1er mois à 1€

Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Une quarantaine de boutiques de cigarettes électroniques à Lyon : « une guérilla »

« Il suffit de 30 000€ pour ouvrir une franchise d’e-cigarettes »

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Une quarantaine de boutiques de cigarettes électroniques à Lyon : « une guérilla »

Pas une balade dans les rues de Lyon sans tomber sur une boutique de cigarettes électroniques aux noms souvent exotiques. Mais alors que de nombreux magasins ouvrent encore aujourd’hui, d’autres se voient déjà obligés de mettre la clé sous la porte.

Embouts de cigarettes électroniques, à AIRisSWEET, rue de la monnaie. © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

On ne fume plus, on vapote. Difficile de passer à côté de ce phénomène. Aujourd’hui, la ville entière (ou presque) est quadrillée par ce marché qui semble bien prospère : pas moins de 38 commerces d’e-cigarettes ont déjà ouvert leurs portes depuis avril 2012.

En juin dernier, ces boutiques se comptaient encore sur les doigts de la main. Mais depuis cet été, chaque semaine voit arriver une nouvelle boutique à Lyon.

 

Et ce n’est pas qu’un feu de paille. Au moins trois nouveaux magasins doivent ouvrir dans les jours ou les semaines qui viennent :

  • Un nouveau J Well à la Croix-Rousse début décembre,
  • un nouveau Cigachic à Lyon 4 également,
  • et un nouveau E-Cigtop dans l’Ouest Lyonnais d’ici janvier 2014.

Plusieurs gérants de magasins nous ont également confié avoir pour projet d’ouvrir une autre boutique à Lyon courant 2014. Notamment B&G Clop’Store, dont les gérants préfèrent pour l’instant rester discrets sur le lieu et la date.

 

Il faut dire que pour monter un commerce de cigarettes électroniques, pas besoin d’un investissement très conséquent. C’est en tout cas ce que nous expliquent Maxime et Jean-Philippe, les jeunes associés de Steam Lounge, une boutique située quai Saint Vincent qui a ouvert ses portes le 26 octobre dernier :

«  On voulait monter un commerce depuis longtemps, alors on a pensé à la cigarette électronique parce que ça demande peu d’investissements comparé à une autre structure. Il suffit de trouver un local, d’acheter quelques meubles et puis de se créer un stock assez réduit. Cinq ou six produits différents suffisent largement pour faire tourner un magasin de cigarettes électroniques. »

La responsable d’E-Cigtop, Emmanuelle Jaquelin le confirme, « ça n’est pas comme ouvrir un Subway » :

« Il suffit par exemple de 30 000€ pour ouvrir une franchise de cigarette électronique : 5 à 10 000€ pour les droits d’entrée, et le reste pour l’immobilier et le stock. »

 

Se démarquer des autres, le nouvel enjeu

Certains magasins spécialisés font d’ailleurs bien vides. Peu de décoration, un ou deux présentoirs, un ou deux sièges, et le tour est joué.

On peut toutefois noter une boutique à Lyon qui sort du lot de ce point de vue là, c’est Histoire de vapoter, près de la gare Saint-Paul.

Les bocaux d’Histoire de vapoter. © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

Une vieille caisse enregistreuse, un porte-manteau vintage, de vieilles affiches publicitaires placardées au mur, des bocaux de grand-mère pour présenter les différents arômes… En misant sur une déco rétro, la gérante de la boutique, Laetitia Flori, espère se démarquer.
« La cigarette électronique n’est pas un effet de mode »

Peu d’investissements pour un produit qui se vend aujourd’hui comme des petits pains. Sans dévoiler de chiffres, les jeunes associés de Steam Lounge assurent, après quatre jours d’ouverture, être au-dessus de leurs prévisions. C’est ce qu’on pourrait appeler une recette miracle. Et pour certains de ces commerçants, c’en est bien une.

