Jeudi soir. Au fin fond du 3e arrondissement de Lyon, une petite bande de bricoleurs s’affaire dans des locaux construits en bois nichés au coeur une friche industrielle.
Tous les 15 jours, au « FabLab » de Lyon, sont organisées des réunions atypiques : celles du « laboratoire d’obsolescence déprogrammée » (LOD). Ici, on ramène ses objets électroménagers cassés ou obsolètes, on les répare et, surtout, on les transforme au lieu de les jeter. Une « ressourcerie » permet de stocker les trésors et pièces détachées.
Alors que d’habitude, les ateliers réunissent une dizaine de personnes, ce jour-là, soir d’Halloween et veille de grand week-end férié, ils ne sont que deux : Dimitri, bénévole de l’association et Luc, adhérent depuis quelques mois.
Dimitri et Luc en pleine réflexion. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
« On ne fait pas avancer la science mais on expérimente »
Luc et Dimitri réfléchissent à l’amélioration de leur projet actuel : la construction d’une thermoformeuse (une machine qui forme des objets en plastique en les chauffant) à partir d’un vieux grille-pain. Ils en sont à la seconde version, qu’ils améliorent à chaque fois :
« On travaille par itération », explique Dimitri.
A tout juste 25 ans, cet étudiant en sociologie s’était lancé dans un projet de recherche sur les « FabLabs », avant de se laisser embarquer dans l’aventure, d’abandonner son sujet de mémoire et de devenir l’un des quatre bénévoles de l’association.
Luc, un bricoleur passionné, qui depuis des années « s’amuse à démonter des objets électroménagers pour en comprendre le fonctionnement » a ramené une vieille console Sega Megadrive 2. Elle marche. Mais comme il ne s’en sert pas, Dimitri et lui se lancent dans une réflexion sur sa transformation. Après être allés voir ce qu’il était possible de faire sur internet, les deux compères décident finalement d’en faire une console « bending ». Autrement dit, une console psychédélique, qui par une modification de la mémoire produit des sons et des images non prévues par la console. Certes, l’utilité reste limitée, reconnaît Dimitri :
« On n’est pas obligés de faire des choses utiles. Par exemple, le grille-pain, on a hésité à le transformer pour qu’il reproduise des dessins sur les tranches de pain… On ne fait pas avancer la science mais on expérimente. »
Ici, on n’a pas peur d’expérimenter, se tromper et recommencer, expliquent Théo et Stéphane. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Lutter contre « l’obsolescence programmée »
Ici, « on essaie de créer l’envie de réparer » explique Dimitri :
« Le problème c’est que les commerçants, la plupart du temps disent que ça ne vaut pas le coup de réparer. Et puis, quelqu’un qui casse sa machine à café, il ne veut pas attendre une semaine qu’elle soit réparée. Il préfère en racheter une. Surtout que ça coute dans les 30 euros ».
Depuis sa mise en place, le LOD essaie de sensibiliser, avec pédagogie, à la notion d’obsolescence programmée, c’est-à-dire au système mis en place par certains industriels afin de limiter la durée de vie des produits. Une question pas si facile à aborder dans notre société actuelle, estime Dimitri.
« Prêt à jeter ou l’obsolescence programmée », un reportage d’Arte diffusé en 2011.
Les « FabLabs » vont-ils remplacer l’industrie ?
