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CRS à Lyon 2 : le témoignage d’un étudiant contestataire

Les violents incidents de jeudi à l’université Lyon 2 ont suscité de nombreuses réactions du côté de l’institution (présidence de la fac, ministre de l’Enseignement supérieur) par voix de communiqué de presse. Sur les réseaux sociaux, de nombreux étudiants donnent une autre version des faits.

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CRS-Lyon2


Nous publions le témoignage, sous couvert d’anonymat d’un étudiant de 23 ans inscrit en master qui a participé à l’envahissement du « congrès élargi ». Chargé de TD dans cette même université et salarié par ailleurs. S’il participe à de nombreux mouvements sociaux, il dit ne faire partie d’aucune organisation politique ou syndicale.

CRS-Lyon2J’étais au rassemblement organisé pour protester contre les orientations de la présidence de l’université. Environ une centaine de personnes était présente devant le Grand Amphi de Lyon 2 pour s’inviter au « congres exceptionnel » organisé par le président.
Dans un premier temps, les agents hygiène et sécurité nous ont informé que le président acceptait que nous participions à ce congrès, à ma grande surprise je dois bien l’avouer.

Cependant et au bout d’un certain temps d’attente, nous avons vite compris que ce n’était qu’une stratégie pour nous faire patienter, et nous empêcher de pénétrer dans l’amphi. Nous avons donc pris la décision de rentrer dans cet amphi. Il y a eu effectivement une bousculade à ce moment là compte-tenu du fait qu’une centaine de personne tentait d’entrer par une porte devant laquelle se trouvait les agents hygiène et sécurité.

Précisons ici que ces personnes sont des agents contractuels payés une misère. Lors des mouvements sociaux, les présidents les utilisent souvent afin d’empêcher des rassemblements d’avoir lieu comme c’était le cas hier. Évidemment cela ne fait pas partie de leur métier et il n’est pas indiqué dans leur contrat qu’ils sont employés pour de telles tâches. Toujours est-il que c’est ainsi que la présidence les utilisent.

 

Bousculade et agent qui boite

Il y a donc eu une bousculade et j’ai aperçu un des agents qui boitait légèrement. Il est indiqué dans Tribune de Lyon qu’il a été transporté « en urgence » à l’hôpital pour « un grave problème au genou ». Nous en étions au début de l’action, il était environ 12h30. À 14h30, lorsque les policiers sont entrés dans l’établissement, cet agent était toujours là, toujours avec nous et en service, pour nous empêcher d’accéder à une autre porte.

Difficile de croire cette version officielle donc, puisqu’il s’est rendu à l’hôpital près de trois heures après, qu’il a continué d’exercer sa fonction jusqu’ici, et que nous avons entendu quelqu’un lui demander d’aller à l’hôpital afin qu’il puisse porter plainte. C’est le seul agent à ma connaissance qui aurait été « blessé ». Les médias et la présidence indiquent le nombre de 5 blessés, soit le nombre d’agent qui étaient présents ce jour là. Le président (qui n’est pourtant pas sorti de son bureau) fait état quant à lui de « violences inacceptables », de « brutales intimidations » et de « coups volontaires »…

 

Occupation de l’amphi

Une fois dans l’amphi, nous avons pris place dans celui-ci et nous avons patienté jusqu’à ce que le congrès commence. L’amphi était également rempli de la plupart des profs élus au conseil d’administration. Après une trentaine de minutes d’attente, un des responsables administratifs de l’université est rentré et a demandé aux élus de s’en aller en leur précisant qu’ils communiqueront une autre salle dans un autre lieu, afin que la réunion puisse se tenir sans nous.

