Le site du Tricastin, un complexe nucléaire gigantesque, à cheval sur trois communes. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Les rues sont toutes propres, rénovées, pavées et fleuries. La vie animée, entre ses nombreux commerces et ses non-moins nombreuses infrastructures. A Saint-Paul-Trois-Châteaux, dans la Drôme, le quotidien semble des plus agréables. Cela donnerait presque envie d’aller y vivre. Pourtant, la ville est l’une des trois communes qui accueillent le site nucléaire du Tricastin, un énorme complexe fait notamment d’une usine d’enrichissement d’uranium AREVA et d’une centrale EDF
Vous savez ? La centrale qui a fait parler d’elle en juillet, lorsque des militants de Greenpeace s’y sont introduits. Ou encore fin juillet, lorsque le site a été épinglé par l’Autorité de sécurité nucléaire (ASN). Rebelote depuis mi-septembre avec une nouvelle demande de l’ASN, suite à une une fuite de Tritium révélée sous la centrale.
Construite en 1980, Tricastin est la troisième centrale la plus ancienne du parc français.
« Tout le monde a un membre de sa famille qui travaille au Tricastin »
Et pourtant, dans les rues de Saint-Paul-Trois-Châteaux, les habitants ne semblent pas s’inquiéter, comme l’explique Pauline, une jeune mère de famille assise à la terrasse d’un restaurant avec son compagnon :
«Je n’ai pas peur car je sais comment cela fonctionne, J’y ai travaillé, mon mari y travaille, mon père aussi, mes sœurs… Ici tout le monde a un membre de sa famille qui travaille au Tricastin. ».
Le maire le confirme : dans sa ville, toutes les familles ont un lien avec le nucléaire. Il estime que quelque 1500 personnes, parmi les 9097 habitants de la commune, travaillent sur le site du Tricastin. L’Insee, dans une étude publiée en décembre 2012, considère même que 35% de l’emploi de Saint-Paul-Trois-Chateaux est lié, directement ou indirectement, au nucléaire.
Le responsable d’EELV à Montélimar, une commune de la Drôme située à 25km au nord de Saint-Paul-Trois-Châteaux, confie qu’il a bien du mal à trouver des militants écologistes autour du site du Tricastin :
« Il y a une réelle dépendance au nucléaire, estime Alain Volle. Alors, personne ne s’engage à découvert. Il y a quelques temps, des militants qui tractaient sur les marchés se faisaient même jeter des pierres. »
Extrait d’un reportage de Bfm TV réalisé en novembre 2011
« Le petit Saint-Tropez »
Un peu plus loin, Ahmed Ghedjati, éducateur sportif, fait un constat simple :
« Vivre avec une centrale n’a pas que des inconvénients, ça a aussi des avantages. Dans les années 1970, il y a eu un grand boom à Saint-Paul. Avec la construction de la centrale, on est passé de 3000 à 5000 habitants. Aujourd’hui, on est 9000 et on a un budget d’une ville de 40 000 habitants. Du coup ça attire du monde. Et on construit. Les infrastructures grossissent. »
L’employé municipal travaille au centre Saint Paul 2003, construit dans les années 1980, et qui propose piscine, hammam, bowling, billard, salle de remise en forme… Et fait travailler quelque 25 employés municipaux.
A la sortie du centre Saint Paul 2003, Michael, 20 ans, en alternance de licence pro à la société d’enrichissement du Tricastin se réjouit :
« Le complexe sportif est assez génial. Pour retrouver le même type d’équipement, je ne saurais pas où aller dans le coin. »
Les infrastructures de la ville sont nombreuses et massives. On trouve notamment trois écoles, un collège, pas moins de trois gymnases, un boulodrome couvert, des terrains de foot, de tennis, un mini-golf… ou encore une salle de spectacle de 900 personnes flambant neuve, qui a ouvert en novembre 2012 et a couté 3,6 millions d’euros.
La ville de Saint Paul semble bien riche pour ses quelque 9000 habitants. Des habitants qui se réjouissent tous de sa « qualité de vie ». Au point que certains commerçants, sous couvert d’anonymat, parce que, malgré tout, le « nucléaire reste un sujet clivant ici », racontent que dans le coin, on appelle même la ville « le petit Saint-Tropez ».
La salle Georges Fontaine a couté quelque 3,6 millions d’euros à la ville. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Folie des grandeurs
Si la population, « principalement des cadres et des techniciens » selon le maire, a un niveau de vie élevé, la commune bénéficie elle-aussi des retombées économiques du nucléaire. En 2012, le budget de la ville s’est établi à 21,76 millions d’euros. Les impôts auxquels sont soumis les entreprises (qui remplacent la taxe professionnelle depuis la réforme de 2010), et notamment Areva et EDF, financent la ville à hauteur de près de 14 millions d’euros. A titre de comparaison, le budget de Crest, une ville quasiment équivalente (8153 habitants) de la Drôme, s’élève à seulement 9,41 millions d’euros, avec 809 000 euros de recettes liées aux impôts sur les entreprises.
Le complexe sportif Saint Paul 2003 propose notamment une piscine (en plus de la « vieille » piscine extérieure de la ville). © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Cette manne financière a suscité quelques excès dans le passé. Ainsi, en 2004, la Cour des comptes régionale pointait des dysfonctionnements dans la gestion financière de la ville :
« Son aisance financière conduit la commune à diversifier ses interventions en créant, par exemple, de nombreux équipements communaux couteux en termes de personne, en gérant un parc immobilier consommateur de crédits de fonctionnement, en instituant pour des personnels contractuels des rémunérations excédant les références fixées par l’Etat, en subventionnant au-delà de ces mêmes références des organismes privés… »
« Je ne veux pas que le Tricastin devienne la Lorraine de demain ! »
Elu en 2008, Jean-Michel Catelinois, l’actuel maire PS de Saint-Paul-Trois-Châteaux, a voulu mettre le holà à ces dépenses démesurées :
« Mes prédécesseurs avaient eu recours à deux emprunts d’1,5 millions au total et avaient augmenté les impôts de 9% en 2002. Quand on voit les finances que la ville possède aujourd’hui, c’est qu’il y a eu un problème de gestion ! Il y avait de l’argent mais il était mal géré. »
Il affirme ne plus avoir eu recours à l’emprunt depuis 2008 et avoir fait des économies de 1 million d’euros depuis.
Jean-Michel Catelinois, le maire PS de Saint-Paul-Trois-Châteaux. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Mais si la gestion budgétaire est moins « désinvolte », c’est aussi en raison de facteurs structurels. En effet, la réforme de la taxe professionnelle, en 2010, a renforcé le système de péréquation qui oblige a plus de redistribution entre communes, riches et moins riches. Elle a ainsi engendré une diminution des recettes fiscales pour les villes abritant un site nucléaire comme Saint-Paul.
Par ailleurs, la commune craint les retombées économiques de la fermeture récente de l’usine Eurodif-Areva d’enrichissement d’uranium George Besse I. Des « coups durs pour la ville », reconnaît Jean-Michel Catelinois, qui estime le manque à gagner à 350 000 euros par an :
« Mais on a anticipé, ajoute-t-il. On essaie de diversifier les activités. Notre préoccupation actuelle c’est d’aider à la création d’entreprises. Par exemple, aujourd’hui, on est en train de créer une zone industrielle qui ouvrira courant 2014. »
Avec la fermeture de George Besse I, et les fréquentes polémiques autour de la fermeture de vieilles centrales, le maire commence à entrevoir ce qu’il appelle « les dangers de la mono-industrie » :
« Je ne veux pas que le Tricastin devienne la Lorraine de demain ! »
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