Une clientèle citadine ne sera pas déroutée par l’esthétisme choisi par le gérant du Potagé . © JEM/Rue89Lyon
L’étal de fruits d’été trône en bonne place à l’entrée du magasin ; y sont adossés ces paniers rouges, symboliques des moyennes surfaces. A droite, l’étalage de légumes bien calibrés s’étend sur quatre mètres de profondeur. Ouvert il y a moins d’un an, le Potagé (Lyon 4e), ressemble à un primeur comme les autres. A une différence près : ici, pas d’« origine Espagne », ni même d’« origine France », mais des produits issus de l’agriculture locale et pas seulement réduits à la portion congrue.
« Je suis parti du constat que moi-même qui aime bien aller au marché, j’ai très peu de temps pour le faire. Et pour les travailleurs, il n’y en a pas l’après-midi dans le quartier ».
Pas vraiment échaudé par le dynamisme des marchés de la Croix Rousse, Gérard Le Guen, a semble-t-il fait le bon calcul : une grande partie de sa clientèle est composée d’actifs qui n’ont pas le temps ou l’énergie d’aller au marché mais qui sont bien contents de pouvoir acheter des produits locaux à proximité de chez eux. Même constat du côté de Carole Cabanis qui a ouvert son épicerie, Scarole et Marcellin, en février et qui souligne la « complémentarité avec les autres modes » de commercialisation en circuits courts, principalement les AMAP et les marchés.
« Certains produits sont plus chers au marché »
Au delà de la complémentarité, il y a aussi une similitude au niveau des produits. Pour remplir ses étals de fruits et légumes, Carole Cabanis travaille avec une quinzaine d’agriculteurs du Rhône et s’approvisionne souvent sur les marchés, notamment auprès de celui de la place Carnot. Un bon compromis pour les producteurs qui rechignent à venir sur Lyon pour livrer des petites quantités, même vendues un peu plus cher que dans des circuits longs.
Et concernant les prix de vente au consommateur, Carole Cabanis tient à revenir sur l’image de cherté qui colle aux commerces de proximité :
« Ce sont les producteurs qui fixent leurs prix et on établit notre marge de manière à être compétitifs. On veille à ne pas être en décalage par rapport à ce qui se fait ailleurs. Et certains produits sont parfois plus chers au marché que chez nous. Souvent à cause des revendeurs qui doivent se faire une marge dessus ».
Au Potagé, les prix sont plus élevés. C’est que l’initiative de Gérard Le Guen repose à la fois sur des circuits courts et sur des circuits longs. S’il s’approvisionne directement auprès d’agriculteurs de la région pour 75 % des produits qu’il propose, le reste, 25 %, provient du marché de gros de Corbas. Dès lors, un intermédiaire supplémentaire, le grossiste, intervient entre le producteur et le consommateur. Un intermédiaire dont la marge se répercute sur le prix final des fruits et légumes.
L’idée initiale était de s’approvisionner à 100 % en « direct producteur ». Il en est très vite revenu : « ça prendrait trop de temps ». Et pour s’éviter les trajets jusqu’aux exploitations, il a opté pour la solution la plus pratique : aller au marché de gros de Corbas qui abrite, en plus des grossistes, un carreau de producteurs où les agriculteurs vendent directement leurs fruits et légumes.
« Epiceries équitables » : valorisation du circuit court économique
Comme dans les systèmes commerciaux de paniers, Scarole et Marcellin s’autorise une entorse au principe du « 100 % local » en proposant des agrumes :
« un retour des points de vente collectifs dont les clients déploraient l’absence d’oranges ou de citrons, surtout en hiver. »
En effet, pour ces épiceries spécialisées dans les produits frais, l’équilibre financier reste incertain. Les initiatives sont récentes et il faut fidéliser la clientèle. Pour ce faire, proposer des produits transformés, du fromage, du lait cru ou des encas à emporter s’avère être un bon filon .
