Dans sa ferme sur les hauteurs de Saint-Rambert, Pierrot cultive en « agriculture raisonnée ». ©Leïla Piazza
14h40 : il arrive en trombe sur son tracteur (oui oui, c’est possible). A peine le temps d’expliquer qu’il est en retard mais qu’il n’a même pas eu le temps de manger tellement il y a du travail cet été là. Du haut de ses 51 ans, et malgré la chaleur harassante de cette fin juillet, l’agriculteur ne manque pas d’énergie. De son vrai nom, Louis-Pierre Perraud, Pierrot est le dernier paysan lyonnais.
Quoi, un agriculteur à Lyon ? Eh bien oui ! Et cela dure. En effet, depuis 1896, explique-t-il, plusieurs générations de sa famille ont occupé la ferme et les terres situées à Saint-Rambert dans le 9e arrondissement de Lyon, sur les hauteurs qui surplombent la Saône, à la limite de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.
« Je suis né en 1962. En 1963, Saint-Rambert, et donc l’exploitation, ont été rattachés à Lyon. C’est comme ça que mes parents sont devenus les premiers et les derniers fermiers lyonnais. »
En 1984, alors qu’il a tout juste 22 ans, Pierrot, comme tout le monde le surnomme ici, a repris la suite de ses parents, par « amour de la terre ». En 1980, pourtant, la ferme a bien failli disparaître. Un projet de création d’une ZAC (Zone d’aménagement concertée) à Saint-Rambert incluait les terrains sur lesquels cultivaient ses parents, se souvient Pierrot :
« Il y a eu une enquête publique. Toute notre clientèle s’est mobilisée, a fait une pétition, et a réussi à faire annuler le projet. Depuis, les terrains ont été classés en zone agricole. Du coup, les promoteurs ne nous embêtent plus. Heureusement, parce que vous imaginez bien qu’un terrain de six hectares situé en ville, ça intéresse ! »
« C’est du local, je me fais dévaliser »
En visitant ces six hectares de terres qu’il loue à des propriétaires, on se croirait presque au fin fond de l’Ardèche. Dans la cour, poules et lapins accueillent les visiteurs. Un peu plus loin, des dizaines de moutons courent dans leur champ. Plus haut, des vergers abritent une dizaine de variétés de pommes, des abricots, des pèches, des cerises, des poires. Mais Pierrot produit aussi des fraises, des tomates, des haricots, courgettes… Une multitude de légumes, des plus connus au plus curieux :
« Quand on vend au détail comme moi, il faut diversifier les variétés. »
Pierrot Perraud vend ses produits en direct, dans sa ferme, deux jours par semaine. Et en ce lundi soir, une cliente lui demande quel est ce légume étrange qui ressemble à une courge.
« C’est pas du tout de la courge ma bonne dame ! s’exclame Pierrot. C’est du pâtisson, un légume de la famille de la courgette. Vous le faites revenir à la poêle avec de l’huile d’olive et un peu d’ail et c’est une merveille ! »
L’ambiance est des plus conviviales. Certains font la bise au paysan et à sa femme, venue l’aider pour la vente. On entend des « comment il va le Pierrot ? ». Un ami, producteur de fromages, venu de Saint-Symphorien-sur-Coise, fait gouter ses produits. Il vend aussi des volailles et un peu de charcuterie, toujours « pour offrir de la diversité », justifie Pierrot.
Et ça marche. C’est le défilé permanent durant les trois heures que dure la vente.
« Et encore, c’est plutôt calme aujourd’hui. Lundi dernier j’ai été dévalisé. Mais ça va, quand il manque des variétés, les gens comprennent. Ils savent que c’est du local. Et que quand il n’y en a plus, il n’y en a plus. »
Un producteur de fromages est aussi présent lors des ventes à la ferme. © Leïla Piazza
« C’est une star Pierrot maintenant ! »
Affublé de son traditionnel bleu de travail et d’un marcel, l’agriculteur est tout sourire. C’est que le contact avec les clients, il l’aime.
« Je n’abandonnerais la vente directe pour rien au monde ! Je retrouve les habitués. Certains étaient même déjà clients de mes parents. Et puis il y a les nouveaux, venus parce qu’ils ont entendu parler de moi par le bouche à oreille ou par les médias. »
Un peu moqueur, il ajoute :
« Il y a des familles qui viennent avec leurs enfants. Certains n’ont même jamais vu de lapin ! Alors c’est la découverte pour eux ici. C’est un peu leur sortie éducative. »
En parlant de médias, la porte de la pièce où se déroulent les ventes de fruits et légumes est tapissée d’articles de presse, locale ou nationale. L’histoire de ce dernier paysan lyonnais attire les journalistes en nombre, raconte un de ses amis, Maurice :
« C’est une star Pierrot maintenant ! Il a même acheté un ordinateur pour pouvoir lire les articles écrits sur lui. »
La notoriété a tendance à lui donner des ailes, il l’avoue. C’est à se demander si, avec tout ça, il n’aurait pas un peu les chevilles qui enflent.