« C’est vraiment un marché porteur, tout simplement parce que la cigarette électronique pour arrêter de fumer, ça marche, affirme Ersoy Duran, le vendeur de Vap’Elec à Charpennes. »

Et il n’est pas le seul à y croire. Pour Grégoire Chambre, l’un des deux gérants de B&G Clop’Store, « la cigarette électronique n’est pas un effet de mode » :

« Ce n’est pas la mode de l’année et l’année prochaine on passera à autre chose.  Il y a des fumeurs qui passent au vapotage et qui n’ont aucun intérêt à retourner vers la cigarette ensuite. »

Souffle retrouvé, teint grisâtre oublié, goût ravivé… Quand pour les convaincus, la cigarette électronique est bénéfique pour la santé et le porte-monnaie, pour les plus sceptiques, elle a au moins le mérite de « supprimer les cigarettes superflues », comme nous l’expliquent Amaury et Brigitte, un couple de clients, encore un brin méfiants vis-à-vis de ce produit. Fini la clope qu’on allume pour passer le temps en attendant son bus ou son rencart.

À Histoire de vapoter, c’est d’ailleurs le sevrage qu’on assure viser en premier lieu :

« Vapoter pour vapoter, ça n’est pas mon objectif. Je travaille plutôt en mode sevrage. Je ne vends pas de modèle high-tech par exemple », assure Laetitia Flori.

 

Entre 120 000 et 200 000€ de chiffre d’affaires annuel

Si la cigarette électronique semble être efficace pour arrêter de fumer, ce qui est sûre c’est qu’elle fonctionne aussi d’un point de vue marchand. Selon un rapport de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT) publié en mai dernier, les boutiques spécialisées en cigarette électronique réalisent entre 120 000 et 200 000€ de chiffre d’affaires annuel.

La boutique J Well, cours Gambetta à Lyon. © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

À Lyon, Dov Chouraqui, le gérant du magasin J Well situé cours Gambetta, nous a confié réaliser entre 8 000 et 15 000€ de chiffre d’affaires par mois. Un rapide calcul et on constate que cette fourchette correspond bien aux chiffres avancés par l’OFT.

« La boutique n’est ouverte que depuis deux mois, tient à préciser Dov Chouraqui. Mais il ne faut pas se mentir, si on a ouvert, c’est parce qu’il y a un business intéressant derrière la e-cigarette ».

Pour le gérant de Vap’Elec, qui, de son côté, a refusé de nous dévoiler ses chiffres, « par 8 000 à 15 000€, il faut en fait comprendre 25 000€ » :

« Ça ne m’étonnerait pas que mon confrère ait minimisé ses chiffres. Moi je ne préfère pas donner de chiffre. Pas maintenant. On est sur la sellette. On est surveillés par les lobbies du tabac qui n’ont pas vu venir le succès de ce produit et par l’Etat qui perd de l’argent en perdant le marché de la cigarette électronique. »

Une crainte fondée puisque la Sécu prévoit cette année une chute des recettes liées au tabac à 10,98 milliards d’euros contre 11,13 milliards en 2012, soit un manque à gagner pour l’Etat français d’un demi-milliard d’euros. La France pourrait donc rapidement suivre l’exemple de Italie qui prévoit de taxer les e-cigarettes et les recharges e-liquide au même taux que le tabac à partir du 1er janvier prochain.

Sur la dizaine de boutiques que nous sommes allés voir, seuls deux gérants ont donc accepté de nous parler du chiffre d’affaires. Après J Well, c’est E-Cigtop qui n’a pas rechigné à égrener ses chiffres… Mais en les donnant de manière détournée :

« C’est surtout en terme de nombre de clients qu’il faut parler. Nous avons en moyenne 90 clients par jour et le panier moyen d’un client s’élève à 35€. Mais ça reste une moyenne », souligne la gérante, Emmanuelle Jaquelin, prudente.

Soit un chiffre d’affaires mensuel estimé à environ 81 900€ si on calcule sur 26 jours d’ouverture par mois (dimanches exclus).