Dans un premier temps, « on crame plus de choses qu’on en répare au final », explique toutefois Dimitri. L’idée est plutôt de chercher à comprendre le fonctionnement des choses :
« On essaie de démonter la boite noire. En général, les gens viennent ici pour réparer quelque chose et ils repartent en ayant compris comment ça marche. »
Petit à petit, collectivement, le groupe a pour objectif de développer des méthodes de réparation de plus en plus efficaces. Mais certainement pas les mêmes que celles enseignées dans les écoles :
« Ce qui est intéressant dans le LOD c’est de développer des techniques qu’on repère, à force, par l’expérimentation, estime Dimitri. On ne travaille pas comme dans les laboratoires de recherche et développement. On n’a pas tous les savoirs et tous les outils, notamment pour tester si une pièce marche. Du coup, on travaille beaucoup avec les sens : le toucher, l’odorat, la vue… »
Un exemple de réalisation : ce pot à crayon réalisé avec un minimum de découpes, grâce à un système de pliures gravées à la découpe laser. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Et ici, la débrouille prime sur la rentabilité, ajoute-t-il :
« L’idée est de développer et de recenser des techniques d’analyse et de transformation, des techniques qui ne seraient pas possible en entreprise parce qu’il y a un impératif de rentabilité. Comme un youtuber ne va pas développer ses chroniques de la même manière qu’un présentateur TV, parce qu’il n’a pas fait de formation. Mais au final ça donne lieu à de nouveaux formats tout aussi intéressants. »
Le parallèle avec Youtube, Dimitri y tient tout particulièrement. Il y voit la raison d’être de la « Fabrique d’objets libres » : « populariser le rapport à l’objet, comme Youtube a popularisé le rapport à la vidéo ».
De là à dire que les « FabLabs » vont remplacer les industriels, il n’y a qu’un pas, estime Théo, un autre des quatre bénévoles de l’association :
« L’utopie des FabLabs consiste à penser que ce sont des lieux de productions qui vont remplacer l’industrie. On aimerait que ce ne soit pas une utopie. Mais en fait, il y a beaucoup de contraintes. Déjà, on ne peut pas produire à la chaine. Nous ce qui nous intéresse au final, c’est de se réapproprier l’utilisation et la conception de l’objet.
Collaboration et licence libre
Pour cela, et dans tous les ateliers du « FabLab » de Lyon, le travail collectif est imposé. Ici, au phénomène à la mode du « Do It Yourself », on ajoute le « Do It With Others ». Même si cela n’est pas toujours facile à comprendre pour tous les adhérents. Certains avouent être plus des « solitaires ».
Les bénévoles de l’association sont conscients de cette difficulté. Mais ils cherchent à faire évoluer les mentalités. Sur ça et sur le fait que l’association impose le partage des procédés de création d’un objet. Dans un « FabLab », toute production se fait sous licence libre et est diffusée sur le web. Théo, bénévole de l’association et par ailleurs designer produits, met un point d’honneur sur ce principe :
« La notion de partage est vraiment centrale. Parfois, les gens ne comprennent pas. Certains cherchent à protéger leurs objets. Mais, comme on leur explique, déposer un brevet coûte très cher. Et finalement, les placer sous licence libre protège d’une réappropriation par les industriels. »
La licence libre évite en effet une appropriation marchande de l’objet créé et favorise sa diffusion et son amélioration. Et ce, presque partout dans le monde, puisque tout transite par internet avec des sites spécialisés qui répertorient tous les objets réalisés en licence libre dans les différents « FabLabs ».
« 3D le journal » sur les FabLabs, diffusé le dimanche 25 novembre 2013 sur France Inter.
Au fondement des « FabLabs » : l’imprimante 3D
L’association lyonnaise a été créée en mars 2012, par une bande de quelques copains rassemblés autour de l’un d’eux, qui venait de s’acheter une imprimante 3D. Pour ceux qui ne connaitraient pas, il s’agit de l’objet techno à la mode ces dernières années, qui permet, comme son nom l’indique, d’imprimer des objets en 3D, grâce à du plastique fondu. L’imprimante 3D est intrinsèquement liée aux « Fablabs », qui, quasiment tous, en possèdent une.
Dimitri, alias M. Bidouille explique le fonctionnement d’une imprimante 3D.
