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Dada Masilo dévergonde les Cygnes

La Maison de la Danse retrouve avec ferveur Dada Masilo, la chorégraphe qui aura électrisé sa Biennale l’an dernier. Il y a de quoi : la jeune danseuse sud-africaine chatouille l’ordinaire bien chaste du Lac des cygnes.

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Swan Lake

© John Hogg

Comme ça, après Noureev et la bonne blague de Fredryk Rydman, le monument, que dis-je, l’alpha et l’omega du ballet romantique, pourrait donc encore livrer du frisson, se laisser aller à l’inédit ? Après tout, en 2005, quand il composait son propre Swan Lake, 4 Acts, Raimund Hoghe disait qu’avec l’oeuvre rêveuse de Tchaïkovski, contre toute attente, « les choses ne sont pas figées, il y a un moyen de les inventer autrement ». L’ancien dramaturge de Pina Bausch en a fait une cérémonie de gestes où tout tournait autour de sa bosse. Dada Masilo, elle, refuse l’abstraction, et choisit de le subvertir concrètement.

 

Une entorse à l’histoire

En une heure à peine, elle le retourne comme un gant, en dévoile un négatif réjouissant. Le prologue sous amphétamines donne le ton, euphorique, de son Swan Lake. Les quatorze danseurs font une entrée tonitruante. Sans respect de la hiérarchie traditionnelle du ballet, tous, pieds nus, arborent les mêmes tutu et crête blancs. Déjà, une première entorse à l’histoire.

Dada Masilo offre le grand classique à des interprètes noirs. Depuis sa prime adolescence, on lui a toujours refusé la partition de ses rêves, au motif avoué ou non qu’elle n’était pas blanche. Si revanche il y a, elle tourne vite au pied de nez.

Sourire aux lèvres, les danseurs sont menés à la cravache. Une sorte de meneuse de revue autoritaire, qui ensuite joue la mère de Siegfried, règle le tableau moqueur, où défilent en accéléré la trame du Lac des cygnes et les clichés de la danse classique – hommes en jetés virils ; femmes en soumission ondulante. Si l’on n’a pas bien compris la plaisanterie, un texte en anglais du journaliste Paul Jennings la précise. A la fin de l’envoi, elle fait mouche : le ballet est désacralisé quand tous finissent le cul par terre et les voiles mousseux s’agitent au rythme du popotin.

 

Les préjugés de genre interpellés

Dada Masilo peut alors rebattre les cartes. Sans pour autant tout jeter aux orties. Passée par la Dance Factory de Johannesbourg et l’école PARTS d’Anna Teresa De Keersmaeker, elle irise le Lac originel d’emprunts successifs. Par ci, par là, les notes d’Arvo Pärt, Steve Reich, Saint-Saëns, René Avenant et des percussions zouloues poussent la musique de Tchaïkovski dans ses retranchements. Tout comme le frappé du talon, typique du gumboot, la danse des mineurs en Afrique du Sud, vient conclure les entrechats et les portés, et les exclamations gouailleuses des danseurs, proches du youyou ou du cri du french cancan, disperser les grappes d’arabesques.

Pour s’être déjà frottée au répertoire, avec Roméo et Juliette en 2008 et Carmen l’année d’après, Dada Masilo connaît l’histoire de la danse. Confier Odile, le cygne noir tentateur, aux bons soins d’un homme, n’a rien d’inédit – Matthew Bourne, entre autres, y avait pensé avant elle. Ni d’absurde. D’un même geste, la jeune chorégraphe, 28 ans à peine, interpelle les préjugés de genre à la fois dans la danse classique et la société sud-africaine. Chez elle, les plus belles ballerines sont des hommes, dont la virilité compose avec une aisance et une finesse presque inouïes.

Clairement les femmes ici subissent les événements. Alors que ses parents forcent son mariage avec Odette, une donzelle énamourée, le prince Siegfried succombe aux charmes aériens d’un intrigant, d’un athlète qui n’a pas besoin de sourire bêtement pour le ravir.

Si l’homosexualité choque encore son pays, et y reste réprimée, Dada Masilo l’insère dans Le Lac des cygnes sans dommage pour l’intrigue. La part fantastique du ballet est peut-être rognée, mais le tiraillement émotionnel et physique de Siegfried ménage un final toujours aussi bouleversant. L’on ne s’étonne plus alors que les portés et vrilles entre hommes supplantent en charge érotique la danse de séduction d’Odette. Dans ce solo, Dada Masilo ne s’épargne aucune maladresse. C’est tout à son honneur, celui d’une grande chorégraphe à venir.

 

Infos pratiques

Où et quand voir Swan Lake ?

Jusqu’au 17 novembre à la Maison de la Danse, Lyon
Les 19 et 20 novembre à La Rampe, scène Rhône-Alpes, Echirolles
Le 21 novembre au Grand Théâtre, Oyonnax
Les 17 et 18 décembre à Bonlieu, scène nationale, Annecy
Le 20 décembre au Théâtre de Mâcon
Le 16 janvier au Théâtre de Villefranche
Le 18 janvier au Grand Angle, Voiron
Les 31 janvier et 1er février au Théâtre du Vellein, Villefontaine


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