La boutique E-Cigtop, avenue Jean Jaurès à Lyon. © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

 

« Pendant un an, nous nous sommes faits des couilles en or »

« Aujourd’hui, on ressent forcément la concurrence, ajoute Emmanuelle Jaquelin. Pendant un an, nous nous sommes entre guillemets faits des couilles en or. Et maintenant que d’autres boutiques arrivent dans le quartier, lorsque nous sommes en rupture de stock, les clients vont voir ailleurs. Avant, ils patientaient et revenaient nous voir la semaine suivante. »

Une concurrence que regrette la responsable d’E-Cigtop, car « si on se serrait les coudes, on se ferait moins massacrer par l’industrie du tabac ».

Et d’ajouter, pour relativiser :

« Bon, le chiffre d’affaires n’a pas non plus baissé de moitié. Et puis la concurrence n’est pas la seule explication à ce léger ralentissement d’activité. Ce sont les médias qui nous ont fait le plus de mal cet été avec tous les débats autour de la cigarette électronique. Il y a des clients que nous n’avons pas vus de tout l’été et qui sont revenus à la rentrée en avouant qu’ils avaient arrêté pendant les vacances à cause de ça. Mais depuis début octobre, l’activité reprend. »

Elle n’est pas la seule à avoir ressenti l’effet de ces débats sur les dangers de vapoter. À Foch Vapote aussi, on en a fait les frais, comme nous l’explique le vendeur, qui préfère rester anonyme :

« Nous avons ouvert à la mi-août. Les trois premières semaines, ça a bien marché et après, le vote au Parlement européen sur la vente en pharmacie a ralenti les affaires. Ensuite, ça a repris pendant une petite semaine et là, avec les vacances de la Toussaint, ça ralentit à nouveau. On espère qu’à noël la cigarette électronique sera l’un des cadeaux tendance à mettre sous le sapin. »

 

Des quartiers déjà saturés de boutiques d’e-cigarettes

Il faut dire que dans un quartier comme celui des Brotteaux, pas moins de huit boutiques se disputent le marché de la e-cigarette. Sans compter les quatre magasins situés un peu plus bas, cours Lafayette.

Les différentes recharges e-liquide à J Well © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

L’une de ces boutiques risque d’ailleurs de mettre la clé sous la porte dans les semaines qui viennent : « Nous sommes trop nombreux dans le quartier, alors nous ne sommes pas sûrs de rester. » La boutique avait ouvert ses portes seulement trois semaines avant que nous passions la visiter. C’était fin octobre.

Malgré leurs études de marché préalables à l’ouverture, tous ces magasins ont été inaugurés à quelques jours ou semaines d’intervalle, sans se concerter. Ils se retrouvent donc avec davantage de concurrents qu’ils l’avaient imaginé.

« Premier arrivé, premier servi, confirme Ersoy Duran de Vap’Elec. Une fois que le feu de paille aura fini de prendre, les dernières boutiques qui ont ouvert vont avoir du mal à subsister. Les clients vont dans le premier magasin qui ouvre dans leur quartier et lui restent fidèle en général. »

Ce dernier est d’ailleurs bien étonné du nombre de boutiques d’e-cigarettes à Lyon :

« Une quarantaine ? Je pensais une dizaine tout au plus ! Il va falloir que j’appelle mes collègues pour leur dire de se dépêcher pour ouvrir la deuxième boutique ! »

 

La sélection naturelle en marche

C’est plus sûr en effet… Car certains magasins lyonnais se sont vus contraints de fermer boutique. Déjà. C’est le cas par exemple de Free-Clop, à la Guillotière. Inauguré en mai dernier au 8 cours Gambetta, il a dû mettre la clé sous la porte trois plus tard. Pas étonnant pour Grégoire Chambre, l’un des deux gérants de B&G Clop’Store :

« Ce n’était visiblement pas son truc la cigarette électronique. Le responsable du magasin était le gérant de trois ou quatre des boutiques de téléphonies de la Guillotière. La cigarette électronique n’était pas son activité première. Et les clients n’étaient pas satisfaits du service offert par les vendeurs qui ne connaissaient pas bien les produits. »

La reprise à l’identique du logo de l’opérateur Free pour sa propre enseigne n’est peut-être pas non plus étrangère à la fermeture de cette boutique.