Afficher Les épiceries proposant une large gamme de produits locaux à Lyon sur une carte plus grande
D’ailleurs, mis à part ces deux magasins, Lyon compte surtout des épiceries que l’on peut qualifier d’« équitables » où l’on trouve, outre des produits venus du bout du monde, des rayons frais composés de produits locaux.
Très présentes dans le septième arrondissement, elles revendiquent une démarche militante. L’une des premières d’entre elles, De l’Autre Côté de la Rue, a été créée en 2006 dans le quartier de la Guillotière. C’est une coopérative (SCOP). L’un des fondateurs, Thibaut, explique :
« Pour nous, le circuit court c’est quand l’argent ne se perd pas. Pas d’intermédiaire superflu ce qui s’oppose à certains circuits économiquement longs. Hors vins, 70 % des produits que nous proposons sont de la région. Pour le reste il s’agit de filières équitables qui rémunèrent les gens qui travaillent ».
Au sein de ces épiceries, les démarches divergent. Si, comme son nom l’indique, l’Epicerie équitable est orientée vers le commerce équitable, De l’Autre Côté de la Rue a été l’initiatrice d’un modèle fondé autour des produits frais et locaux, complétés par une gamme de produits venus d’ailleurs.
Chez Scarole et Marcellin, l’accent a été mis sur la présentation des produits. © JEM/Rue89Lyon
« On est fiers de l’origine des produits qu’on propose »
Pour que leur spécificité soit bien identifiée par les consommateurs, ces commerces de proximité, ne lésinent pas sur les étiquettes qui mentionnent clairement d’où viennent les produits proposés :
« On ne travaille qu’avec des producteurs soucieux de leur environnement. On est fiers de l’origine des produits que l’on propose », poursuit le salarié de De l’Autre Côté de la Rue.
Mais selon la plupart des épiciers, plus que l’origine, c’est la « qualité du produit » qui revient dans la bouche des consommateurs. Et comme nous l’expliquions dans notre premier volet, la région Rhône-Alpes bénéficie d’une diversité de productions qui trouvent un bon écho dans ces épiceries.
Un point sur lequel insiste beaucoup Nicolas Gauthy dans son ouvrage, Lyon Fermier, Où et comment consommer local, qui vient de paraître aux éditions La Taillanderie. L’auteur de ce guide, qui revient à la fois sur les spécificités de l’histoire agricole des alentours de Lyon et sur les bonnes adresses, insiste notamment sur la diversité des vins (coteaux-du-lyonnais, Beaujolais) et sur la production piscicole de la Dombes. A cet égard, la carpe, poisson plutôt boudé par les Lyonnais, fait un (timide) retour dans certaines échoppes lyonnaises. La gérante de Scarole et Marcellin, qui propose ce produit, s’amuse de l’accueil qui lui est réservé :
« Les producteurs racontent qu’avant, quand c’était les grands-parents, ils allaient sur Lyon avec le bateau pour approvisionner les restaurateurs et que c’est tombé en désuétude. Aujourd’hui, ils réalisent des recettes à base de carpes, mélangées. Au départ, la réaction c’est un peu « Euh.. la carpe ? » mais une fois dépassés les a priori, les clients reviennent ».
Le difficile « tout bio, tout local »
A l’instar de De l’autre côté de la Rue, l’épicerie 3 Ptits Pois, située elle aussi dans le 7e arrondissement, a réussi à fidéliser une clientèle qui ne vient pas y chercher « qu’un rapport commercial ». Julien Weste, l’un des fondateurs, évoque le slogan « épicerie conviviale » de la boutique qui ambitionnait en 2010 de promouvoir des micro-magasins de consommateurs. Depuis, l’idée a été abandonnée mais l’épicerie conserve des spécificités : proposer des produits 100 % bio dont une large gamme de produits secs (céréales, pâtes, riz) et liquides, en vrac.
Pour s’approvisionner en produits locaux et bio, l’épicerie travaille avec Ondine, une association dont les adhérents sont à la fois des agriculteurs et des consommateurs. Ici, on est plus en présence d’un circuit de proximité que d’un circuit court puisque même si les produits sont locaux, deux intermédiaires séparent le producteur du client.
