Cravates et regards froids, uniformes de hauts gradés de la police, ministres étrangers… Les 8 et 9 juillet, Lyon accueillait un forum d’un genre nouveau : « Technology against crime » (TAC). Sous l’égide du ministère de l’Intérieur et d’Interpol, cet événement a été voulu de dimension internationale et a réuni quelques 600 personnes, dont 59 délégations de dirigeants étrangers parmi les 190 pays membres que compte Interpol. « Surtout des pays africains » glisse-t-on du côté des organisateurs. 20 ministres ont fait le déplacement.
Une cinquantaine de délégations ont fait le déplacement, parmi les 190 membres d’Interpol. © Leïla Piazza
« Interpol doit rester à Lyon »
Lundi matin, c’est pourtant le maire de la ville, qui a ouvert le forum. Gérard Collomb a enfilé son costume de maire sécuritaire pour rappeler la place de Lyon dans ce secteur :
« Alors que le crime est devenu globalisé, je suis heureux que ce forum se tienne à Lyon pour des raisons historiques. La lutte contre le crime est inscrite dans l’ADN de Lyon ».
Il ne s’est pas privé de citer les atouts de la capitale des Gaules : laboratoires de recherche, école nationale supérieure de Police à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, Centre national de formation de la police technique et scientifique à Ecully, entreprises… mais aussi et surtout, le siège d’Interpol.
Car le défi pour Gérard Collomb est aujourd’hui double : il s’agit à la fois d’instaurer un nouveau rendez-vous international tous les deux ans, qui deviendrait le « Davos de la sécurité ». Mais il est aussi question d’asseoir la présence du siège d’Interpol, installé à Lyon de 1989. En effet, depuis quelques années, l’implantation du site semble de moins en moins évidente. Dans le futur, on évoque notamment la création d’une antenne parisienne. Et l’agglomération a d’ores et déjà essuyé un échec de taille. En 2006, Interpol a en effet lancé un projet de création d’un centre mondial anti-criminalité. Le Grand Lyon a postulé mais n’a pas apporté de contribution financière suffisante pour Interpol, alors dans une situation financière délicate. C’est finalement Singapour qui, en mettant 250 millions d’euros sur la table, a remporté le marché, comme l’explique « Acteurs de l’économie Rhône-Alpes », dans son numéro de juillet/août 2013.
Le ministre de l’Intérieur a visiblement décidé de soutenir Gérard Collomb. Apportant son parrainage au « Davos de la sécurité », Manuel Valls a salué à de multiples reprises les qualités de la ville.
Des discussions à l’abri des regards
Sur la scène du Centre des congrès, se sont notamment succédé le maire, le ministre de l’Intérieur, mais aussi la présidente d’Interpol, son secrétaire général, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme au sein de l’Union européenne. Après deux heures de discours d’ouverture, les participants ont enfin pu quitter la salle.
Si quelques 600 personnes ont été comptabilisées, le hall du Centre des congrès semble bien vide. Tout comme l’amphithéâtre le reste de la journée. En effet, comme à Davos, le plus important n’est pas le programme officiel. Des longs temps de pause ont été aménagés. Un étage beaucoup plus convivial, où l’on trouve notamment des « meeting rooms », est interdit aux journalistes, « afin de faciliter les échanges », explique-t-on du côté de l’organisation.
Reportage de TLM, diffusé le 8 juillet 2013.
Booster le business de la sécurité
Le déjeuner, lui aussi, se fait à huit clos. Il s’agit en réalité d’une réunion de travail sur le comité de structuration de la filière industrielle française de sécurité, annoncée le matin par Manuel Valls pour l’automne prochain, afin de mettre en adéquation les besoins des décideurs en matière de sécurité et les offres des entreprises :
« La France possède des atouts considérables pour allier technologie et sécurité. Nous avons un tissus industriel dynamique et innovant. Mais les entreprises, les organismes de recherche et les décideurs ne se parlent pas assez. »
Car, il ne faut pas s’y tromper, le forum est stratégique, pour un secteur qui représente un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros, avec une croissance annuelle moyenne de 7%, et emploie environ 50 000 personnes. A quelques mètres de l’amphithéâtre, une dizaine d’entreprises de sécurité, principalement françaises, ont installé leurs stands. Durant les longues pauses, les membres des délégations y sont conviés pour y boire un verre… et faire affaire. Sur le stand de l’entreprise Trend Micro, un éditeur de solutions de sécurité informatique, Loïc Guézo l’avoue volontiers :
« Pour nous, il y a un enjeu économique, bien sûr. On est là pour faire connaître nos technologies et trouver de nouveaux partenaires. »
Une dizaine d’exposants étaient présents. © Leïla Piazza
« La liberté retrouvée »
Le débat « protéger les libertés et les droits fondamentaux » ouvre le bal des quatre conférences proposées pendant les deux jours. En plein scandale sur le programme d’espionnage des communications américain Prism, le sujet de ce premier débat aurait pu faire mouche. L’amphithéâtre s’est pourtant vidé de moitié depuis la séance d’ouverture. Le présentateur se lance :
« Snowden est-il un cybercriminel ? »
Les intervenants se sont bien gardés de répondre à la question et ont rapidement changé de sujet.
Plus tôt, Manuel Valls non plus ne s’est pas appesanti sur la question, se contentant de faire référence à l’« actualité qui a posé un problème de confiance et nous montre la nécessite d’une protection de la vie privée.» Pour le ministre, il faut développer des nouvelles technologies, certes, mais surtout « obtenir la confiance des concitoyens ». Un discours que la majorité des participants partage, sans pour autant se lancer dans la recherche de solutions concrètes. A l’instar de Michael Chertoff, ancien secrétaire d’Etat à la sécurité intérieure des Etats-Unis, catégorique :
« Il faut cesser d’opposer sécurité et vie privée ! »
Un peu plus tard, à l’autre bout du centre, Marc Darmon, directeur général adjoint de Thales (groupe français spécialisé dans l’aérospatial, la défense et les technologies de l’information) donne une petite conférence de presse. Il y est surtout question du système de surveillance high-tech que l’entreprise française a mis en place dans la ville de Mexico. Le dirigeant se gargarise : avec quelque 10 000 caméras, un centre de commandement central et plein de gadgets ultra perfectionnés, la criminalité aurait diminué de 22% entre 2010 et aujourd’hui selon lui. Mais lorsqu’un journaliste lui demande si les habitants de Mexico ont eu une réaction de rejet, Marc Darmon répond, déconcerté :
« Au contraire ! Les gens se relaient la nuit pour protéger les caméras. Pour eux, c’est la liberté retrouvée. Personne ne considère que c’est une atteinte à la vie privée. »
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