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Arrested Development, le retour d’une fabuleuse série

Au sortir d’une pause forcée de huit ans, la fabuleuse série de Mitchell Hurwitz ressuscite sur le net, le mojo intact et des « fuck you » plein la besace. Critique à chaud, garantie sans spoilers.

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Pour rappel, Arrested Development survécut bon gré mal gré trois saisons sur la Fox. Démarrée en 2003, cette sitcom sur une famille de « nouveaux pauvres », les intolérables, égoïstes et dégénérés Bluth, avait pour elle une approche totalement inédite du genre, partiellement héritée de la version anglaise de The Office : l’esthétique faux documentaire, sans rire enregistré mais avec une mise en scène heurtée et de (nombreux) bips sur les grossièretés. La différence essentielle entre la création de Ricky Gervais et ses multiples succédanés américains se situe dans son orientation scénaristique : avec la voix-off de Ron Howard comme lien essentiel, les épisodes brassent jusqu’à cinq intrigues parallèles simultanément, charrient une bonne dizaine de running gags aux perspectives fluctuantes, avec un sens du timing comique quasiment trop efficace.

En tout cas, beaucoup trop pour les spectateurs lambdas de la chaine Fox, qui réservent à la série un accueil plus que mitigé. Alors que la diffusion des derniers épisodes se profile, et avec elle l’annulation hautement probable du show, la cérémonie des Emmy Awards bouleverse la donne : sur sept nominations, Arrested Development l’emporte dans cinq catégories dont meilleure série comique, meilleur scénario, et meilleur casting. L’anecdote est fameuse : apprenant la nouvelle, un exécutif de chez Fox laisse échapper un « oh merde » – pas le choix, la série doit être reconduite pour une seconde saison.

Les audiences ne s’améliorent pas. Faut dire que pour la chaîne, ce show à la reconnaissance incompréhensible est un mouton noir artistique sur lequel les décideurs n’ont aucune prise. Aucune publicité ne sera accordée, et la série sera reléguée à des tranches horaires commercialement suicidaires. A cause de ce foutu plébiscite critique et d’une communauté de fans en plein lobbying viral forcené, la Fox octroie une troisième saison à Arrested Development. Ce baroud d’honneur marquera le basculement du show dans une dimension méta jusqu’ici plus discrète, le spectre de l’annulation devenant presque un élément scénaristique à part entière. Avec un art consommé du majeur levé, Mitchell Hurwitz multipliera même les caméos d’acteurs dont les shows furent annulés par la Fox pour marquer le coup. Comme prévu, la série s’arrête. A la télévision, en tout cas.

Grâce à Internet ses ventes DVDs, le culte d’Arrested Development grandit. Ses acteurs principaux sont constamment harcelés sur un potentiel retour aux affaires. Mitchell Hurwitz laisse régulièrement planer l’éventualité d’un film permettant de boucler la boucle une bonne fois pour toutes. Les années passent, la rumeur s’étiole jusqu’à l’émergence d’un nouvel acteur crucial dans la mutation du paysage du divertissement. Netflix se lance dans la production de séries avec un argument massue : une saison entière disponible en téléchargement légal (*sifflote*) le jour de sa sortie. Le système a démontré sa viabilité avec la grosse prod’ House of Cards parrainée par David Fincher, et cherche à s’affirmer avec un gros, gros coup : une quatrième saison d’Arrested Development, longue installation du film qui en finira avec les Bluth.

Huit heures de binge watching plus tard, le bilan est lourd : un bon mal aux côtes, le sourire vissé à la gueule et la frustration, immense, de ne pas avoir la suite. Hurwitz conclut cette livraison de 15 épisodes par un cliffhanger de bâtard, aboutissement logique d’une construction dont la complexité donne le vertige et devrait, s’il existe une justice, être étudiée dès le semestre prochain dans toutes les facs de cinéma.