« Aux Etats-Unis, les FabLabs touchent un public de spécialistes »
La Fabrique d’objets libres de Lyon s’inscrit dans la lignée des « FabLabs », nés d’abord aux Etats-Unis. Elle adhère aux principes de la charte du MIT : utilisation d’un set de machines, ouverture à tous, collaboration, partage… Mais pour Dimitri, il y a de grosses différences de mentalité entre les « Fablabs » américains et la Fabrique d’Objets Libres :
« La-bas, ça s’adresse à un public de spécialistes. Et il y a vraiment l’idée de la performance. En France, on essaie d’être plus dans le concret et de toucher un public plus large. »
Le concret, c’est vraiment le leitmotiv du « FabLab » de Lyon, comme l’explique Théo :
« On a envie d’avancer sur l’utilité sociale des « FabLabs ». On essaie de rester ancrer dans des thématiques de société. C’est une thématique qui traverse, dans des proportions variables, les différents « FabLabs ». A Lyon, on veut vraiment en faire notre marque de fabrique. C’est pour cette raison qu’on travaille beaucoup avec des structures extérieures. »
L’imprimante 3D du « FabLab ». © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Hôpitaux, bibliothèques, musées, écoles… « Rester ancré dans la société »
En effet, même si les membres du « Fablab » de Lyon peuvent passer pour des savants fous, ils essaient de garder les deux pieds dans la réalité, en nouant de nombreux partenariats et collaborations. Par exemple, dans le cadre de l’atelier « Handilab », un « fil rouge » de la Fabrique d’Objets Libres, ils travaillent actuellement avec des infirmières et médecins à la création d’un masque de ventilation non-invasive pour les Hospices Civils de Lyon (HCL) et l’hôpital femme-mère-enfant.
Il y a quelques mois, ils avaient réalisé, avec une association de mal-voyants, un plan tactile.
Le plan en braille réalisé pour Fest’Dif, le festival de la différence et de la diversité à Villeurbanne. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Tous les mercredis après-midi, la Fabrique d’Objets Libres organise des « temps libres » à la MJC de Bron, qui leur prête les locaux et un peu de matériel, en échange d’ateliers « débrouille » pour les adhérents de la MJC. Le « FabLab » travaille aussi avec les bibliothèques municipales, des écoles, des musées, des entreprises…
C’est notamment par ce biais, en dehors de la centaine d’adhésion et des subventions de la Région, que le FabLab se finance, explique Stéphane, le président de l’association, par ailleurs formateur en informatique.
« Pas seulement des geeks »
Un mercredi après-midi, lors de l’un des ateliers « temps libre », Samuel, l’un des co-fondateurs de l’association, parti depuis dans une autre ville, est de passage à la MJC de Bron. Pour lui, la spécificité du « FabLab » de Lyon, son ancrage dans la société, s’explique aussi par son histoire :
« Au début on s’était installés à la friche Lamartine où on ne pouvait pas accueillir de public. C’était un sacré frein, ce qui fait qu’on n’est pas resté longtemps. Mais dans un premier temps, ça nous a obligés à organiser beaucoup d’évènements à l’extérieur. »
Samuel, Théo et Dimitri, lors d’un atelier « temps libre » à la MJC de Bron. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Un fonctionnement que lui et ses successeurs ont voulu garder par la suite, explique Théo :
« C’est ce qui nous intéresse par exemple dans le partenariat avec la MJC. Il y a beaucoup de gens qui arrivent par ce biais qui ne seraient pas venus d’eux-mêmes dans un « FabLab ». Du coup, on a vraiment des profils très divers. Il n’y a pas seulement des geeks. Il y a des retraités, des ingénieurs, des étudiants, des artistes, des bricoleurs… »
Très divers ? Pas tant que ça. En effet, dans l’association, la gent féminine tend à manquer. Ici, la majorité des adhérents sont des hommes, reconnaît Dimitri :
« C’est un grand problème. On aimerait dépasser ce clivage sexiste qui dit que le bricolage, la fabrication, ce n’est pas pour les filles. En même temps, je ne suis pas non plus pour qu’on fasse un atelier couture pour les attirer. »
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