Précisons ici qu’à aucun moment le président ou ne serait-ce qu’un membre de l’équipe présidentielle n’est venu s’exprimer devant nous ou chercher à savoir quelles étaient nos revendications. Les seuls « interlocuteurs » que nous avons eu pendant cette action étaient les agents hygiène et sécurité (puis les CRS !). Voilà une conception assez particulière du débat pour quelqu’un nous accusant dans son mail de « pratiques antidémocratiques »…

Toujours est-il que nous avons donc quitté nous aussi l’amphi, et c’est à ce moment là que nous sommes accusés d’avoir volé un micro (2 micros selon les médias). Personnellement je n’ai pas vu ce micro en entrant dans la salle et j’ai des doutes sur le fait qu’il y en ait eu vraiment un.

 

Escortés par des agents de sécurité

Nous nous sommes donc retrouvés dans la cour. J’ai discuté avec certains profs. Ils font partis d’une liste opposée au président actuel mais sont très minoritaires (Jean-Luc Mayaud a effectivement était élu président de l’université à 17 voix contre 5). Ils ont refusé pour leur part d’aller au second lieu de réunion, escortés par des agents de sécurité.

On a vu alors certains profs (plutôt proches du président) se diriger discrètement et un par un dans son bureau. Le président de l’université a fait monter des doyens ainsi que des représentants syndicaux dans le bureau où il s’est calfeutré, sans leur dire pourquoi, ce qui lui permet d’écrire dans son mail envoyé vendredi matin :

« Prenant acte d’une situation de grande insécurité des personnes, avec l’équipe présidentielle, j’ai rassemblé  en urgence pour une courte réunion des représentants syndicaux de toutes sensibilités »

 

Une porte forcée mais pas cassée en deux

Nous avons repéré ce manège et nous avons décidé de nous inviter nous aussi à cette réunion VIP. C’est à ce moment là que nous avons forcé une des portes. Elle n’est pas cassée en deux, il a suffit de tirer dessus (assez fortement certes) pour qu’elle s’ouvre. Un élément magnétique a donc peut-être été endommagé mais c’est à ma connaissance le seul dégât matériel de cette action.

Nous sommes donc montés par un escalier pour arriver devant une porte verrouillée devant laquelle sont disposés les agents de sécurité (dont celui « gravement atteint transporté en urgence » à l’hôpital…). « Nous » ? Non pas des « étudiants dirigés par la FSE » comme le précise le mail de la présidence de ce vendredi matin mais des gens déjà présents à l’AG du mardi précédent qui avait réuni environ 150 personnes.

Des gens de la FSE certes, mais aussi du Parti de gauche, de l’Union des Étudiants Communistes (UEC) et aussi beaucoup de non-encartés comme moi ou deux de mes potes en doctorat qui ne font pas partie d’un syndicat. Il y avait aussi des profs ou encore des représentants du personnel de la fac (BITAOS). Nous avons fait une Assemblée Générale devant ces portes, durant laquelle des étudiants, des syndiqués, des profs et des représentants du personnel ont pris la parole pour dénoncer la politique actuelle de l’Université.

Des personnes de toutes sensibilités politiques ont pris la parole pendant cette AG. Et les profs ont eux-aussi largement pris la parole. Donc cela n’était pas une réunion des « méchants gauchistes terroristes de la FSE ».

 

Coup de sifflet et CRS qui déboulent

Nous étions assis par terre et calmes, respectant les tours de parole habituels en AG de 3 minutes par personne. Une heure après, les informations ont commencé à nous parvenir sur la présence de policiers aux abords de l’établissement.

Avant la fin de l’AG, un coup de sifflet a retenti en bas de l’escalier nous donnant l’ordre de sortir. Les portes devant lesquelles nous attendions se sont enfin ouvertes… sur plus d’une dizaine de CRS en armure. Le commissaire, orné d’une écharpe tricolore, a donné trois coups de sifflets :

« Je vous ordonne au nom de la loi de quitter les lieux. À partir de maintenant les CRS sont autorisés à vous charger ».

De l’étage au-dessus de nous, une dizaine d’autres CRS sont arrivés. Autrement dit, il y en avait partout, en haut, en face et en bas. Nous avons quitté les lieux dans un calme relatif. A vrai dire, à ce moment-là, on a surtout peur de ce qui aurait pu nous arriver. Nous sommes descendus dans la cours de l’université. Les 30 CRS ont été rejoints par 20 flics en civil. Je suis parvenu à rejoindre les profs qui étaient avec nous mais qui ont été épargnés par les flics.

