Le matériel promotionnel de cette 12ème édition sur le thème du récit : les affiche de l’américain Roe Ethridge, ici à droite © Blaise Adilon / Biennale de Lyon
1 300 journalistes et une couverture médiatique sans faille. La 12ème édition de la Biennale d’art contemporain de Lyon a ouvert ses portes le 12 septembre dernier, espérant accueillir autant de monde qu’il y a deux ans, c’est-à-dire près de 200 000 personnes. Cet événement, en France en tout cas, ne trouve pas de concurrent à sa taille.
Car sur ce plan, et malgré son rayonnement culturel incontestable, la capitale est hors jeu. La Biennale de Paris aura eu lieu pour la dernière fois « en vrai » en 1985, et a depuis choisi un mode d’exposition informel moins couteux : l’exposition virtuelle.
Seule française au forum international des biennales
La Biennale de Lyon, en plus d’être concrète, peut, elle, se targuer d’être la seule manifestation française à participer au forum international des biennales. Sylvie Burgat, sa directrice, a confié à nos confrères des Échos qu’elle était « la seconde plus importante biennale d’art en Europe après Venise et dans le top 5 mondial ».
Harry Bellet, critique d’art et journaliste au Monde, ne dément pas. La lyonnaise ferait partie selon lui des 30 biennales « qui comptent » à travers le monde. Dans un contexte de multiplication des évènements de ce type, avec notamment l’arrivée de pays émergents, ce n’est pas rien :
« La Biennale de Lyon n’est pas aussi spectaculaire que celle de Venise, la grand-mère de toute les biennales, née en 1895, mais elle est du niveau de Sao Paulo, et meilleure que celle de Moscou. Elle a une vraie tenue et s’est améliorée sur de nombreux points au fil du temps. Depuis sa première édition, au Monde, nous n’en avons démonté qu’une seule… »
Sur les lèvres des « hommes de goût »
Pour Valérie Duponchelle, critique d’art au Figaro, qui suit cette biennale depuis le début, elle est non seulement un événement national, mais aussi sur toutes les lèvres des gens qui s’y connaissent à travers le monde :
« J’ai réalisé une enquête sur la guerre des biennales internationales qui m’a amenée à interviewer de grands directeurs de musées, des « hommes de goût », et chacun m’a confié quelles étaient ses biennales préférées. Nécessairement, Lyon y était. Toujours. »
La raison de cette image très positive ? D’une part, des commissaires de renom, comme Harald Szeemann, Hou Hanru (sauveur de l’édition 2009 et remplaçant de Catherine David, démissionnaire six mois avant l’inauguration) ou encore Jean-Hubert Martin. Les commissaires invités viennent des quatre coins de la planète, et permettent ainsi à la biennale d’avoir un écho dans leurs pays respectifs. Du bouche-à-oreille international, en somme. Car la biennale, c’est avant tout un événement qui se nourrit de la mondialisation, qui table sur l’échange, qui en retire de l’attractivité.
La manifestation s’inscrit profondément dans le plan marketing de la ville. Tout comme la Biennale de la Danse d’ailleurs, un des plus grands évènements célébrant cet art en France, et fonctionnant en véritable binôme avec celle d’art contemporain. La capitale des Gaules détient une vitrine alléchante, dont le but est de provoquer intérêt et causeries en France et à l’international. C’est également le moyen de prétendre au titre de plus grande cité culturelle française, un terrain sur lequel Lyon bataille. Mais la machine est bien rodée, et il est difficile d’être plus offensif sur le plan de la communication. Ces événements culture « monstre » démontrent que Lyon se donne les moyens de ses ambitions.
9 millions de budget : « pour le moment on ne ressent pas la crise »
Preuve en est, les subventions impressionnantes des collectivités territoriales : 2,68 millions d’euros de la part de la communauté urbaine de Lyon et 806 000 euros de la région Rhône-Alpes. L’État a quant à lui participé à hauteur de 1 443 482 euros. Ainsi, le budget total de la 12ème biennale de Lyon s’élève à 9 millions d’euros. A côté, les 2 millions de la Biennale d’Istanbul ressemblent à un malheureux budget communication.
