« Livin and Dyin » de Dan Colen. © Blaise Adilon
La Biennale 2013 se veut dédiée au(x) récit(s). Les enfants demandent qu’on leur raconte des histoires pour s’endormir. Les adultes pour se réveiller de leur train-train quotidien et de leur prêt à penser. Les artistes exposés ont majoritairement choisi la première option, avec des œuvres néo-symbolistes soporifiques.
A la Sucrière, lieu emblématique de la Biennale, ça commence mort et mou : l’artiste américain Dan Colen s’est représenté couché, nu, avec une vague érection et voisinant avec les cadavres ou les corps endormis de Vil Coyote, Roger Rabbit et du Kool-Aid Man. Ceux qui verraient dans la sculpture réaliste de l’artiste bandant mou une copie des œuvres de l’Australien Ron Mueck se trompent.
Mueck représente certes des corps à l’aspect hyperréaliste, mais toujours trop grands ou trop petits, distillant immédiatement un aspect monstrueux, une anormalité, une inquiétante étrangeté. Dan Colen, lui, représente sans distorsion les protagonistes de la fin d’une course-poursuite réalisée sous forme de performance à Grigny.
Œuvre dont le guide de la Biennale nous dit :
«De quoi ces personnages sont-ils le signe, si ce n’est la chose même après laquelle l’artiste court désespérément tout comme nous ?»
L’artiste précise dans le catalogue :
«Peut-être qu’une fois nus, roides et isolés, nous ne pouvons qu’évoquer le sexe et la mort – les actes les moins déviants que puissent accomplir nos corps. Ce sont les fondamentaux. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas d’être nu, ni roide, ni isolé – il s’agit d’une biennale d’art contemporain. C’est de l’art».
On comprend d’emblée que beaucoup d’artistes invités à la Biennale hésitent au fond entre un art pornographique (ou pour le dire mieux : transparent, hyperréaliste, sans filtre de sens ni de forme) et… un art tout au contraire symboliste !
Néo-symbolisme
Certains nous croiront peut-être un peu illuminés, mais nous maintenons que nombre d’artistes découverts à la Sucrière ou ailleurs nous semblent être les rejetons contemporains du Symbolisme et de ses allégories empesées. Soit pour caricaturer ce temps de l’histoire de l’art en en reprenant sa définition par George-Albert Grenier en 1891 :
«L’œuvre d’art devra être premièrement idéiste, puisque son idéal unique sera l’expression de l’idée, deuxièmement symboliste puisqu’elle exprimera cette idée en forme, troisièmement synthétique puisqu’elle écrira ses formes, ses signes selon un mode de compréhension général, quatrièmement subjective puisque l’objet n’y sera jamais considéré en tant qu’objet, mais en tant que signe perçu par le sujet, cinquièmement l’œuvre d’art devra être décorative».
Attention, cela n’a guère à voir avec l’art conceptuel, courant beaucoup plus virulent politiquement et qui se fichait souvent de la forme et de l’aspect plastique des œuvres. A la Biennale, nos néo-symbolistes travaillent les formes et des plus variées : belles, inachevées, ridicules, fragmentées, mouvantes, etc. La plupart sont incompréhensibles à l’œil nu et il vous faudra donc compulser le guide de visite ou le catalogue (tous deux très bien faits) pour comprendre de quoi il retourne.
Soit comprendre ce que l’on nous raconte puisque le commissaire de la Biennale, Gunnar B. Kvaran, a placé l’événement sous le signe du récit et de la narration, censément révolutionnés par des artistes inventant de nouvelles formes ou structures.
Gunnar B. Kvaran présente la Biennale 2013. © Biennale de Lyon
Notre besoin de Rimbaud
Reconnaissons que, parfois, ces formes peuvent être séduisantes, telle l’installation très graphique et éclatée de Karl Haendel, piochant ses motifs parmi les journaux relatant la tuerie d’Aurora en 2012 et l’iconographie de l’Amérique contemporaine. Mais le propos demeure un peu creux : ce fait divers serait selon l’artiste emblématique d’un dysfonctionnement social et de certaines valeurs en vogue aux Etats-Unis !
On trouvera pire dans cette Biennale avec, par exemple, la grande maquette de navire aux cales remplies de poupées Barbie de Tom Sachs, présentée à l’église Saint-Just. Sachs surfant vite fait sur l’idée que «c’est grâce à l’esclavage que nous avons pu aller sur la Lune». Grâce au massacre des indiens, au Maccarthysme, à la Prohibition, à Marylin Monroe et aux concerts en plein air des Beatles pendant qu’on y est ?
On trouvera beaucoup mieux aussi avec l’intrigante installation vidéo de Lili Reynaud-Dewar (au MAC) se filmant nue, peinte en noire et dansant dans des galeries ou dans sa chambre meublée d’un lit rejetant un inquiétant liquide noir en fontaine. Ici, point besoin de lire le « manuel » pour comprendre que Lili, seule artiste ou presque qui nous aura tirés d’une somnolence et de bâillements quasi-continus, nous entraîne sur une pente déviante, autant que glissante, à propos du corps, de l’intimité et de la sexualité.
Rien de honteux en définitive dans cette édition, juste un ennui induit par la thématique de Gunnar B. Kvaran. Demander à ses invités de nous conter eux-mêmes ou le monde à partir de formes nouvelles, c’était d’emblée prendre le risque qu’ils construisent des trucs complexes pour nous dire qu’au fond ils ont peur de bander mou ou de mourir ou, pour les moins narcissiques, que la guerre c’est mal et que l’Amérique est trop armée.
En art, il vaut mieux ne pas trop savoir ce qu’on raconte et se faire le médium, le voyant de forces qui nous dépassent :
«C’est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense» écrivait Rimbaud.
Par Jean-Emmanuel Denave, sur petit-bulletin.fr
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