Par Franck Heurtrey, président du Syndicat des Avocats de France de Lyon et membre du Conseil national des barreaux
Les avocats ont pris connaissance avec consternation du projet de loi de finances 2014 et en particulier de son article 69 cyniquement intitulé « Renforcement de l’équité en matière d’aide juridictionnelle ».
L’aide juridictionnelle est accordée par l’Etat aux citoyens les plus démunis. Il faut vivre sous le seuil de pauvreté pour bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, soit moins de 929 euros par mois. L’Etat prend en charge les honoraires d’un avocat et/ou d’un huissier de justice.
On attendait une augmentation de l’aide juridictionnelle, elle baisse
Dans la réalité, cette indemnisation versée par l’Etat pour assurer la défense d’un mineur devant le tribunal pour enfant ou pour représenter un salarié licencié devant le Conseil de prud’hommes ne suffit pas à couvrir les frais de fonctionnement d’un cabinet d’avocat.
L’Etat le sait pertinemment et s’était engagé en 2000 à verser une véritable rétribution correspondant à la réalité de la prestation fournie. Pourtant, depuis 2007, cette indemnisation n’a connu aucune revalorisation.
Ce qui place les avocats dans une situation intenable, tiraillés entre la poursuite de leur mission auprès des justiciables les plus démunis et la mise en péril de l’équilibre économique de leur cabinet.
Le projet de loi de finances 2014 aggrave cette situation déjà critique : il réduit purement et simplement l’indemnisation actuellement octroyée par l’Etat. Il prévoit ainsi pour certains barreaux une diminution de l’indemnisation au titre de l’aide juridictionnelle pouvant aller jusqu’à 11,80 %.
L’entrée du Palais de Justice de Lyon. © Rue89Lyon
Un projet de loi comme une gifle infligée à la profession
Ce projet de loi est une véritable gifle infligée à la profession dans son ensemble et en particulier aux avocats généralistes, la plupart exerçant en structure individuelle, qui supportent déjà seuls, au nom de la collectivité, la charge d’un libre accès pour tous à la Justice et le bénéfice d’une défense de qualité.
Si nous ne pouvons que nous réjouir de la suppression de la contribution pour l’aide juridique (CPAJ) – une taxe (de 35 euros) instaurée par le précédent gouvernement pour saisir les tribunaux – nous ne pouvons que dénoncer avec fermeté la baisse programmée du budget réservé à l’aide juridictionnelle à hauteur de 30 millions d’euros.
Les principes de libre accès au juge et de gratuité des actes de justice avaient été mis à mal par le dernier gouvernement Fillon qui avait imposé la nécessité de s’acquitter d’un timbre fiscal à 35 euros pour engager une action en justice. Cette contribution avait limité l’accès à la justice des citoyens modestes dont les revenus excèdent de peu les plafonds de l’aide juridictionnelle partielle et avait eu pour effet néfaste de retarder, voire empêcher la reconnaissance de certains droits, notamment dans les contentieux du travail, de la consommation ou de la famille. En 2011 et 2012, une baisse de 13% du taux de saisine de certaines juridictions avait ainsi été relevée.
La suppression de cette contribution ne peut qu’être saluée mais il est inadmissible que la seule profession d’avocat en supporte la charge via un transfert sur le budget de l’aide juridictionnelle.
Des solutions alternatives existent à la baisse du budget de l’Etat
Conscients que l’effort ne peut porter sur le seul budget de l’Etat, les avocats ont travaillé depuis de nombreuses années à des solutions alternatives : financement complémentaire via une taxation des actes juridiques, sollicitation des assurances de protection juridique, nouveau mode d’exercice conventionné.
Ces propositions ne semblent pas même avoir faire l’objet d’analyse sérieuse de la part de la Chancellerie qui a préféré, de manière brutale et autoritaire, diminuer purement et simplement l’indemnisation actuellement octroyée par l’Etat aux avocats pour financer la suppression du timbre fiscal à 35 euros.
Les avocats sont unanimes et mobilisés pour exiger le retrait de cet article 69 du projet de loi de finances 2014 et une revalorisation immédiate de l’indemnisation des missions accomplies au titre de l’aide juridictionnelle.
Imaginons un instant la réaction de médecins généralistes à qui il reviendrait demain de financer une part de la CMU.
Ne pas défendre moins, ceux qui ont moins : quelle frustration qu’un gouvernement de gauche ne puisse l’entendre !
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