Le palais de Justice de Lyon © Calystee / Flickr / CC
Ce mercredi 2 octobre, comme pratiquement tous les matins de la semaine au tribunal de Lyon, des étrangers en situation irrégulière ont comparu devant le juge des libertés et de la détention (JLD), qui décide de leur maintien ou non au centre de rétention administrative de Lyon Saint-Exupéry avant une probable expulsion.
Parmi les deux « retenus » du jour, un Tunisien de 22 ans. Pendant que le premier « retenu » était entendu par le juge, le jeune Tunisien a sorti une fiole contenant un liquide inflammable, s’est aspergé et a allumé un briquet. Une des personnes présentes ce jour-là à l’audience (publique) décrit la scène :
« Ça s’est passé extrêmement rapidement. J’ai entendu « il s’est mis le feu ». Je me suis tourné et j’ai vu le jeune homme en flammes « .
Les quatre policiers, qui constituaient l’escorte, sont rapidement intervenus pour éteindre les flammes. Le jeune Tunisien a été conduit à l’hôpital.
Pendant ce temps-là, l’audience reprenait avec un nouveau juge et un nouveau greffier. Les précédents avaient préféré se faire remplacer, choqués.
Le nouveau JLD n’a pas tremblé. Il a maintenu le Tunisien en rétention. Après quelques heures passées à l’hôpital où il a été soigné pour des blessures légères, il a été reconduit au centre de rétention administrative (CRA) de Lyon, à proximité des pistes de l’aéroport.
Placé en garde à vue « pour mise en danger de la vie d’autrui »
Arrivé derrière les barbelés du CRA de Lyon, la police l’a placé à l’isolement puis lui a signifié son placement en garde à vue. Motifs invoqués ? Soupçons de « tentative de soustraction à une mesure d’éloignement » et de « mise en danger de la vie d’autrui ».
Ce vendredi matin, le procureur de la République a décidé de mettre en examen le jeune Tunisien. Le parquet demande aussi le placement en détention provisoire.
Il doit être présenté cet après-midi devant le juge d’instruction qui devra confirmer (ou pas) la mise en examen et le mandat de dépôt.
« On a atteint les limites du supportable »
Depuis mercredi soir, l’information a circulé dans les couloirs du palais de Justice de Lyon. Les avocats qui assurent les permanences pour les étrangers (notamment lorsqu’ils sont présentés devant le juge des libertés) étaient doublement sous le choc : à cause de l’immolation et à cause des poursuites du parquet.
Considérant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre un geste de désespoir, la « commission droit des étrangers » du barreau de Lyon suit avec une attention toute particulière les suites judiciaires. Un avocat a notamment été spécialement désigné pour assurer la défense du prévenu.
Le Syndicat de la Magistrature s’en est également ému auprès du procureur de la République. Et l’affaire est remontée au plan national. La présidente du syndicat, Françoise Martres, estime qu’on atteint « les limites du supportable » :
« Le parquet fait preuve d’incohérence. Le procureur nous dit que la tentative de suicide est bidon. Mais à ce compte-là pourquoi le poursuivre pour mise en danger de la vie d’autrui ? Après avoir poursuivi ceux qui aident les étrangers en situation irrégulière, on pénalise désormais un comportement qui marque le désespoir. La justice pénale a d’autres choses à faire, surtout sous un gouvernement de gauche ».
Il y a trois mois, ce Tunisien avait déjà fait l’objet d’une tentative d’expulsion. Mais il avait refusé d’embarquer dans l’avion à destination de Tunis. Il avait alors été condamné à trois mois de prison ferme pour « soustraction » à une reconduite à la frontière. Il venait de sortir de la prison de Villefranche-sur-Saône, quand il a été reconduit au centre de rétention. Cinq jours plus tard, il tentait de s’immoler devant le juge.
Le juge d’instruction s’oppose au procureur
Ce vendredi soir, le juge d’instruction a décidé de placer le Tunisien sous le statut de témoin assisté, nous a déclaré son avocat Thomas Fourrey. Autrement dit, elle désavoue le procureur de la République qui souhaitait le voir incarcéré et poursuivi pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Le jeune homme n’en est pas pour autant libre de ses mouvements. Il est retourné derrière le grillage du centre de rétention et peut toujours être expulsé vers la Tunisie. Le parquet a toutefois la possibilité de faire appel de cette décision
> Article mis à jour à 21h40 suite à la décision du juge d’instruction de placer le Tunisien sous le statut de témoin assisté
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