« Ouh là non ! S’exclame-t-il. Je n’ai pas le temps pour que ça me monte à la tête. Je me prends déjà assez la tête avec le travail. »
Avec son quad et sa remorque, Pierrot va ramasser fruits et légumes quelques heures avant la vente. ©Leïla Piazza
Seul à tenir l’exploitation, il ne s’accorde jamais de vacances et travaille sept jours sur sept. Sauf le dimanche après-midi, parce que sa femme lui a demandé, concède-t-il :
« J’aimerais bien travailler moins. Mais pour ça, il faudrait que je trouve un associé courageux. Mais c’est compliqué. C’est pas le métier le plus facile on va dire… Il faut déjà trouver quelqu’un qui veuille travailler par moins 15 et par plus 35° »
Plus de crèche pour celui qui est « encore un peu un gamin »
Pierrot s’est fait épauler de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) pour trouver le fameux associé. Le syndicat agricole lui a envoyé plein de candidats. Mais aucun n’est resté. Alors en attendant, l’agriculteur a embauché un salarié. Il est resté un an et demi mais vient de démissionner. « C’était trop dur », lâche, désolé, le quinqua qui frise l’hyperactivité. Et puis le métier n’attire plus les jeunes.
« Moi, par exemple, rapporté au nombre d’heures que je fais, je gagne bien moins que le Smic », explique l’agriculteur qui ne veut pas céder au défaitisme non plus.
Une question commence à le tracasser : il n’a pas d’enfants alors il ne sait pas qui reprendra la ferme quand il ne pourra plus travailler. Mais pour l’instant, il préfère rester confiant. D’ailleurs, son âge, il ne préfère pas trop y penser. Et vu sa forme physique, il pourrait tromper n’importe qui sur la question. Il vient d’ailleurs tout juste de se marier.
« J’ai 51 ans, mais je suis encore un peu un gamin ! », concède-t-il dans un sourire malicieux.
Depuis son mariage, Marie-France l’aide quelques heures par semaine. Pour la vente directe mais aussi pour les marchés.
A une époque, la ferme Perraud fournissait aussi une crèche du 9e arrondissement. Mais du jour au lendemain, en 2010, pour se mettre en règle avec le code des marchés publics, la mairie de Lyon a lancé un appel d’offres pour centraliser l’approvisionnement des crèches de la ville. Plus de crèche pour Pierrot donc. Et la mobilisation des parents n’y a rien fait. Aujourd’hui, le paysan de Saint-Rambert garde quelques regrets :
« C’est plus le principe qui me dérange. Au final, ça ne me rapportait qu’une centaine d’euros par mois. Ce qui m’a fait mal c’est que la mairie ne m’a même pas averti. C’est la directrice de la crèche qui l’a fait. Ils m’ont jeté comme une vieille chaussette. »
Et puis le contact avec les touts petits, il l’aimait bien aussi.
A 17h, comme tous les lundis et jeudis soirs, les cagettes de fruits et légumes attendent les clients. ©Leïla Piazza
Le bio ? « Qu’on vende un peu plus cher d’accord, mais certains abusent »
Aujourd’hui, il a la vente directe et les marchés pour avoir son quota de relations humaines. Si la majorité des clients sont originaires du 9e, ou des Monts d’or, les gens viennent de toute l’agglo pour faire leurs courses. En même temps, les prix sont plus qu’abordables, surtout pour des citadins. Et les fruits et légumes sont frais et de qualité. Pierrot ne produit pas en AB (agriculture biologique) mais en « agriculture raisonnée » :
« Pour moi, c’est une évidence. Je ne veux pas empoisonner mes clients, ni m’empoisonner moi-même d’ailleurs. Ma femme voudrait même que je passe au bio. Mais je trouve qu’il y en a qui en profitent. Qu’on vende un peu plus cher d’accord, mais certains abusent ! »
Et puis, il l’avoue, il manque de temps pour effectuer toutes les démarches administratives que nécessite la demande de certification AB. Il suit tout ce qui se fait de nouveau dans l’agriculture, se documente, mais se méfie des effets de mode. Comme celle des paniers Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) :
« Je sais que c’est à la mode. Il y a plein de gens qui me demandent des paniers. Mais je n’ai pas le temps pour ça. Et puis je n’y ai pas trop d’intérêt. C’est un très bon système. Mais ça sert plutôt quand on arrive pas à écouler ses produits. Moi c’est l’inverse : je n’arrive pas à produire assez par rapport à ce qu’on me demande. »
Lui préfère un mode de distribution plus classique, où il n’y a « pas de chichis ».
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