Selon Grégoire Chambre, au moins deux autres boutiques spécialisées seraient en difficulté à Lyon : une dans le 3e et une dans le 6e arrondissement.

 

À Lyon, moitié boutiques indépendantes, moitié franchises

Même si les vendeurs de cigarettes électroniques sont persuadés qu’il s’agit d’un produit d’avenir, ils ne sont donc pas dupes : « les meilleurs vont rester et les autres seront forcés de partir », poursuit Grégoire Chambre. Et dans cette sélection naturelle, les franchises auront plus de chance une fois le boom de la cigarette électronique passé. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que 55% des boutiques lyonnaises d’e-cigarettes sont des franchises ou des magasins sous licence, comme le souligne Dov Chouraqui, de J Well :

« Choisir la franchise, ça apporte un nom et un packaging. On profite de la notoriété de la marque et de sa communication. »

Les magasins sous licence Cigachic, comme Vap’ Heur Moi, Vitton Clop’ ou encore Ciga-Light, sont quant à eux plus indépendants que les franchises : Cigachic s’occupe de la communication de ces boutiques (flyers, marquage des vitrines, cartes de visite) et leur  fournit les liquides, mais n’impose pas de nom et de minimum de commandes.

La boutique B&G Clop’Store, rue Paul Chenavard à Lyon © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

Mais pour d’autres, comme B&G Clop’Store, pas besoin d’une marque pour exister :

« Nous sommes nous-mêmes consommateurs de cigarette électronique. Donc nous connaissons le produit, nous n’avons pas besoin d’être formés, nous sommes autonomes. »

De son côté, Laetitia Flori, gérante d’Histoire de vapoter, a préféré l’indépendance à la franchise ou même à la licence pour avoir la possibilité de choisir ses produits :

« Au départ, j’étais partie pour ouvrir un J Well. Mais finalement, j’ai laissé tomber l’idée de la franchise parce que je voulais vendre des liquides 100% naturels. À J Well, ils disent que leurs produits sont fabriqués en France, mais à mon avis c’est du reconditionnement. »

Laetitia Flori s’est donc tournée vers d’autres liquides qu’elle affirme être « la seule à Lyon à vendre ces liquides. »

 

« Si le vent tourne, on changera de produit »

Bien consciente qu’elle prend un risque supplémentaire en s’éloignant des sentiers battus, elle n’est pourtant pas inquiète :

« À un moment, c’est sûr, on va arriver à saturation. On sera trop nombreux, ça va être la guérilla. Mais je m’en moque parce que je suis propriétaire du local de la boutique et je n’ai pas acheté le fonds de commerce. »

Laetitia Flori à Histoire de vapoter © Lucile Jeanniard/Rue89Lyon

Et cette mère de trois enfants tient une idée pour développer son business : mettre en place des réunions Tupperware de cigarettes électroniques.
Car si Laetitia Flori s’est lancé dans la cigarette électronique, ça n’est pas tant pour le produit en lui-même :

« Je voulais tenir un commerce, comme je le faisais avant de me consacrer à mes enfants. Alors j’ai pensé à la cigarette électronique comme c’est un produit qui marche bien en ce moment. Si un jour ça ne marche plus, ou bien si les boutiques d’e-cigarettes sont obligées de fermer, je pourrai sans problème vendre autre chose.»

Même aplomb du côté de Steam Lounge.

« On sait où on va, tout est prévu. On a déjà réfléchi à ce qu’on pourrait faire d’autre si le vent tourne. On changera de produit. »

Pour Emmanuelle Jaquelin d’E-Cigtop, c’est le 9 décembre prochain que le vent pourrait tourner. Ce jour-là, la justice rendra son verdict quant à la plainte d’un buraliste toulousain à l’encontre d’une boutique d’e-cigarettes. Motif de la plainte ? L’ouverture de ce magasin d’e-cigarettes à deux pas de son tabac. « Ce sera décisif pour notre avenir. »


#Cigarette électronique

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Autres mots-clés :

#Cigarette électronique#Commerce#Économie#Santé
Partager
Plus d'options