Par Antoine Guerre
Pendant plus de deux heures, les intervenants se sont accordés pour combattre une vision paranoïaque d’une immigration dangereuse et opportuniste. Ces « crispations xénophobes » dont parle le médiateur Michel Lussault dès le propos introductif, seraient dues à un manque de connaissances sur les tendances de fond des migrations dans le monde.
La migration : un phénomène structurel de l’évolution des sociétés contemporaines
Catherine Wihtol de Wenden en a donc profité pour rappeler qu’il existait un équilibre, souvent méconnu, dans la répartition de ces migrations. D’ici quelques années il y aura même autant de migrants internationaux allant vers le « nord » (120 à 130 millions aujourd’hui) que vers le « sud » (environ 110 millions à ce jour).
Et si cette équilibre existe c’est qu’il répond à une tendance tout à fait structurelle de la migration. Elle serait un phénomène à part entière dans l’évolution des sociétés contemporaines. « Cette envie de vivre dans la mobilité est aujourd’hui globale » affirme-t-elle. On peut prendre en exemple l’essor que connait le principe de mobilité dans la vie estudiantine. Introuvables il y a 20 ou 30 ans, les concepts d’Erasmus, de mobilité internationale font partie du cursus d’une majorité des étudiants aujourd’hui. Et les échanges sont multiples grâce aux différents partenariats mis en place par les écoles et universités : ils sont bilatéraux, allant du nord vers le sud et du sud vers le nord.
La politologue met également en évidence d’autres mouvements structurels façonnant l’immigration. L’importance grandissante des déplacés environnementaux provoquée par le changement climatique.
Ou encore le tourisme de masse, devenu lui aussi un élément structurel de cette « envie de vivre dans la mobilité ».
« On est passé d’une interdiction de sortir à une interdiction d’entrer »
Mais si elle est structurelle, positive et globale et pas opportuniste et dangereuse, pourquoi donc l’immigration effraie tant aujourd’hui?
Catherine Wihtol de Wenden attribue ces crispations à un paradoxe historico-politique qui entraîne quelques uns de ces migrants dans des situations précaires et instables.
Pour la politologue « on est passé d’une interdiction de sortir à une interdiction d’entrer ». En effet, depuis une vingtaine d’années, elle explique que les pays du « sud » ont compris leur intérêt à laisser sortir les populations devenues plus urbanisées, plus riches et éduquées. Ces catégories sociales sont souvent pour eux un danger lorsqu’elle commencent à remettre en cause des régimes politiques non démocratiques voir autoritaires, comme lors des derniers « printemps arabes » par exemple.
Mais simultanément, cette tendance a coïncidé avec un « renforcement de la frontière » affirme Michel Agier. Le droit d’entrer dans les pays est toujours soumis à la souveraineté des états et celui ci s’est globalement durci. « Il y a plus de murs, de restrictions, on élargit les situations de frontière et donc les situations de rigosité, d’altérité » continue l’anthropologue.
C’est cette tension qui serait à l’origine d’une vision assez négative de l’immigration.
Selon Michel Lussault, il est donc également légitime de se demander si la tendance des dirigeants politiques à appréhender l’immigration comme un danger n’est pas la véritable source du problème. En empêchant leur reconnaissance, en les stigmatisant ou en les reléguant dans des banlieues « ghettoïsantes » notamment, les politiques marginaliseraient d’entrée ces arrivants et ne laisseraient donc que peu de chances à l’immigration de jouer le rôle positif qu’elle peut bien sûr jouer.
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