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Centrifugeuse de visionnage, épisode 19

Dans leur quête désespérée du sens, les premières critiques de 2014 s’attaquent justement à la critique, en une ironique illustration du serpent qui se mord goulûment la queue.

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Centrifugeuse de visionnage, épisode 19

Nymphomaniac volume 1 de Lars Von Trier

Dans la critique de cinéma sans doute encore moins que dans toutes les autres disciplines humaines, il n’existe AUCUNE vérité absolue. Juste une flopée d’opinions dans lesquelles les lecteurs se reconnaissent plus ou moins, en fonction de leurs goûts qu’ils identifient à ceux du prescripteur de leur choix. La critique est le royaume de la libre interprétation : une même œuvre peut être aussi bien appréhendée comme une charge virulente contre le capitalisme que comme un portrait travesti et social-traître du prolétariat, et ce alors que son auteur souhaitait avant tout raconter une belle histoire d’amour dans le milieu de la restauration rapide (ne cherchez pas le film en question, c’est un exemple, et de toute façon j’ai déjà déposé les droits). Chaque critique est libre de préférer telle œuvre à une autre, tel discours à un autre, telle lecture politique du travelling à sa simple appréciation esthétique. La seule limite se situe assez ironiquement (rappelons tout de même qu’on cause de cinéma) dans la distorsion de la réalité.

Le cas Lars Von Trier fait office de référence en la matière. L’insaisissable auteur est tricard des médias drapés dans leur vertu offensée depuis la conférence de presse cannoise de Melancholia en 2011, à la sale grâce de remarques a priori Godwin-friendly – sauf que si l’on prend la peine de regarder ladite intervention, on s’aperçoit déjà que la question qui l’amène est d’une connerie abyssale, et que le réalisateur y répond (certes maladroitement) par une série de mauvaises blagues provocatrices, dont il lutte à se dépêtrer dans un anglais hésitant. Ce faux pas – qui n’en est même pas réellement un – vaut au metteur en scène un procès en suspicion automatique, qui a franchi un cap crucial avec la réception de son dernier film, le premier volet du diptyque Nymphomaniac.

En témoigne la critique sûrement beaucoup trop à chaud des Inrocks, dans laquelle le journaliste confesse ne pas trop savoir quoi penser – dans le doute, mieux vaut fustiger, c’est bien connu. Dès la fin du premier paragraphe, Serge Kaganski annonce la couleur en évoquant ce que le film aurait dû être, à son humble avis. S’ensuivent un résumé lapidaire, puis une série de questions totalement à la ramasse, où le critique substitue à la réalité du film une vision qui s’accorde à ses désirs – sauf qu’une fois le film vu, il convient de rétablir les contre-vérités de l’article.

En fait de « fatras ésotérique », le film évoque la suite de Fibonacci et la construction en musique classique – à moins de trouver les mathématiques particulièrement pernicieuses, l’ésotérisme n’a rien à foutre là-dedans. En fait « de digressions hors sujet sur la différence entre antisionisme et antisémitisme », il n’y a en tout et pour tout qu’une seule mention du sujet par le personnage de Seligman, utilisée pour introduire le rapport de Joe avec sa propre “trahison“ de la religion. A une semaine d’actualité près, on aurait sans doute eu droit à un encadré sur les correspondances entre les filmos de Von Trier et de Dieudonné.

Kaganski fait exactement comme Eric Cartman quand il parodie l’éditorialiste réac’ Glenn Beck dans l’épisode Dances with Smurfs : il pose des questions. Obama est-il un terroriste musulman qui veut détruire les USA ?  Lars Von Trier est-il un gros nazi qui déteste les femmes ? Les journalistes des Inrocks font-ils des partouzes avec les différentes maîtresses de DSK pendant les projections presse, les obligeant à broder sur les parties de film qu’ils n’ont pas vu ? Attention, je n’accuse personne : je pose des questions. C’est pas pareil.

Tout le monde a le droit de ne pas aimer Lars Von Trier et / ou son cinéma. C’est même totalement compréhensible, surtout au vu de la promotion agressive du film en partie orchestrée par le réalisateur lui-même. Mais mentir pour coller à des procès d’intention relève de la grosse, grosse malhonnêteté intellectuelle des familles.

