En 1967, Anna Karina jouait aux côtés de Serge Gainsbourg et de Jean-Claude Brialy dans le téléfilm de Pierre Koralnik.
D’où vient cette idée d’adapter le téléfilm Anna à la scène ? C’est une commande des Nuits de Fourvière ?
Emmanuel Daumas : Au départ c’est Jean-Marc Ghanassia [agent et producteur, NdlR] qui a eu l’idée. Quand il me l’a soumise, je ne connaissais pas le téléfilm, mais j’avais beaucoup écouté l’album de Gainsbourg, que j’aimais et connaissais même par cœur. Ce projet m’a donc tout de suite vraiment excité et je me le suis approprié facilement.
Dans le téléfilm, les deux protagonistes ne s’adressent pas la parole, ce qui est très peu théâtral. Comment peuvent-ils tenir tous les deux sur une même scène ?
C’est vrai que quand on voit le film, l’idée d’en faire un spectacle musical, une espèce de concert amélioré par ces petites histoires, peut paraître étrange. Le film est déstabilisant. En revanche, quand on lit le scénario, on se rend compte qu’il est très bien construit, que ce petit conte de personnages qui s’aiment et ne se rencontrent pas est efficace. J’ai pensé qu’on aurait beaucoup d’éléments à transformer ou de choses à ajouter mais ce n’est finalement pas le cas. On garde toute la chronologie, toutes les scènes, toutes les chansons et même les transitions musicales. Mais le film est tellement Nouvelle Vague, très éclaté, avec des divagations propres à l’époque et à la manière dont il a été fait…
Comment rendre cette atmosphère au plateau ?
Il y a un seul décor qui bouge. On se base sur l’atelier du personnage masculin principal, qui dans le film travaille dans la publicité et l’image. Ici, il est plus dans la vidéo. En fait, tout pourrait se passer comme si Anna était la muse qui l’incite à produire des images, des vidéos, des chorégraphies, un concert, des chansons… On fait aussi comme si ce lieu était à la fois son domicile, son bureau, l’intérieur de sa tête et sa white box.
Vous jouez vous-même dans de très nombreuses pièces de Laurent Pelly. Cette expérience vous sert-elle dans votre métier de metteur en scène ?
Ca me sert toujours. J’essaye au maximum, quand je mets en scène, de ne jamais oublier que quand on est sur scène, on a tellement de choses à gérer qu’on n’est jamais à 100% de ses capacités en répétition. J’évite donc de trop commenter ou d’être impatient avec les acteurs, car je sais qu’ils n’arrêtent pas de travailler et que c’est petit à petit qu’ils peuvent proposer ce dont ils ont envie. Je crois être un metteur en scène assez doux. Je suis avec eux, pas contre ni en parallèle. J’ai beaucoup joué cette année, je sais qu’avant d’avoir fait un geste cent fois sur le plateau, on n’est pas à l’aise. Ça ne sert à rien de presser les acteurs comme des citrons. Il faut leur faire sentir que quand on les regarde, on voit tout ce qu’ils font, qu’on est curieux d’eux.
Il y a quelque chose de pétillant chez Pelly. Ça joue en permanence. C’est aussi ce que vous cherchez ?
Oui, en plus c’est dans mon tempérament ! C’est pour ça qu’on a tant joué ensemble avec Laurent. Moi j’ai très souvent envie de faire le con. Le jeu prime, ce qui ne nous empêche pas d’avoir une grande conscience de l’histoire qu’on raconte. C’est toujours très dramaturgique. Le challenge est avant tout de raconter une histoire. Il ne faut surtout pas perdre le spectateur, particulièrement dans Anna. Ce serait dommage, surtout que les chansons s’inscrivent dans cette narration.
Cécile de France incarne Anna, à l’affiche des Nuits de Fourvière.
Des accents « gainsbourgiens » sidérents
À douze jours de la création aux Nuits de Fourvière, l’équipe d’Anna s’affaire. Et pour cause, le projet est assez technique. Les éléments de décor, des panneaux blancs mouvants figurant un bureau de vidéaste, servent aussi de supports de projection. Au jardin est installée une mini estrade pour quatre musiciens qui joueront live. Au moment où on les découvre, ils ont rejoint cinq comédiens, grossissant les rangs d’une chorégraphie dirigée par le brillant touche-à-tout Pierre Rigal.
Cécile de France est aussi de la partie, tandis que Grégoire Monsaingeon (dans le rôle interprété à l’époque par Brialy) part à sa recherche sans la voir – il ne connait d’elle qu’une photo rougie (l’affiche du spectacle) et ignore que son icône est une de ses collaboratrices. Si le comédien a gardé des accents « gainsbourgiens » sidérants, côté costumes, Emmanuel Daumas a délaissé cette touche pop typiquement sixties au profit de coupes très actuelles.
Après encore quelques répétitions, la troupe retrouvera cette semaine le haut de la colline du cinquième arrondissement de Lyon, où elle s’est formée à l’ENSATT dans les années 90, avant de se côtoyer dans Mademoiselle Julie, pièce de Strindberg mise en scène par Gwenael Morin au Point du Jour en 2000.
Par Nadja Pobel, sur petit-bulletin.fr.
Anna d’Emmanuel Daumas, du 29 juin au 2 juillet au théâtre Odéon.
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