La crise couvait depuis plusieurs mois à Lyon 2. A l’abri des regards extérieurs, quatre vice-présidents ont démissionné depuis cet été. Il aura fallu la convocation d’un « congrès élargi » extraordinaire, puis, le jour dit, jeudi 21 novembre, l’intrusion d’une centaine d’étudiants dans ce même congrès, suivie de l’intervention de la police pour que l’on découvre l’étendue du problème.
Une des entrées du Campus Berges du Rhône de l’université Lyon 2, autrement appelé campus des quais. ©Laurent Burlet/Rue89Lyon
1. Il manque de plus en plus de sous
Etudiants et enseignants parlent de « pénurie de moyens ». Le président de Lyon 2 préfère employer l’expression « budget contraint ». Sans même évoquer la situation plus que préoccupante de certains bâtiments du campus de Bron, les finances ont tendance à se détériorer sous l’effet de la loi LRU votée par le précédent gouvernement. Depuis cette loi sur l’autonomie des universités, la gestion de la masse salariale a été transférée aux universités. Or, du fait de l’ancienneté des personnels, la masse salariale augmente plus vite que la dotation annuelle de l’État.
A Lyon, l’équipe présidentielle en a fait l’amère expérience. Quelques mois après avoir voté son premier budget (environ 140 millions d’euros), le président Jean-Luc Mayaud a dû le revoir à la baisse de 6%.
Certaines disciplines souffrent plus que d’autres. C’est particulièrement le cas de la faculté LESLA qui regroupe les départements des Lettres, des Sciences du langage, des Arts du spectacle et de Musique et musicologie.
Sa dotation globale de fonctionnement pour l’année 2014 va être quasiment diminuée de moitié, passant de 143 767 euros à 77 343 euros. Résultat, un enseignant-chercheur de la Faculté LESLA explique qu’ils ne pourront plus que distribuer de « maigres subventions » aux associations étudiantes et « couvrir les frais de reprographie ».
Ils n’auront plus, dit-il, les moyens de soutenir les manifestations scientifiques ou d’inviter des conférenciers extérieurs. A propos de cette faculté LESLA, la présidence répond qu’il ne s’agit que d’un « budget prévisionnel », qui peut donc évoluer.
2. Manque de personnel et « sélection » des étudiants
Conséquence également de ces problèmes financiers, le sous-encadrement chronique des étudiants. Un enseignant en dresse le portrait:
« Lyon 2 fait partie des universités qui a le plus faible nombre d’enseignants rapporté à la norme fixée par le ministère ».
Alors que le taux d’encadrement devrait atteindre 100%, il est de 40 % en sciences politiques. Ces taux seraient également atteints en droit, et en information et communication.
Un faible taux d’encadrement signifie que des cours en travaux dirigés (TD) ne sont pas ouverts, faute de moyens pour payer des enseignants.
Les étudiants grévistes font le parallèle entre ces faibles taux d’encadrement et une sélection rampante qui se mettrait en oeuvre avec, dans certaines filières, la « régionalisation » de l’admission des étudiants. En psychologie, par exemple, il est indiqué que la licence est ouverte uniquement aux futurs bacheliers et/ou aux résidents de l’Académie de Lyon (Ain, Loire, Rhône).
Selon plusieurs enseignants, ces « priorités académiques » sont liées à des problèmes de capacité d’accueil par rapport au nombre de demandes.
3. La loi Fioraso, voilà l’ennemi
Votée en juin dernier, la loi Fioraso (du nom de la ministre grenobloise de l’enseignement supérieur) donne un an pour la mise en place de Communauté d’universités et d’établissements (CUE), une sorte de « super établissement » qui regroupe toutes les écoles du supérieur d’une même région universitaire. Pour la région lyonnaise, il s’agit des établissements rassemblés dans l’ancien Pôle universitaire de Lyon et Saint-Etienne. La loi Fioraso va plus loin qu’un simple regroupement de facs ou d’écoles sans aller jusqu’à la fusion. Etant données les difficultés financières, elle oblige de fait les universités à créer une offre de formation territoriale dans l’objectif de supprimer les doublons. Ce qui implique de profondes restructurations à l’échelle de la CUE de Lyon/Saint-Etienne.
Membre du conseil d’administration d’ »opposition » (liste Pour une autre université – PAU), Nathalie Dompnier considère qu’il s’agit d’une « mise en concurrence des universités » :
« Chaque établissement va essayer de valoriser davantage ses formations au détriment de ce que proposent les autres ».
A Lyon 2, vu la « concurrence » de la voisine Lyon 3 ou de l’université de Saint-Etienne, les inquiétudes sont grandissantes concernant le devenir du droit, des sciences politiques ou des langues qui existent dans chacune de ces universités. Surtout pour les personnels administratifs.