Sinon, pour les adorables dérangés qui m’auraient choisi comme prescripteur, Nymphomaniac volume 1 permet au metteur en scène de changer une nouvelle fois de style, pour expérimenter dans tous les sens et composer un vivier de scènes cruelles et ironiques, à rebours de toutes les attentes, où même Shia LaBeouf et Christian Slater jouent bien. Un puzzle narratif dont les pièces s’emboîtent parfois avec force, mais toujours avec cette pertinence dérangeante qui rend le cinéma de Lars Von Trier si déplaisant mais en définitive si passionnant. Son principal défaut serait de n’être qu’une moitié de film.

Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese

Un autre gros morceau de malentendu critique, synthétisé par nul autre que Pierre Haski, homeboy en chef de Rue89, dans son article Je suis sorti du « Loup de Wall Street » avec la nausée : et vous ? (et bien moi ça va, je me suis même fait une raclette derrière si vous voulez tout savoir). Encore une fois, la vérité absolue n’existe pas. Néanmoins, le critique et les spectateurs disposent de clés de compréhension telles que la filmographie du réalisateur, la lecture de la mise en scène ou la construction dramatique pour en saisir si ce n’est le propos définitif, du moins quelques sérieux indices.

Las, la confiance dans l’intelligence du spectateur n’est pas du côté de Pierre Haski, qui nous glisse :

« Je suis prêt à parier qu’une majorité de spectateurs en sont sortis avec cette poussée d’adrénaline que procure le spectacle de quelque chose d’exceptionnel, hors de portée du commun des mortels, et finalement enviable ».

Soit l’éternelle et fâcheuse rengaine du cinéma qui influencerait les esprits forcément fragiles. Je suis prêt à parier, Pierre, que personne n’est sorti de Shutter Island avec l’envie de mener une enquête dans un asile, que personne n’est sorti des Affranchis avec l’envie de buter quelqu’un dans un coffre, que personne n’est sorti d’Aviator en se lavant compulsivement les mains. Je n’exclus pas que quelques spectateurs exaltés soient sortis de Dansons sous la pluie en exécutant deux trois pas de claquettes, et encore.

Ce n’est pas parce qu’un film est rythmé et bien filmé qu’il est complaisant avec son sujet. Le Loup de Wall Street fonctionne au contraire à l’écœurement, à la surenchère trash orchestrée avec brio par un cinéaste qui, du haut de ses 71 ans, en remontre à tous les freluquets pseudo indépendants qui s’essaient à la provocation. Au terme de trois heures aussi fluides qu’épuisantes, passée la scène de demande de divorce, l’équivoque n’est plus permise : Belfort est un enfoiré inconséquent, égoïste, qui ne mérite pas une seconde son insupportable clémence.

On peut en revanche reprocher à Scorsese de se répéter : cousin tardif des Affranchis et de Casino (déjà suspectés en leur temps de complaisance), Le Loup de Wall Street fonctionne à ce point sur les mêmes gimmicks que le dernier acte du film est d’une prévisibilité dommageable, quitte à mettre en relief certains choix artistiques hasardeux (en particulier l’utilisation complètement hors de propos de Ça plane pour moi de Plastic Bertrand). Avec cette poussée d’adrénaline que procure le spectacle de quelque chose d’exceptionnel, je m’en vais manger une soupe aux champignons.

Sherlock, saison 3, épisode 1 : The Empty Hearse

Le plus grand mérite de cette nouvelle livraison réside dans sa prise en compte de l’INTOLERABLE vide de deux ans qui le sépare du dernier épisode en date ; et en particulier des innombrables théories ayant surgi sur le net pour expliquer la survie du héros après sa chute de plusieurs étages. Crime de lèse-majesté ultime, The Empty Hearse intègre un groupe de fans forcément déçus par la résolution du mystère, auxquels Sherlock répondra « Everyone’s a critic » avec son habituel cynisme. Cette pirouette, purement jouissive dans le flot piégé de la narration, est représentative du changement de cap imprimé à la série.

Les récits originaux d’Arthur Conan Doyle servaient jusqu’alors de colonne vertébrale aux intrigues, ils ne sont plus qu’un décorum secondaire. La dynamique d’une enquête par épisode (avec ses multiples digressions) s’efface au profit de l’évolution des personnages, comme peut en témoigner la conclusion expéditive de ce premier épisode. En dépit d’une réalisation plus gratuitement tape-à-l’œil qu’à l’accoutumée, le plaisir de savourer une écriture alerte est toujours là, tout comme la complémentarité jouissive de Benedict Cumberbatch et Martin Freeman.

 


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