Face à ces chiffres, Valérie Duponchelle admet que la crise passe aux oubliettes :
« Nous sommes un pays avec beaucoup de moyens. 9 millions de budget pour une biennale, c’est énorme. Tant mieux pour les artistes et pour nous-mêmes. Est-ce que ce sera toujours possible ? Je n’en suis pas sûre. Pour l’instant, on ne ressent pas la crise, ni de contraintes budgétaires. Mais il faut dire qu’il n’y a pas de gaspillage non plus. »
Une biennale « d’auteur »
À l’origine du menu, il y a un homme, Thierry Raspail. Contrairement à ce qui se fait dans le milieu, il est le directeur artistique de la biennale depuis la naissance de cette dernière. Il est son créateur et celui qui l’a faite grandir. Quand il parle du bébé, il verse dans une modestie toute relative :
« Ce qui nous différencie, à Lyon ? Peu de points. Peut-être la qualité. Le désir d’expérimenter de nouvelles choses. Et surtout, le fait d’être une biennale d’auteur. »
Thierry Raspail, directeur artistique de la Biennale de Lyon lors du vernissage de sa dernière édition à la Sucrière © Stéphane Rambaud / Biennale de Lyon
La particularité de la Biennale de Lyon : durant trois cycles, c’est-à-dire 6 ans, un thème est imposé. Et l’on demande à chaque commissaire invité de faire preuve d’imagination en faisant émerger sa vision singulière, profondément personnelle, du fameux thème imposé.
Exemple avec Gunnar B. Kvaran, directeur du musée de Arstrup en Norvège, « auteur » de l’actuelle 12ème édition sur le thème Narration.
Le commissaire d’exposition, sous ses airs de banquier policé, est connu pour ne pas hésiter à se jouer des convenances. Et même faire dans le trash. Cette patte est perceptible à Lyon… Enfin un peu. On parle dans la presse, un peu déçue, de « porno soft » et de légers rougissements. Pas de quoi affoler les visiteurs.
Le récit, jeune, frais et sexy
A peine entré dans la Sucrière, on est confronté a un Dan Colen dans le plus simple appareil, exténué, vidé. Cette œuvre illustre aujourd’hui tous les articles sur la biennale, s’en faisant la meilleure représentante.
Ainsi, Kvaran a fomenté une biennale jeune, pas trash mais sexy, où le récit est construit autour des réseaux sociaux, des jeux vidéo et autres nouvelles technologies :
« J’ai vraiment voulu faire une biennale avec de jeunes artistes. Il y a sans conteste de la nouveauté, du contemporain. A la différence d’un musée, une biennale ne s’inscrit pas dans un contexte historique. On peut se permettre de représenter ce qui fait notre époque et rien qu’elle. »
Livin and Dyin, l’oeuvre de Dan Colen, emblème de cette 12ème édition © Blaise Adilon / Biennale de Lyon
60% des artistes sont nés après 1980, et nombre d’entre eux sont inconnus. La Biennale de Lyon, un endroit où on ne revoit pas mais où l’on découvre, donc. C’est en tous cas une des stratégies adoptées dans le but de se démarquer.
À travers l’emploi de la première personne par Gunnar B. Kvaran, la Biennale de Lyon semble être en tous cas l’avènement du curator, ce missionnaire qui parcourt le monde afin de synthétiser la production artistique d’une époque en un même endroit.
L’art d’en mettre plein la vue
Au fil des années, la biennale n’a cessé de conquérir du terrain. On recense aujourd’hui cinq lieux d’exposition principaux. Mais pas seulement : des œuvres d’art sont disséminées un peu partout, avec Résonance notamment, qui fait participer galeries, institutions et associations. Un programme qui a débuté avec 30 lieux en 2003. Dix ans après, on en recense 150. C’est un peu comme si tout Lyon était mis à profit, et la Biennale partout.
Veduta est le volet socio-culturel de la manifestation, qui fait donc collaborer différents habitants de l’agglomération -et notamment en banlieue- avec les artistes. Résultat : n’importe qui est susceptible de se retrouver avec un Jeff Koons dans sa cuisine… Ou presque. Ainsi, du MAC de Lyon au HLM, en passant par l’Église Saint-Just, on arrive à 200 lieux d’exposition dans l’agglomération.
Tous ces lieux, forcément, il fallait les remplir : 77 artistes s’y sont attelés, n’hésitant pas au vu de la place à faire dans l’œuvre monumentale. Matthew Barneys, Bjarne Melgaard ou Tom Sachs ne diront pas le contraire. Et avec un tel budget, les artistes ont pu s’en donner à cœur joie.
Selon le Petit Bulletin, la thématique imposée du récit n’arrive toutefois pas à réveiller les « adultes de leur train-train quotidien et de leur prêt à penser ». Au contraire, elle les endormirait un peu plus, ne favorisant donc pas du tout la réflexion autour du « produit »… Mais pour tout ce qui est emballage, aucun doute, c’est une franche réussite.
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