« On va faire des économies en supprimant des cursus, poursuit Nathalie Dompnier. Vu qu’il y a déjà des mutualisations pour les filières à faible effectif, les rapprochements vont se faire avec les filières à fort effectif, comme le droit. On va chercher à réduire les coûts en supprimant du personnel administratif, voire des postes d’enseignants. Or on est déjà en situation de sous-encadrement ».
Certains craignent également une « secondarisation » de l’université Lyon 2. Moins bien dotée que Sciences-Po (IEP de Lyon) ou l’Ecole normale supérieure (ENS), Lyon 2 pourrait devenir une prolongement du lycée (le secondaire) pour ne s’occuper que des licences et abandonner une grande partie des masters et des doctorats à l’IEP et l’ENS.
En AG, les étudiants ont pointé le risque de fermeture de certains sites secondaires comme à Saint-Etienne ou Bourg-en-Bresse. Ils prennent l’exemple du site de Béziers de l’université Montpellier III qui était menacé de fermeture, jusqu’à une intervention de la ministre Fioraso assurant son maintien.
4. La gestion à la sauce Mayaud ne passe pas
C’est dans ce contexte de grand chambardement universitaire que quatre vice-présidents ont démissionné. Le président Mayaud leur reproche de « quitter le navire ». En retour, les quatre vice-présidents lui renvoient qu’il n’a aucune stratégie pour diriger l’université Lyon 2. Pour preuve, disent-ils, ils ne disposaient pas de « feuille de route » pour mener à bien leur mission.
Aucun de ces vice-présidents démissionnaires n’a souhaité répondre. Isabelle Lefort, vice-présidente chargée du conseil scientifique, a tenu a rendre publique un certain nombre d’éléments en ouvrant un blog, « l’université autrement ».
Elle accuse Jean-Luc Mayaud d’avoir une démarche tournée davantage vers la réduction des coûts :
« Le président de Lyon 2 valide – en l’autorisant – une politique de la recherche essentiellement menée par des outils comptables réservés aux seuls spécialistes de services financiers dédiés ».
Le point majeur de discorde reste la manière dont le président mène les négociations sur la future CUE Lyon/Saint-Etienne. Elles se déroulent dans la plus grande discrétion. Nathalie Dompnier, pourtant membre du conseil d’administration, ne sait pas qui participe aux groupes de travail et quelle politique de Lyon 2 y est défendue :
« Tout est obscur. Cela génère nécessairement de l’inquiétude. Car on ne sait pas où l’on va. On sait qu’il est question de transfert de compétences pour les écoles doctorales. Mais on ne connaît pas la stratégie pour Lyon 2. »
La vice-présidente démissionnaire chargée du conseil scientifique précise sur son blog que les quatre vice-présidents ne pouvaient plus exercer leurs responsabilités et ont été marginalisés :
« La communauté Lyon 2 se retrouve aujourd’hui amoindrie par une gouvernance confuse où l’improvisation a pris la place de la concertation et du partage des responsabilités. »
Suite aux démissions de ses vice-présidents, le patron de Lyon 2 semble de plus en plus isolé. Il a repoussé sine die la réunion d’un nouveau « congrès élargi » où il doit dévoiler les orientations pour Lyon 2 concernant la CUE.
Il a même été mis en minorité au conseil d’administration du 22 novembre sur une question d’ordre du jour. Pour l’instant le rectorat ne le lâche pas. Jusqu’à quand ?
Intervention de la police pour évacuer les étudiants le 21 novembre sur le campus des quais.
5. Les CRS à Lyon 2 = AG à 500 étudiants
Face à toutes ces inquiétudes et critiques, le président Jean-Luc Mayaud avait tenté de reprendre la main en convoquant un « congrès élargi » pour « faire un point d’information sur les propositions des groupes de travail concernant la CUE » et pour « sortir de la crise ».
Mais une centaine d’étudiants a envahi les lieux. Le président a appelé la police, qui a arrêté six personnes, dont quatre membres du syndicat FSE.
Ces événements ont eu le don de « booster » le mouvement étudiant. Une semaine plus tard, ils étaient 500 en assemblée générale sur le campus de Bron, alors qu’ils étaient 150 dix jours avant.
D’autres universités sont concernées par un mouvement étudiant naissant : Paris III, Paris VIII ou encore Montpellier III. Une coordination nationale existe, elle est encore balbutiante. Mais sur les réseaux sociaux, l’info des actions est relayée par le hashtag #AustéritéFac.
Ces étudiants grévistes demandent donc, tout simplement, le retrait des lois LRU et Fioraso car, selon eux, ces lois impliquent notamment l’ »austérité budgétaire », et, partant, « la marchandisation du savoir par la volonté d’introduire des partenariats public-privé ».
Pour le moment, le mouvement prend la forme essentiellement de l’occupation d’un amphithéâtre sur le campus de Bron.
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