Alors que si par ailleurs on laisse aux salariés la liberté de gérer leurs affaires comme ils l’entendent, ce sera une réussite. On est toujours récompensé de la liberté qu’on donne. »
Dormir au bureau mais bosser à la maison
De l’avis général, la sieste au travail est mieux acceptée par les nouvelles générations de dirigeants, qui portent une vision différente du monde du travail. Ils sont en effet plus soucieux de conjuguer harmonieusement travail et vie privée, plus ouvert aux nouveautés, plus désireux que les gens s’épanouissent dans leur travail.
Mais ces nouvelles démarches plus souples entraînent d’autres problèmes. S’il est plus accepté que la vie privée s’immisce dans l’entreprise, en contrepartie il est plus fréquent que la vie professionnelle nous poursuive en dehors du travail. Si pour certains cet affaiblissement des frontières est une évolution logique non dénuée d’intérêts, elle comporte malgré tout des risques.
« Ce mélange n’est pas bon pour le sommeil, prévient Bruno Claustrat. Travailler tard le soir chez soi, répondre à ses mails juste avant de se coucher, garder son téléphone allumé la nuit en cas d’urgence, tout cela retarde l’endormissement et nuit à la qualité du sommeil. »
Une autre question légitime est le but que poursuivent les managers au travers de la sieste : visent-ils à améliorer les conditions de travail des salariés ou à développer un simple outil de management, incitant les salariés à travailler encore plus au travers de pratiques néo-paternalistes ? Anthony Bleton-Martin assure en tous cas que ses employés ne restent pas plus longtemps au bureau depuis qu’ils font la sieste.
Un marché de la sieste peut-il voir le jour ?
Face à la timide prise de conscience quant à la nécessité de modifier les modèles organisationnels, un business de la sieste commence timidement à se développer. Que ce soit des espaces externes, comme My Cup Of Time, ou des dispositifs d’accompagnement des entreprises, comme Someo, tous insistent sur l’importance de la formation afin que le public et les entreprises prennent conscience de ces problématiques.
La demande pour une normalisation de la sieste existe. Lors de la Journée Nationale du Sommeil, en mars dernier, une dizaine de personnes étaient venues assister à l’atelier de micro-sieste mené par Cécile Henry de My Cup Of Time. La plupart était déjà conscient des bienfaits d’une telle activité.
« On ne fait pas la sieste au travail, mais on aimerait bien », regrettent Régine et Louisa, qui travaillent dans la formation :
« Il y a beaucoup de stress dans nos métiers, cela permet de décompresser. »
Pour autant, l’idée d’un espace de sieste extérieur ne les convainc que moyennement. Difficile d’accepter de payer pour quelque chose de naturel.
« Je ne pense pas que je serais prête à payer pour pouvoir dormir, explique Régina. Mieux vaudrait instaurer un lieu de détente dans l’entreprise. »
Or, pour les entreprises, le problème est souvent le même.
« Nous recevons généralement un accueil positif, mais la vraie difficulté est de transformer cet intérêt en prestations », analyse Benoit Germanos, l’un des fondateurs de Someo.
Moins productifs parce que crevés
« On veut une salle de sieste. »
C’est ce que peuvent dire à leur employeur les salariés ayant eu vent de l’idée de l’entreprise Novius de Villeurbanne : installer une salle de sieste au sein même de l’entreprise, en libre accès, sans limitation horaire.
Après tout, le sommeil c’est la santé. Il est de notoriété publique que ne pas dormir suffisamment peut avoir des effets néfastes sur l’organisme. Sur le plan physique, la fatigue récurrente peut provoquer diabète, prise de poids, troubles cardiovasculaires…
Certaines études montrent même que les carences répétées de sommeil pourraient détruire des neurones, et favoriser à terme des maladies telles que Parkinson, Alzeihmer, certains cancers. Et sur le plan psychologique, le manque de sommeil augmente l’irritabilité, les difficultés relationnelles, les prédispositions à la dépression. Et pourtant, nous dormons de moins en moins. Une heure de moins qu’il y a un siècle. La quasi-totalité des Français présentent aujourd’hui une dette de sommeil, en moyenne d’une heure.
Cela pourrait n’avoir des conséquences que sur la santé des gens. Mais non, à terme cela peut aussi nuire à la productivité. Les études chiffrées ne sont pas très fréquentes, mais, en 2006, des chercheurs américains estimaient qu’aux Etats-Unis les coûts engendrés par l’absentéisme, les accidents du travail, et autres conséquences du manque de sommeil des employés, s’élevaient à 150 milliards de dollars par an.
La sieste ne remplacera jamais une bonne nuit de sommeil
Que ce soit au travers de systèmes sophistiqués ou grâce à de simples matelas sur le sol, la sieste présente d’innombrables avantages.
« Il n’y a aucun argument rationnel contre un tel procédé » s’enthousiasme Anthony Bleton-Martin. J’aime à croire que les idées gouvernent le monde, celle-ci finira par s’imposer avec le temps ».
Attention cependant à ne pas la voir comme l’eldorado :
« On peut ajouter une sieste courte à un temps de sommeil normal, explique Bruno Claustrat. Mais une sieste ne peut pas remplacer une nuit de sommeil, ou pallier quotidiennement un temps de sommeil insuffisant. »
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