 

Arrestations

Quelqu’un m’indique que les policiers ont pointé du doigt les personnes qu’ils allaient arrêter et que toutes étaient syndiquées à la FSE (on apprendra plus tard qu’en fait 6 personnes ont été arrêtées dont 4 de la FSE).

Quelques instants plus tard, peu après que je me sois extrait du groupe, celui-ci a été brutalement dirigé vers la sortie de l’université. Par groupes de trois, les étudiants sont tous relâchés. Tous sauf 4 qui, au moment de sortir, sont pris par les flics, jetés à terre, immobilisés à plat ventre, menottés dans le dos, puis embarqués (deux autres personnes sont poursuivies dans les rues adjacentes puis arrêtées, mais nous ne le savons pas encore).

Ces quatre personnes sont tous à la FSE et ont toutes pour points communs de s’être levés tous les matins depuis la semaine dernière pour être présents à partir de 7h30 dans la fac pour distribuer des tracts et tenter de mobiliser sur cette action. Elles se sont toutes mobilisées pendant cette semaine pour faire entendre ce qu’il se passe actuellement à l’Université.

6000 tracts ont été distribués et jeudi nous étions à peine 100. Il est évident que si nous avions été 250, 300, 500 le rapport de force n’aurait pas été le même et la présidence et les médias peineraient à nous faire passer pour une minorité de l’ultra-gauche terroriste contre la démocratie. Les six copains ont passé la nuit en garde à vue et la présidence de l’université porte plainte, notamment pour coups et blessures.

 

Une précision : les CRS ont interdiction de pénétrer dans une université

Il convient d’indiquer ici un élément important : les CRS ont interdiction de pénétrer dans une université, sauf sur ordre du président. La dernière fois que j’ai vu des CRS rentrer dans une fac c’était pendant ma L1 et la fac était bloquée. Hier nous en étions au début du mouvement, et ce n’est pas un acte anodin que d’avoir fait rentrer les CRS pour nous déloger.

Tout cela intervient dans un contexte très particulier puisque 3 vice-présidents de l’université ont démissionné parce qu’ils sont en désaccord avec les orientations de la présidence. Des vices-présidents ! Il n’y a donc pas que les « méchants terroristes de la FSE » qui trouvent qu’il y a des problèmes…

 

Application des lois LRU = privatisation

Actuellement sont appliquées les lois LRU dites d’autonomisation des universités. Privatisation serait un mot plus juste, mais autonomisation ça fait moins peur puisque « l’autonomie, c’est bien ». Basiquement la concrétisation de cette privatisation est que des capitaux privés peuvent financer des cursus universitaires. Ce qui peut très bien marcher pour des ingénieurs ou des étudiants en médecine : on peut trouver des industries pharmaceutiques qui ne rechigneront pas à financer des cursus pour avoir un vivier à disposition qu’ils peuvent recruter.

En revanche, allez trouver une entreprise qui financera des étudiants en anthropologie ? En sciences humaines ? En science po, en info-com… À ces inégalités entre filières s’ajoutent des inégalités territoriales : Paris Sorbonne ou Dauphine attireront très certainement des investisseurs. Mais allez trouver des investisseurs qui financeront la fac d’Angers ! À l’heure actuelle, l’Université de Béziers est ainsi contrainte de fermer ses portes. De plus en plus de filières ferment. Des postes de profs sont supprimés et les accès au licence restreints (combien de licences réservées aux étudiants de Rhône-Alpes ?).

À Lyon, le président de l’université à dans l’idée de nous faire intégrer une sorte de « super-université ». Fini Lyon I, Lyon II, Lyon III et Saint-Etienne : tout cela ne sera plus qu’une superfac. Le but ? Supprimer tous les doublons. Les postes par exemple, autrement dit, il n’y aurait désormais qu’un seul responsable des échanges internationaux pour les 4 campus. Mais on peut aussi imaginer à long terme que les cursus « en double » soient réunis dans un seul des campus. Lyon II et Lyon III perdront par exemple leurs spécificités pédagogiques et de recherche.