Le risque majeur pris par cette saison est son bouleversement narratif. Chaque épisode se concentre sur un seul personnage, de façon déséquilibrée sur l’ensemble de la saison – à la plus grande horreur des fans, Buster et Maeby n’ont par exemple droit qu’un à seul épisode, situé qui plus est en fin de parcours. Fort heureusement, leurs histoires respectives, volontairement tenues à l’écart, éclairent tous les événements sous un angle nouveau avant la montée finale. En toute objectivité, le deuxième épisode, consacré à George Senior, est plutôt faiblard et fait douter de la pertinence du procédé. Mais non seulement il pose les fondements de toute l’architecture narrative de saison, et gagne sûrement à être revu à la lumière des agissements des autres Bluth révélés au fil des épisodes avec une sadique parcimonie, mais il introduit en sus le meilleur running gag de la saison (le « pouvoir » du personnage campé par la géniale Mary Lynn Rajskub).

Ce changement de structure sert à la fois la storyline principale de la série, au nom de laquelle chaque personnage principal se cherche une autre famille avant le retour forcé sous la bannière Bluth, mais il marque également le basculement définitif de la série dans le méta, la mise en abyme, appelez ça comme vous voulez. Evolution logique d’un show obligé de composer avec ses huit ans d’absence, de muter avec son temps tout en lui portant un regard cruel.

Arrested Development est une variation sur une formule remise au goût du jour par le roman Testament à l’Anglaise de Jonathan Coe : la famille de nantis prise comme métaphore des dysfonctionnements d’un pays entier. La troisième saison se terminait par une virée en Irak, sur les traces des contrats frauduleux entre George Senior et Saddam Hussein, la quatrième débute à l’aube de la crise immobilière. Les références à la politique américaine sont incessantes, que ce soit à travers les allusions de transmissions de la présidence de George Sr à son « idiot de fils George Jr », ou avec l’arrivée d’un personnage clairement inspiré du Républicain Herman Cain. Le discours n’est pas partisan : l’hilarant coming out de Lindsay « l’engagée » en conservatrice pur jus constitue l’un des zéniths de la saison. Tout le monde en prend pour son grade, à la South Park.

Dès sa première image, un plan fixe de la fameuse voiture à escaliers flanquée du logo Netflix et de la mention « Original series » à laquelle vient se greffer « Semi » à la fin du jingle, cette nouvelle saison développe en sous-main un discours de plus en plus virulent sur le monde du divertissement. Pas tant dans ses piques à la Fox, attendues mais toujours bien vues, mais plutôt dans ce que l’auteur balance entre les lignes sur le virage tardif vers les opportunités offertes par le net, l’incompréhension totale du médium y compris par ses artisans (l’arc narratif monstrueux sur l’« anti Social Network » imaginé par George Michael), sans oublier la fatuité et l’imbécilité du milieu du cinéma. Dans ce qui est sans nul doute sa plus grande contribution à l’art en général, Ron Howard ne se contente plus de coproduire et d’assurer la voix-off : il interprète son propre rôle, un producteur m’as-tu-vu, opportuniste, vaguement conspirationniste sur les bords, et obsédé par l’idée que Jerry Bruckheimer ait un immeuble plus grand que le sien.

Les gimmicks des trois précédentes saisons sont disséminés précautionneusement, jamais en béquilles narratives ou en clins d’œil gratuits, toujours au service du récit. Dans la foultitude de références qu’une seule vision peine à lister de manière exhaustive, il faut citer l’apparition lourdement signifiante de Dan Harmon, showrunner de la série Community, viré de son propre show sans que la chaîne n’ait pris soin de le prévenir. Son (court) rôle, à la lumière ce qui lui est arrivé, est particulièrement savoureux.

Il y aurait des pages et des pages à écrire sur cette quatrième saison, mais la promesse du début d’article était « garantie sans spoilers ». Dont acte, foncez voir cette nouvelle livraison, elle est largement à la hauteur des espoirs placés en elle depuis huit longues années – ce qui n’est pas peu dire.


#Dan Harmon

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