Mais les cloisons entre les deux notions ne sont pas toujours étanches. Surtout quand, comme c’est le cas avec Ondine, le second intermédiaire est une association qui ne prélève que de quoi couvrir ses frais de fonctionnement. Séverine Salleilles, chercheuse qui a participé au projet Liproco, sur le lien entre producteurs et consommateurs, décline les indicateurs qui déterminent si le circuit peut être qualifié ou non de court :
« Il y a celui lié à la vente directe du producteur au consommateur et celui lié à la distance, qui doit théoriquement être de moins de 80 km. Le circuit est court, soit du point de vue de la proximité géographique, soit du point de vue de la réduction du nombre d’intermédiaire et notamment en cas de vente directe (ndlr : s’il n’y a qu’un intermédiaire entre le producteur et le consommateur, il s’agit encore d’un circuit court) ».
Chez 3 Ptits Pois, le sec tient une bonne place, malgré les difficultés de stockage. © JEM/Rue89Lyon
Au final, chez 3 Ptits Pois, seuls 25 % des produits sont issus de l’agriculture locale. Et augmenter la part des produits (bio) locaux semble difficile. Pour le gérant de De l’Autre Côté de la Rue, dont 20 à 30 % des produits sont certifiés agriculture biologique, « ne proposer que du bio ne serait pas viable ». Sans aller jusque là, Bérénice Bois de l’association des producteurs biologiques du Rhône et de la Loire (ARDAB), explique :
« En bio, pour couvrir la demande d’une agglomération comme celle de Lyon, il faut aller plus loin que dans le Rhône. D’un autre côté, si le nombre d’exploitations bio augmente c’est que les producteurs ont bien reçu le signal qu’il y avait un débouché. Les producteurs bio en circuit court qui font l’effort de venir sur Lyon, n’ont aucun mal à écouler leur production. ».
En effet, selon les chiffres de l’association, les surfaces exploitées en bio dans les départements du Rhône et de la Loire ont progressé de 4,4 % en un an. Dans le Rhône, on compte 264 exploitations biologiques.
Et les chaînes de magasins bio ?
La plupart des chaînes de magasins bio, comme la Vie Claire, proposent très peu de produits issus de l’agriculture locale. Certainement du fait de l’effet combiné du manque d’offre et du temps qu’exige un rapport direct avec le producteur.
A cet égard, les magasins les Biocoop et dans une moindre mesure les magasins Eau Vive ont développé un modèle particulier. A côté des quatre plate-formes nationales qui fournissent leurs rayons, les franchisés Biocoop ont pour mission de tisser un réseau de producteurs locaux et bio « dans la mesure du possible ». Si l’on se réfère aux chiffres avancés par les gérants des cinq Biocoop de l’agglo lyonnaise, le pourcentage de produits locaux s’établit entre 5 et 15 %, la proportion pouvant grimper jusqu’à 40 % pour le frais.
Pour la gérante de la Biocoop de Villefranche-sur-Saône, ouverte il y a six mois, l’arbitrage s’avère délicat :
« Le local c’est plus cher que ce que je peux proposer en non local. Les exploitations locales sont des petites structures avec des coûts et des charges biens plus élevées. Les prix que je peux avoir avec la plate-forme sont bien plus avantageux ».
Ces magasins seraient surtout un débouché d’appoint pour les agriculteurs bio du département dont on retrouve les produits dans les marchés et les paniers des AMAP. D’ailleurs, dans la dernière enquête consommateurs de la Chambre du commerce et de l’industrie de Lyon (2011), qui étudiait pour la première fois l’intérêt des consommateurs pour les circuits courts, les commerces de proximité proposant des produits locaux n’ont pas été répertoriés. Preuve que s’ils se développent, leur poids n’est pas encore significatif. Et pour plus de 60 % des habitants de Lyon et Villeurbanne interrogés, le marché demeure encore et toujours le moyen privilégié d’acheter des produits locaux.
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