De nombreuses facs se bougent en ce moment, et tout cela est la concrétisation de ces lois LRU. Les récentes lois Fioraso du gouvernement socialiste n’ont pour autre objectif que d’accentuer ce mouvement vers la privatisation.

 

Naître dans un mauvais endroit

Le risque de tout ça c’est qu’à long terme, la personne qui est né au mauvais endroit et qui n’a pas de fac dans sa ville sera obligée d’intégrer une université de sa région (nombreux accès en L1 réservés aux étudiants de Rhône-Alpes à Lyon 2).

Que s’il veut faire médecine ou droit, il trouvera des industries pharmaceutiques ou des cabinets d’avocats qui auront financé des salles, des profs, du matériel, tout ce qui fait de bonnes conditions d’enseignement.

Mais si, par malheur pour lui, il veut faire une licence où on acquiert une approche critique de la politique ou des médias, soit il se retrouvera dans des conditions bien inférieures à ses petits copains de médecine, soit il ne pourra tout simplement pas le faire, parce qu’il ne sera pas né dans la bonne région (selon les règles actuelles, je n’aurais jamais pu faire le cursus que je poursuis actuellement).

Toutes ces applications sont décidées par le Conseil d’Administration de la fac. Sur 30 sièges, 5 sont réservés aux étudiants, 8 à des « personnalités extérieures à l’établissement » (chef d’entreprise, « acteur du monde économique »…). Pensez-vous que, dans ces conditions, notre parole est « démocratiquement » représentée ? C’est pour protester contre tout ça qu’une centaine de personnes ont été délogées de leur université jeudi et que 6 d’entre-elles ont passé la nuit dans un commissariat et sont susceptibles d’avoir des ennuis avec la justice.

 

Une AG n’est pas réservée aux « excités communistes »

Une AG aura lieu mardi à 12h à Bron. Si on avait été 150 la dernière fois, cela se serait passé différemment. Une AG n’est pas réservée aux « agités de la FSE » ou aux « excités communistes » comme on peut l’entendre parfois. Elle est l’endroit où chacun s’indignant contre tout ce qui est écrit au-dessus doit pouvoir se retrouver. Et la condition pour qu’il s’y retrouve, c’est qu’il y participe.

Ce qui se passe à l’université aujourd’hui n’est vraiment pas facile, libre à chacun de l’accepter ou de tenter de le combattre. Peut-être qu’à la fin on aura la toute légère satisfaction de se dire « au moins, j’aurais essayé ». Loin de moi l’idée de vous faire culpabiliser si vous n’étiez pas présents lors de ces actions. Pendant ma L1, il y avait un mouvement de grande ampleur, il se passait des choses aussi choquantes que cette semaine pratiquement tous les jours et je restais chez moi à glander toute la journée et faire des soirées, “kiffant bien“ que la fac soit bloquée. Je ne me sentais pas légitime à participer à une AG ou un mouvement, je ne connaissais personnes, ça avait l’air d’être des gauchistes bizarres, j’étais bien moins à gauche qu’eux et je ne comprenais pas grand chose à leur charabia. Si je n’avais pas eu une pote qui m’expliquait un peu ce qui se passait vraiment je ne me serais jamais mobilisé par la suite.

Alors je n’ai aucune ambition de vous embobiner dans mon « gauchisme primitif » mais je voulais simplement rétablir la vérité sur ces quelques faits. Le président Jean-Luc Mayaud diffuse allègrement sa vérité à travers l’envoi massif de mail à l’ensemble du personnel et des étudiants, nous accusant d’inacceptables « violences », de « coups volontaires » ou de « pratiques antidémocratiques » desquels les personnes présentes ce jour là ne se reconnaissent pas.


#Lyon 2

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