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Un procureur condamné au Texas : le système, c’est quelqu’un

Le 8 novembre, un tribunal texan a condamné le juge et ancien procureur Ken Anderson à dix jours de prison et 500 heures de travaux d’intérêt général. Cette sanction, qui condamne sa conduite dans l’affaire Michael Morton, est une première dans l’histoire de la justice américaine et sans doute un jugement qui marquera la jurisprudence. …

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Un procureur condamné au Texas : le système, c’est quelqu’un

Le 8 novembre, un tribunal texan a condamné le juge et ancien procureur Ken Anderson à dix jours de prison et 500 heures de travaux d’intérêt général. Cette sanction, qui condamne sa conduite dans l’affaire Michael Morton, est une première dans l’histoire de la justice américaine et sans doute un jugement qui marquera la jurisprudence. C’est aussi un dénouement qu’on attendait chez Moyen-Courrier.

On connaît bien les détails de l’histoire, puisqu’on a publié cet été le récit magistral que Pamela Colloff en a fait, et pour lequel elle a remporté le National Magazine Award. Une erreur judiciaire s’inscrit dans la veine du De sang froid de Truman Capote pour raconter le meurtre de Christine Morton, l’enquête bâclée qui a envoyé Michael Morton vingt-cinq ans en prison et la contre-enquête qui a permis de le réhabiliter. Quant à celui qui avait effectivement commis le meurtre, il est aujourd’hui derrière les barreaux.

Mais ce n’est pas pour autant que la justice était rendue et on avait précisé, en guise d’épilogue au récit de Pamela Colloff : “Le 4 octobre 2012, pour le premier anniversaire de la libération de Michael, le Conseil de l’Ordre publia un rapport accablant sur la conduite de Ken Anderson, reconnu coupable d’avoir délibérément dissimulé des indices. Après avoir écopé de sanctions administratives, l’ancien procureur attend maintenant que l’affaire soit jugée par un tribunal et encourt la prison ferme.”

« Je présente mes excuses parce que le système a déraillé. Je me suis demandé ce que j’aurais pu faire de différent, et je n’ai pas trouvé. »

En cherchant bien, pourtant… Ken Anderson a décidé dès le premier jour qu’il tenait son coupable, tant la lettre que Michael avait laissée à sa femme le matin du meurtre et dans laquelle il se disait triste et déçu qu’ils n’aient pas fait l’amour la veille (le soir de son anniversaire) lui semblait une preuve irréfutable. Après cela, aucun élément nouveau n’a pu le faire douter de sa certitude ni le détourner de son scénario. Le fils de Christine et Michael raconte à sa grand-mère qu’il a vu un “monstre” frapper sa mère ? C’était Michael revêtu de sa combinaison de plongée. On a trouvé un bandana ensanglanté dans les buissons derrière la maison ? Il n’y a aucun rapport avec l’enquête. Le sang est celui de Christine Morton ? C’est parce que son frère, quand il a trouvé et ramassé le bandana, l’a taché du sang qu’il avait ramené de la scène du crime.

Certains échanges à la barre entre le procureur et Michael Morton, lors du procès de 1987 qui le verra condamné à perpétuité, sont proprement surréalistes :

 

— Et vous l’avez frappée ? poursuivit Anderson en abattant les bras comme s’il frappait Christine avec une batte.

— Non.

— Et frappée encore ? insista Anderson avec le même geste des bras.

— Non.

— Et quand vous avez eu fini de la frapper, qu’est-ce que vous portiez sur vous ?

— Je ne l’ai pas frappée.

— Qu’est-ce que vous portiez sur vous ?

— Rien.

— Rien ? Et quand vous avez fini de la frapper, vous vous êtes masturbé ?

— Non.

— … et vous avez pris le sang de votre femme morte sous vos coups, et vous en avez aspergé la photo de votre petit garçon, n’est-ce pas ?

 

Et donc : Ken Anderson s’est trompé, mais pas seulement. Il a persévéré dans l’erreur, envers et contre toute raison, mais pas seulement. Il a dissimulé des preuves essentielles qui auraient inversé le cours du procès, mais pas seulement. Il a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher la réouverture du dossier quand il a été clair qu’elle s’imposait, mais pas seulement. Il a aussi tout fait pour empêcher la réhabilitation de Michael Morton quand il a été évident que celui-ci était innocent. Et après tout cela, il n’a jamais été foutu de s’excuser en son nom.

Nous nous réjouissons donc de la décision de justice du 8 novembre, et nous y voyons une jurisprudence, certes. Mais pas seulement pour le système judiciaire américain. Ce que nous entendons dans la décision des juges, c’est la sanction de l’individu au sein du système.

Ce que cette décision dit c’est qu’il y a quelqu’un derrière la fonction, et ce que la société dit avec cette condamnation c’est : je te vois, toi qui possèdes les instruments du pouvoir, en jouis avec démesure quand tu es en état de le faire, et ne réponds plus de rien quand tu es mis en demeure de t’expliquer.

 

Une erreur judiciaire. Première partie : la tondeuse et les œillets, Pamela Colloff, Moyen-Courrier

Une erreur judiciaire. Deuxième partie : la harpe et le bandana, Pamela Colloff, Moyen-Courrier


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